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Société

Sourire de Reda, pour que les jeunes ne souffrent plus

L’association multiplie les campagnes de sensibilisation ainsi que la prévention terrain chez les jeunes. Depuis février 2011, Stopsilence.org, un espace de ch@técoute gratuit et anonyme au Maroc est disponible pour les jeunes en souffrance. En 2015, l’association via Stopsilence a reçu 5 477 appels, pour 537 heures d’écoute.

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Sourire de Reda

«Tout a commencé pendant les obsèques de Reda qui s’est donné la mort le 5 février 2009. Ce même jour se déroulait la Journée internationale de prévention du suicide. Pendant ces 3 jours, des adolescents arrivaient en groupes nous présenter leurs condoléances… L’émotion éveillée par la disparition tragique de Reda était très forte mais la présence émue de tous ces adolescents donnait aux obsèques une dimension inhabituelle. Tous, qu’ils aient 12 ou 18 ans, avaient le visage tendu, les lèvres serrées, le regard implorant je ne sais quoi. Nous savions que nombre d’entre eux culpabilisaient. Ils nous l’ont dit et redit. Ils parlaient, parlaient, parlaient. Ils semblaient parler ainsi pour la première fois. Une confidence en amenait une autre. Leurs expériences se partageaient, leurs histoires se ressemblaient, leur visage se détendait. Leur soulagement visible n’avait d’égal à ce moment-là que notre incrédulité face à l’aveuglement dans lequel nous étions. Nous écoutions. Et nous réalisions avec effroi combien dense était le mutisme dans lequel ils vivaient sans même s’en rendre compte», raconte Meryeme Bouzidi Laraki, la mère de Reda, fondatrice et présidente de Sourire de Reda, l’association marocaine pour aider les jeunes en souffrance et prévenir les passages à l’acte de toutes natures.

Sourire de Reda est née donc de la volonté de venir en aide aux jeunes qui souffrent en silence. «J’ai rejoint l’association en mai 2012. Ayant moi-même été victime de harcèlement, j’avais l’impression d’être impuissante devant ce genre de situation. J’ai donc assisté à une conférence de Sourire de Reda afin d’en faire partie. Je voulais apporter mon aide à ceux qui pouvait en avoir besoin», se souvient encore Maria Laraqi, 17 ans.

Des jeunes pour aider d’autres jeunes…

Sourire-de-Reda-2Maria fait partie du Comité de jeunes de Sourire de Reda. Ils sont une vingtaine à animer ce comité qui est d’une importance cruciale dans le fonctionnement de l’association. «Nous jouons le rôle d’ambassadeurs de l’association. Nous la représentons partout : sur le net, facebook ainsi que dans la vie réelle», souligne fièrement Maria. Sourire de Reda, une association qui est faite par les jeunes, pour les jeunes et avec les jeunes. Et le comité de jeunes avec son apport central pour l’ONG l’incarne fort bien : «Nous avons notre mot à dire sur quasiment tout : de la conception des flyers, des tee-shirts, des pins, aux campagnes de prévention en passant par la rédaction du contenu du site web et de la fan page de l’association sur facebook…». Sourire de Reda a compris l’importance d’avoir dans ses rangs des jeunes, de l’âge de ceux à qui elle veut venir en aide. Puisque les jeunes sont plus à même de raconter leurs souffrances à d’autres jeunes. Quand on lui demande si elle a un souhait à formuler quant à ce registre, la jeune Maria Laraqi souhaite que «les écoles, publiques ou privées, instaurent des cellules d’écoute entre les élèves, puis avec les professeurs pour qu’ils puissent parler en toute confiance et en toute confidentialité de leurs problèmes et de leurs souffrances».

Stop Silence reste la grande réalisation de l’association. Il s’agit du premier centre d’écoute anonyme par chat au Maroc. Une plateforme qui permet aux jeunes, en souffrance, de pouvoir communiquer. «Depuis le début, on avait conscience du fait que l’urgence était de créer un espace où les jeunes pouvaient parler de leur souffrance. Stop Silence a vu le jour le 5 février 2011. C’est une écoute qui est dans le non-jugement. Le rôle des écoutants qui sont bénévoles et anonymes, c’est de permettre aux jeunes d’identifier les ressources autour de lui, lui éclairer le chemin», explique Fadela Bennani Smires, secrétaire générale de Sourire de Reda. L’anonymat et la confidentialité sont totalement garantis. Une équipe d’écoutants bénévoles se relaie sur «Stop Silence». L’emplacement du centre d’écoute est également confidentiel. «Les écoutants bénévoles, fortement engagés dans l’accomplissement de notre mission, constituent l’espace Stop Silence. Ces écoutants ont été rigoureusement sélectionnés puis formés selon les normes internationales de l’écoute. L’équipe est supervisée régulièrement par des psychologues», confie-t-on du côté de l’association. Le centre d’écoute est adapté aux horaires des collégiens et des lycéens. Il fonctionne de 18h30 à 21h00, les lundis, mardis et jeudis. «Les écoutants suivent une formation rigoureuse. Ils ont  une grande capacité d’écoute et font une évaluation très rapide du risque suicidaire qui leur permet d’adapter leurs échanges. Si le risque est élevé, les écoutants savent comment gérer la situation et orientent les intéressés vers des médecins. Les écoutants sont supervisés par des psychologues pour leur propre équilibre émotionnel, mais également pour la sécurité des appelants», explique Véronique Fima, directrice de Sourire de Reda.

L’association mène chaque année une campagne de sensibilisation. Comme celle sur la pression scolaire où l’en entend un jeune décrire sa souffrance : «Je bosse comme un fou et j’arrive à peine à la moyenne. Si je n’y arrive pas, je serai la honte de la famille… Je suis nul… Qu’est-ce que je pourrais faire de ma vie… Plutôt en finir». Et des mots clés qui résument cette souffrance: découragement, peur de l’échec… Idées suicidaires.

L’espace de ch@técoute «Stop Silence» en 2015, ce sont 5 477 appels pour 537 heures d’écoute. Pour ce qui est des  types de souffrances recensées, on retrouve l’estime de soi, les problèmes de communication, les difficultés scolaires, les violences morales et physiques, l’addiction, le harcèlement, la sexualité et les pensées suicidaires.

Harcèlement, violence…

Pour aller à la rencontre des jeunes, Sourire de Reda a multiplié ces dernières années les actions de prévention dans les collèges et lycées publics et privés de Casablanca. «Nous animons un stand pendant la journée. Nous sommes formés pour parler aux jeunes, être sur le terrain et proposer également la solution de Stop Silence», explique Maria qui constate que les jeunes, issus de familles pauvres ou riches, peuvent tous traverser des moments de grande souffrance. Victimes de harcèlement, enfants battus, faisant face à la perte d’un parent, d’un divorce… la souffrance reste la même. «Les jeunes sont demandeurs. Ils posent des questions, sont très intéressés par le sujet», ajoute Mme Bennani Smires. Les campagnes de sensibilisation dans les collèges et les lycées sont une activité centrale de l’association. La dernière en date a eu lieu le 13 mai dernier, au collège Khnata Ben Bekkar de Casablanca. Des élèves de 14 et 15 ans ont ainsi interagi avec la présidente de l’association. Dans son site, Sourire de Reda invite les établissements scolaires à les contacter pour une intervention sous la forme de stands ou d’ateliers-débats dans les classes, dès le CM2 (10 ans) et jusqu’au lycée. Avec comme thèmes abordés: la souffrance des jeunes, le harcèlement, la violence verbale et physique… «On discute avec eux sur comment repérer un jeune qui souffre, comment l’aider. Les jeunes parlent de tout et ont beaucoup d’empathie. On leur remet une carte relais indiquant l’adresse de notre site et  de l’espace de ch@técoute Stop Silence», ajoute Mme Fima.

L’association a également créé un guide de prévention «Comment intervenir face à un  adolescent en détresse?», et ce, en étroite collaboration avec des spécialistes de la suicidologie. Un outil précieux pour la prévention. Le site de l’association propose d’ailleurs toutes sortes de services. A l’image d’un questionnaire, «Préjugés sur le suicide ?», qui fait la part des choses sur le suicide, des vérités, mais également des idées reçues. «Etre mieux informé peut t’aider à les dépasser et te permettre toi aussi d’être un acteur de la prévention», peut-on lire en introduction de cette page. Une autre propose aux jeunes d’envoyer leur témoignage. Intitulé, «C’était dur, mais tu t’en es sorti», la rubrique permet à des jeunes qui ont ou traversent un moment difficile, de partager avec les autres, ne plus se sentir seuls et tendre la main aux autres : «Ton témoignage est important. Il montrera à d’autres jeunes qu’ils ne sont pas seuls à vivre dans la souffrance et que celle-ci finit un jour par s’arrêter. Partage ton histoire avec nous en écrivant quelques mots, ou en nous envoyant une photo, un dessin, une vidéo ou un lien. Choisis le moyen par lequel tu veux témoigner». Sourire de Reda porte des rêves encore plus grands pour les années à venir. Reconnue aujourd’hui par les spécialistes de la santé mentale au Maroc et à l’étranger, l’association veut sortir de Casablanca et toucher le reste du Maroc. Elle le fait via le net grâce à Stop Silence accessible à tous les adolescents du Royaume. «On aimerait bien dupliquer le modèle existant à Casablanca dans d’autres villes du Maroc. Et que ces structures puissent à leur tour rayonner dans les villages et le milieu rural», conclut tout en espoir Fadela Bennani Smires.