Soumia Mourchid, Appelez-la Madame la Adoul !

Lorsque l’opportunité s’est présentée, cette diplômée en droit privé n’a pas hésité à passer le concours des adouls. Elle raconte ses premières années dans ce métier, majoritairement masculin…

Posture bien droite et bras croisés, Soumia Mourchid, l’une des 12 femmes adouls de Casablanca, est assise entre ses deux collègues hommes. Affichant un sourire crispé, elle semble appréhender son premier entretien avec un journaliste. Une première question réussit cependant à la détendre et à lui arracher un rire: «Vous ne portez pas de djellaba ?». L’habit traditionnel ne va pas nécessairement avec la profession de adoul, répond-elle. Toutefois, la jeune adoul, en service depuis 2020, dit en porter une, circonstance oblige, lorsqu’elle se rend à des cérémonies de mariage.

Une femme adoul ça surprend !
Travaillant en binôme avec maître Ihsane Youssef, adoul notaire, Soumia Mourchid dit s’être bien impliquée dans l’un des plus vieux métiers juridiques, celui de adel, et qui a toujours été pendant de longues années monopolisé par les hommes.
Exercer cette profession n’était pas du tout prévu par cette jeune maman originaire de la région de M’zab. Mais, comme l’opportunité s’est présentée en 2018, cette jeune diplômée de droit privé s’est lancée dans la profession. «C’est un métier comme un autre et dans lequel les femmes ne sont pas présentes. De plus, c’est une profession juridique mais qui touche aussi le social et l’économique, et donc, in fine, à la vie quotidienne des citoyens et leurs problèmes. C’est ce qui m’a encouragée». Dans son entourage, la décision n’a pas surpris plus que ça. Et dans le milieu professionnel, la présence de Soumia Mourchid et ses autres acolytes femmes n’a pas suscité de remous non plus. «L’arrivée des femmes dans notre métier est une bonne chose. Nous travaillons en bonne entente et ces jeunes femmes ont fait preuve de sérieux», témoigne maître Kanit El Haj Hamdaoui, adoul chevronné exerçant depuis 42 ans et deuxième collègue de maître Mourchid. Appuyant les propos de son confrère, Bouchaib Fadlaoui, président de la Ligue nationale des adouls, rappelle que la loi 16-03 autorise les femmes à exercer le métier, tandis qu’une fatwa a été rendue, sur demande de S.M. le Roi lorsque la proposition a été faite par le ministère de la Justice et la Ligue des adouls, par le Conseil supérieur des oulémas. «Donc il n’y a pas et il ne devrait pas y avoir de problème», conclut-il. Cependant, l’expérience a révélé, indique Soumia Mourchid, que l’arrivée des femmes dans le domaine surprend toujours. Et, pour l’anecdote, il lui est arrivé de ne pas être acceptée par des personnes qui exigent un adoul homme. Soumia avoue ne pas avoir cédé à ce qu’elle considère être «un caprice» et pour les convaincre, il lui a tout de même fallu l’appui de son confrère. «On leur a expliqué que désormais la loi autorise les femmes à exercer ce métier. Et que j’ai suivi le même cursus que mes collègues hommes», se souvient-elle.

«Le adoul est un juge préventif»
De l’avis de Me Ihsane Youssef, «les femmes font preuve de plus de résilience pour régler certains problèmes. Et elles sont également plus sollicitées par les femmes qui se disent plus à l’aise avec une femme adoul et qui de ce fait peuvent aborder plus facilement certains problèmes personnels, notamment lorsqu’il s’agit de divorce ». Et de la patience et de la résilience, Soumia Mourchid en a fait preuve lors d’une cérémonie de mariage pour résoudre un malentendu entre la belle-mère et le marié à propos de la dot. «Il nous a fallu deux heures pour finalement trouver un terrain d’entente et établir l’acte de mariage». Tout comme elle a eu à gérer des cas de conflits en matière de foncier et d’héritage. Ce qui lui fait dire que «le adoul est un juge préventif», c’est-à-dire qu’il réussit à résoudre des conflits et d’éviter de les porter en justice. Par exemple, en cas de divorce, les adouls œuvrent souvent pour la réconciliation des époux, leur évitant la séparation, sachant que, rappelle Me Mourchid, «le juge, agissant plutôt sur un terrain administratif et manquant de temps, vu le nombre de dossiers, applique la loi sans trop s’attarder sur des considérations sociales pourtant essentielles dans un divorce».
Si la jeune adoul dit «travailler en bonne intelligence avec son binôme», elle estime que la révision de la loi s’impose. Un avis partagé par Me Fadlaoui qui avance «que les femmes ont les mêmes compétences que les hommes, et qu’elles ont fait le même cursus. Être en binôme ne doit donc pas être une obligation». Il tient à rappeler que la réforme de janvier dernier est un premier pas vers l’amélioration des conditions de travail des femmes adouls dans la mesure où pour la première fois au Maroc leur témoignage devant un notaire traditionnel pour la procédure «Lafif Adli» est désormais l’équivalent de celui de l’homme. Pour la jeune adoul, c’est une mesure qui renforce davantage les droits des femmes et en particulier leur présence toute récente dans ce métier. Un métier prenant certes mais, conclut Me Mourchid, qui est «passionnant et humain de par le contact permanent avec les citoyens».