Société
Sport, l’heure de la mobilisation a sonné
Les 24 et 25 octobre se sont tenues les Assises nationales du sport, à Skhirat, un événement
qui ne s’est pas reproduit depuis 1978.?
Une stratégie de long terme déclinée autour d’une vision à deux volets : le sport au quotidien et les filières d’excellence.
Mobilisation générale : un milliard de DH de plus chaque année pour le secteur.

Le sport marocain, et c’est une litote, n’est pas au mieux de sa forme. Qu’il s’agisse de foot, de handball, d’athlétisme, de natation ou d’escrime, l’état des lieux est affligeant… Et depuis que El Moutawakel, Aouita, Boutayeb, El Guerrouj, Dolmy, Timoumi, et autre Bouderbala se sont retirés, les stades sont orphelins de leurs dieux. Illustration de cette débandade : les Jeux Olympiques de Pékin 2008, où notre sport a pris une déculottée mémorable. Beaucoup se font d’ailleurs déjà du souci pour la sélection nationale de football qui entame, en mars prochain, les éliminatoires du Mondial 2010. La tenue des assises de sport, les 24 et 25 octobre, est venue poser la question de fond de la restructuration du secteur tout en apportant un lot de réponses.
Il faut dire que Nawal El Moutawakel, la ministre en charge du dossier, n’a pas attendu le revers chinois pour s’atteler à redonner vie au secteur. Dès le début de l’année, elle a assigné à un groupe de travail composé d’universitaires, de spécialistes, de décideurs et de représentants des ministères de l’intérieur et de la jeunesse et des sports, puis du Comité national olympique la mission de faire un diagnostic du sport marocain. Après avoir pris connaissance de toute la documentation ayant trait au sport, en avoir débattu avec divers acteurs, organisé six forums, à Laâyoune, Béni-Mellal, Meknès, Marrakech, Tanger et Oujda, puis commandité une étude sur la perception du sport au Maroc, les experts ont rendu leur verdict : un énorme travail devra être mené si l’on veut sortir le sport national de son apathie.
Seul un Marocain sur six pratique un sport
Au-delà de ce diagnostic, somme toute prévisible, ce sont les enseignements tirés qui méritent l’attention. Le premier, assez surprenant, est que la pratique du sport demeure peu répandue et seul un Marocain sur six pratique une activité physique. C’est pourquoi, en dépit du nombre de fédérations (44) et de celui des clubs (8 000), les adhérents sont au nombre de 189 565 seulement, soit moins de 1% de la population. Avec ses 58 454 licenciés, le football caracole en tête, loin devant ses poursuivants, à savoir le tae kwondo (28 000) et le karaté (21 965). En bas du tableau, on trouve le motocyclisme (120), suivi du jet-ski (38).
Pas d’infrastructures dignes de ce nom au sud de Marrakech !
Au rayon des infrastructures, la situation n’incite pas à plus d’optimisme. «Si l’on se fie aux infrastructures sportives existantes, on a l’impression que le Maroc ne s’étend pas au-delà de Marrakech, parce qu’au sud de cette ville, c’est le vide sidéral en matière d’installations sportives», se désole la ministre qui reçevait la rédaction de La Vie éco mardi 21 octobre. Plus généralement, les infrastructures sportives sont peu qui développées : le Maroc compte, en tout et pour tout, cinq complexes sportifs (Casablanca, Fès, Meknès, Oujda, Rabat), 20 salles omnisports, 17 pistes d’athlétisme, dont 3 à Casablanca et à Rabat et 2 à Oujda. Quant aux amateurs et professionnels de la natation, ils ne peuvent pratiquer que dans 9 piscines fonctionnelles, dont 4 seulement sont couvertes (El Jadida, Oujda, Taounate, Casablanca).
Le football n’est pas mieux loti, malgré un effort louable, à mettre au bénéfice des trois candidatures malheureuses du Maroc à l’organisation de la Coupe du Monde. En attendant la construction de ceux d’Agadir, Casablanca, Marrakech, il est à déplorer qu’aucune ville ne dispose de plus d’un stade digne de ce nom. Ce qui oblige les équipes, en cas de défaillance de leur pelouse attitrée – une situation fréquente -, soit à aller disputer des rencontres loin de leur base, soit à se rabattre sur des terrains de rechange en piètre état. Autre faiblesse des stades existants, l’insuffisance de leur capacité d’accueil. A part ceux de Casablanca (60 000 places), Fès (40 000), Meknès (20 000), et Rabat (60 000), les autres ne peuvent contenir plus de 10 000 spectateurs. Ce qui constitue un manque à gagner pour des équipes comme l’OCK, le DHJ, le MAT ou l’IZK, qui jouent pourtant souvent les premiers rôles sur les terrains.
Dans l’état désastreux du sport, l’Education nationale a une grande part de responsabilité
Dans ce désintérêt des Marocains pour le sport, le ministère de l’éducation nationale a sa part de responsabilité, et même une part importante. De fait, les établissements scolaires n’en stimulent pas, comme il est de leur devoir, la pratique. A peine deux heures hebdomadaires sont accordées à l’éducation physique, qui ne sont pas toujours, loin s’en faut, pleinement remplies. Ces deux heures sont fréquemment dédiées à des parties de foot pour les garçons, de basket ou de hand pour les filles, sous la surveillance passive des enseignants. Par ailleurs, souligne la ministre de la jeunesse et des sports, «le ministère de l’éducation nationale possède 70% des infrastructures disponibles, et qui sont sous-utilisées. Nous avons obtenu de ce département que les établissements scolaires ouvrent leurs portes les samedis et dimanches, afin que les gens puissent pratiquer leur sport favori».
On le sait bien : pas de clubs sans dirigeants ni entraîneurs. Or, il ressort d’une étude exploratoire auprès du public, entreprise à la demande du ministère des sports, que ces derniers ne se montrent pas toujours à la hauteur de leur tâche, souvent en raison de leur incompétence. On comprend que certains dirigeants ou entraîneurs soient décriés. Les supporters du Raja, jusqu’à la victoire écrasante sur Al Massira, réclamaient la tête des membres du comité ; ceux du Hassania d’Agadir ne cessent de pousser le président du club vers la porte et les jours des entraîneurs des équipes mal classées sont comptés. «Beaucoup s’improvisent dirigeants ou entraîneurs, alors qu’ils n’en ont pas les aptitudes, dénonce Nawal El Moutawakil. «Nous allons mettre fin à cette aberration. Seuls les candidats qualifiés pour ces tâches auront le droit de les accomplir».
Une des plaies du sport, la violence dans les stades
Le piètre encadrement n’est pas l’unique plaie du sport, il y en a quantité d’autres, dont la violence dans les stades n’est pas la moindre. Elle accompagne comme une mauvaise ombre les prestations du Raja et du WAC, dont les rencontres sont marquées par des jets de pierres et de cannettes sur les joueurs de l’équipe advese, des échauffourées entre les supporters, des voitures et des bus fracassés et/ou incendiés à la sortie. Un sinistre rituel qui s’est étendu à d’autres villes, telles Marrakech et Safi, forcées de jouer à huis clos ou à plusieurs kilomètres de distance, suite à des incidents. Si le hooliganisme est le fait de jeunes en désarroi, il n’est pas pour autant excusable, estime la ministre. Il faut rester sur le terrain de la légalité, insiste-t-elle, en ajoutant : «Nous sommes, au ministère, très sensibles au phénomène de la légalité. Dans les 480 maisons de jeunes dont nous disposons, et pendant les colonies de vacances qui accueillent 200 000 jeunes, nous nous faisons un devoir d’inculquer à nos protégés les valeurs de non-violence. Pour éradiquer la violence dans les stades, nous sommes en train de réfléchir, avec le concours du ministère de la justice, de l’intérieur et ceux du Comité national olympique, de la Gendarmerie royale, de la Sûreté nationale et du Groupement professionnel du football, aux types de sanctions à prendre à l’encontre des coupables. Nous prévoyons aussi l’installation de caméras de surveillance dans les stades».
Des solutions et des résolutions s’imposent. Celles préconisées par le ministère de tutelle sont franchement ambitieuses. Elles consistent à ancrer le sport dans le quotidien des Marocains et leur inculquer les valeurs qui s’y attachent tels l’esprit sportif, le sens de la fraternité, le devoir d’excellence, l’estime de soi et le dépassement de soi. Vaste programme qui comporte également, à l’horizon 2020, dans les quatre dimensions clés du sport -que sont les pratiquants, les licenciés, les infrastructures et les encadrants- le triplement du nombre de sportifs, le quadruplement du nombre de licenciés et des infrastructures, enfin la multiplication par cinq d’encadreurs habilités.
Reste que si les buts sont louables, les fonds manquent pour les atteindre. Avec son budget de 1,28 milliard de dirhams, le ministère de la jeunesse et des sports serait obligé de rompre son généreux élan. Aussi a-t-il sollicité la contribution de l’ISCAE, de l’Université de Mohammédia, de la Samir, l’OCP, la CGEM, du ministère de l’habitat, celui de l’Energie, celui de la santé et des agences de développement du Nord, de l’Oriental et du Sud.
Tous ont répondu à l’appel. Tous se sont engagés à apporter leur pierre à l’édifice. Le ministère de l’habitat, par exemple, entend céder 290 lots et îlots de terrains convertibles en espaces sportifs. Le département de la santé, lui, aidera à la mise en place d’une agence antidopage et d’un laboratoire agréé dans ce sens,. Mais il n’y a pas que les acteurs publics, les grandes entreprise privées seront également sollicitées. Le tout devra permettre de dégager des ressources financières, ou en nature, équivalente à 1 milliard de DH par an, soit ce dont bénéficie le ministère des sports à l’heure actuelle, dans le cadre de son allocation budgétaire annuelle.
D’ici 2020, donc, se seront 12 milliards de dirhams (hors construction en cours des quatre grands stades et hors compétitions internationales éventuelles à accueillir au Maroc) qui seront dépensés pour remettre le sport en selle. Il y a donc une volonté ferme de faire redorer le blason terni du sport. Il est à espérer que nous en verrons les fruits aux Jeux Olympiques de Londres, dans quatre ans, sous forme de champions susceptibles de nous faire oublier le naufrage de Pékin.
