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Société

Sportifs marocains, de l’immigration d’hier à  l’intégration d’aujourd’hui

L’histoire des sportifs marocains à  l’étranger reste encore à  écrire. Autrefois, ils immigraient et faisaient carrière, aujourd’hui, il sont nés dans leurs pays d’adoption.
Le choix de la nationalité sportive se pose pour cette génération de joueurs qui connaissent mal leur pays d’origine.
Un colloque sera organisé à  ce sujet par le CCME.

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Ecrire la longue histoire des sportifs marocains de l’étranger depuis le milieu des années 1930 du siècle dernier jusqu’à nos jours n’est pas une mince affaire. Le Conseil de la communauté marocaine à l’étranger (CCME) s’essaiera à cet exercice les 24 et 25 juillet en organisant à Casablanca un colloque international avec comme thème «Sportifs marocains du monde, histoire et enjeux actuels». La tâche est en effet d’autant plus difficile que le Maroc manque cruellement d’historiens, de sociologues et de psychologues dans le domaine du sport. Tout ce qu’il compte en termes d’études et de livres sur le sport ne dépasse pas les analyses et les commentaires d’observateurs et de journalistes. Quand aux universités marocaines, elles ignorent superbement des spécialités comme l’histoire, la sociologie ou la psychologie du sport. «Quand on parle d’un Larbi Ben Barek, on parle du mythe d’un joueur hors-pair plus que de l’histoire documentée d’un sportif qui a marqué son temps. Même chose pour un Saïd Aouita ou un Hicham El Guerrouj qui ont pulvérisé tous les records en demi-fond. Qui peut en parler au Maroc sous l’angle de l’Histoire en interrogeant archives et témoins ? Personne ! », tranche Belaid Bouimid, fin connaisseur du sport marocain, qui fait partie de la centaine de participants à ce colloque réunissant sportifs et intervenants (voir encadré).
L’histoire des sportifs marocains de l’étranger est en effet passionnante à plus d’un titre. Elle remonte aux années 1930, époque marquée par le premier sportif marocain à avoir émigré en Europe et à avoir brillé de mille feux sur la scène internationale, il s’agit de l’emblématique Larbi Ben Barek (de son vrai nom Abdelkader Larbi Ben M’barek). Considéré comme meilleur footballeur de tous les temps, Pelé, le roi du football, dira de lui un jour : «Si je suis le roi du football, alors Ben Barek en est le dieu». La «Perle noire», comme on l’a surnommé,  après un début de carrière footballistique à l’Union sportive marocaine (USM) de Casablanca, quitte les pelouses casablancaises pour débarquer à Marseille, en juin 1938. Une longue carrière l’attend, la plus longue qu’a connue un joueur dans l’équipe des Tricolores, soit 15 ans et 10 mois. Sa première apparition sous le maillot français, quelques mois après avoir émigré, fut face à l’Italie, à Naples. Elle restera à jamais dans les annales : copieusement sifflé par le public italien sous prétexte qu’il n’avait pas encore la nationalité française, le fooballeur fait mieux qu’encaisser. Les historiens qui ont brossé le portrait de la future star décrivent, en réaction à ces sifflets racistes,  un homme qui, loin de se décourager, «chanta à pleine gorge la Marseillaise».

Ben Barek et Belmahjoub en foot, Radi en athlétisme, la première génération des sportifs de l’étranger

Ce «dieu» du football meurt dans l’anonymat en 1992. Mis à part quelques monographies d’auteurs étrangers, l’histoire du meilleur footballeur de tous les temps reste encore à écrire. Comme celle de deux autres sportifs marocains de la génération des années 1950 et 60 qui ont marqué leur temps : Abderrahmane Bel Mahjoub en football et Abdesslam Radi en athlétisme. Ces deux champions ont suscité peu de littérature à part quelques écrits dithyrambiques sans profondeur historique et sociologique. Le premier, surnommé le «Prince du Parc», en référence au stade parisien le Parc des Princes où il portait le maillot du Racing Club de Paris, a tellement séduit par l’élégance de son jeu qu’il fût appelé à intégrer, à l’instar de son aîné Ben Barek, la sélection française. L’unique but du match contre l’Espagne en Coupe du monde en 1954 consacra définitivement sa carrière qui va le mener à Nice, Montpellier et à l’Olympique de Marseille, avant de rentrer au Maroc au début des années 1960 pour jouer au Wydad. Le deuxième, Abdesslam Radi, est un héros sans gloire. L’enfant de Taounate représenta également, en 1958-59, l’équipe de France d’athlétisme et décrocha plusieurs médailles au 5000 et au 10 000 mètres. Mais sa fibre nationaliste le fit détourner de l’équipe de France pour courir en 1960 à Rome sous les couleurs du Maroc et offrir à son pays sa première médaille aux Jeux olympiques. Des trois noms qui ont brillé à cette époque, c’est Radi qui est le plus méconnu. Si nos athlètes actuels roulent sur l’or et sont entourés d’une reconnaissance internationale, lui, il mourut dans la solitude en 2000 léguant une maigre pension de 1 000 DH, octroyée par l’Armée française, à sa femme et ses trois enfants vivant en France. Rien à voir avec les champions marocains actuels. En plus d’être copieusement rétribués, ils sont les acteurs d’«un sport spectacle où la communication domine tout. On est devant une médiatisation effrénée des sportifs de talent, devant des stars système, phénomène qui n’existait pas du temps de Ben Barek ou de Radi», constate M. Bouimid. Oui, les sportifs marocains de la génération des années 1980 et 90 et de nos jours jouissent de tous les honneurs : Saïd Aouita en demi-fond, Badou Zaki, Aziz Bouderbala, Mustapha Hajji dans le domaine du foot, Hicham Arazi en tennis, Abdellatif Benazzi, en rugby, Khalid El Quandili en kick-boxing… Natif de Rabat en 1961 avant d’aller vivre avec ses parents dans le bidonville de Nanterre en région parisienne, El Quandili sera champion de France, puis d’Europe et champion du monde en kick- boxing. Il atteint le sommet de la gloire lorsque Nicolas Sarkozy lui décerna, en 2008, la décoration de Chevalier de l’ordre national de la légion d’honneur.
Viennent après eux la génération actuelle, celle des Marouane Chamakh, Michael Bassir, Youssef Hajji, Houcine Kharja… tous footballeurs. On n’est plus devant des sportifs ayant émigré pour aiguiser leur formation, ni devant des émigrés nés au Maroc ayant rejoint leurs parents installés à l’étranger, mais devant une génération nouvelle de l’étranger, «dont l’une des caractéristiques principales est qu’elle n’est plus une population immigrée, c’est une population qui est née dans le pays de résidence. Elle n’a émigré de nulle part», rectifie Younès Ajarraï, président du groupe Culture, éducation et identités au sein du CCME.

Avec la génération actuelle des sportifs, le problème de l’intégration ne se pose pas

Résultat de cette mutation : c’est une génération qui a beaucoup rajeuni, et ce changement est perceptible actuellement dans tous les domaines sportifs. «Aujourd’hui par exemple, dans les écoles de football en Espagne, en France, aux Pays-Bas, en Belgique, il y a énormément de jeunes pousses qui sont binationaux», ajoute M. Ajarraï. Plusieurs questions en découlent : celle principalement du choix de la nationalité de ces jeunes une fois devenus professionnels. Joueront-ils pour l’équipe du Maroc ou pour l’équipe du pays où ils sont nés et ont grandi ? C’était le cas de Marouane Chammakh et Youssef Hajji. Le choix a été délicat pour ces joueurs et il l’est pour toutes ces jeunes pousses de la diaspora marocaine. Il y a l’appel du cœur pour un pays dont leurs parents sont originaires, et il y a l’appel de la raison du pays  où ils sont capables de forger toutes leurs capacités. «C’est comme un enfant à qui l’on demande de choisir entre son père et sa mère. Le choix est toujours difficile», estime Mohamed Azzouak, créateur du site yabiladi.com, un pur produit de l’immigration, qui, dans son itinéraire, a croisé de nombreux sportifs marocains de l’étranger. On connaît l’histoire de Chamakh : des responsables à la Fédération marocaine de football contactent son père et l’incitent à convaincre son fils de rallier l’équipe marocaine. Marouane se plie aux choix de son père. A-t-il pris la bonne décision ? M. Bouimid, lui, estime que «si Chamakh avait choisi de jouer avec l’équipe française, il aurait été le successeur de Zineddine Zidane». Le facteur sentimental joue en effet dans le choix, et si l’on choisit le pays d’accueil «il y a souvent chez le sportif d’origine marocaine cette crainte de passer pour un traître, pour un «vendu», vis-à-vis de la famille, mais également des amis», analyse M. Ezzouak. D’autres jeunes, non sans hésitation, optent pour la sélection du pays «étranger». C’est le cas d’Ibrahim Afellay et Khalid Boulahrouz qui ont porté les couleurs de l’équipe hollandaise, finaliste de la dernière coupe du monde en Afrique du Sud. Pour le premier, comme il l’avouait lui-même à la chaîne néerlandaise en mars 2007, ce sont les conseils de son mentor Philip Cocu et de son modèle Johan Cruyff  qui l’ont convaincu de trancher pour l’équipe néerlandaise. Pour les jeunes de cette nouvelle génération des sportifs marocains de l’étranger, le sport n’a jamais été pour eux un facteur d’intégration, cette dernière est belle et bien acquise. Mais pour  la génération qui les a précédés, il a été un facteur déterminant : c’est le cas par exemple de Mustapha Merry,  qui a joué en équipe nationale dans les années 80. Ou encore Abdellatif Benazzi installé en France et Mustapha Yaghcha qui vit en Suisse.