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Société

Sofia ? Star sûrement, mais… cela n’a pas suffi

Avec ses douze ans de danse, trois ans de chant et des dons singuliers, Sofia,
la Marocaine, avait largement de quoi remporter la demi-finale de «Star
Academy III».
Le public en a décidé autrement.
Atteindre la demi-finale de «Star Academy» est néanmoins plus
qu’un lot de consolation, c’est une véritable consécration.
Qui est Sofia Essaïdi ? Portrait d’une star au grand coeur.

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«J’étais sûre qu’elle allait gagner facilement. Et voilà qu’elle est éliminée. C’est injuste !» C’est en ces termes indignés que Meriem, dix ans, s’exprime. Houda, quinze ans, confesse, elle, avoir pleuré à chaudes larmes quand le verdict du public est tombé tel un couperet. Hassan, cadre supérieur, ne cache ni son intérêt, moqué par ses meilleurs amis, pour les prouesses de Sofia, ni son dépit quand son héroïne a été sacrifiée sur l’autel cathodique. «Avec les honneurs», précise-t-il, martialement. Dans le camp des inconditionnels de la belle «academycienne», Sofia Essaïdi, c’est l’amertume, exprimée sur des tons parfois résignés, souvent acides. A la veille de ce vendredi 12 décembre fatidique, ils étaient sur un nuage. Au sortir de l’émission «Star Academy», ils étaient effondrés. La demi-finale de l’épreuve fut fatale pour la Marocaine Sofia. Non pas qu’elle eût démérité, mais parce qu’elle s’est aliéné les faveurs du public à la suite d’un cruel et soudain revirement.
Ce même public avait les yeux de Chimène pour Sofia, quand elle s’offrit à sa vue, à l’orée de la troisième «Star Academy». Il faut dire que la jeune Marocaine arborait de solides arguments. Alors que ses rivaux en étaient à leurs balbutiements dans le chant et la danse, elle avait déjà douze années de danse dans les jambes et trois ans de chant. C’est sous la baguette inspirée de Christie Caro, à Casablanca, qu’elle avait fait ses premières vocalises. Celle-ci s’en souvient avec une émotion non retenue : «Elle avait seize ans quand elle s’est inscrite à mon cours. D’emblée, elle s’est révélée au chant. Au début, elle possédait une voie très fine, qu’elle a su développer intelligemment et aisément. Car elle comprenait vite. Et en deux ans de cours, elle est parvenue à accomplir ce que tout élève normal ferait après six ans de cours». Douée, Sofia l’est au-delà de toute expression. Et ce n’est pas Jean Daniel Vitalis, directeur de l’école où elle apprenait le piano, qui le démentirait : elle était sa meilleure élève.

A l’âge de huit ans, Sofia était déjà une bête de scène
Une autre de ses professeurs, Latifa Hajjaj, se répand, elle aussi, en éloges attendris sur le prodige. En trente-cinq ans de métier, elle n’avait rien vu de comparable : «Elle avait six ans quand elle s’est présentée à mon cours de danse. Dès le départ, j’avais flairé chez elle une fibre artistique ineffable. Deux ans plus tard, j’en ai eu l’heureuse confirmation, lors de sa première prestation sur scène. Elle était, à son âge, une véritable bête de scène». De la part d’une chorégraphe de l’acabit de Latifa Hajjaj, cet hommage au talent de Sofia est à prendre pour argent comptant.
Muni d’un si précieux viatique, Sofia ne se fit pas faute d’éclabousser ses infortunés compagnons de la «Star Academy». D’entrée de jeu, elle retint l’attention des observateurs. La presse l’encensa, le public était à ses genoux. Et quand elle interpréta, merveilleusement, le 27 septembre, aux côtés de Serge Lama, la chanson Je suis malade, sa cote atteignit des sommets himalayens.
Une question turlipine : quand on est, à l’instar de Sofia, nanti artistiquement, devrait-on avoir besoin de la Star Ac comme tremplin à ses aspirations, au risque d’essuyer une galère ? Car la Star Ac, malgré ses apparences clinquantes, constitue un calvaire. D’abord, on n’y entre pas comme dans du beurre. Loin s’en faut. Des milliers de cassettes vidéo sont envoyées par des postulants. Une centaine est retenue dans le tas, leurs interprètes sont soumis à une audition en bonne et due forme. Soixante sont choisis, qui doivent subir des épreuves devant un jury. Vingt-six d’entre eux sont sélectionnés. Seuls seize franchissent les éliminatoires. Les heureux élus ont alors droit d’accès au château de Dammarie-Les-Lys, où ils ne méneront pas une vie de châtelains.
Rendez-vous compte : des cours à longueur de journées, des entretiens accordés à des heures indues, une pression continuelle, et, en prime, la contrainte de vivre dans une sorte de promiscuité, au milieu de personnes jusque-là inconnues, qui violent votre intimité. Mais ces désagréments se doublent d’appréciables gratifications, comme le souligne Kamil El Kholti, conseil en communication, qui a côtoyé la star : «Dans le monde du spectacle, il y a beaucoup d’appelés et peu délus. Même les plus doués peinent longtemps avant de se faire reconnaître. Il a fallu plus de vingt ans pour que Jacques Brel se fasse un nom. A cet égard, la Star Academy constitue un formidable accélérateur. Avoir l’aubaine de chanter avec des vedettes devant des millions de téléspectateurs est loin d’être négligeable. On se fait connaître en un temps record. Sofia en est conciente. Elle affirme que par le truchement de la Star Academy, elle gagne dix ans». Bien qu’invoquant des raisons différentes, Christie Caro partage cet avis : «Pour quelqu’un qui désire faire carrière dans la chanson, la Star Academy est indiquée. Pendant trois mois, on y apprend un tas de choses utiles. Et surtout à travailler rapidement. Quand vous avez trois jours pour préparer un spectacle que vous devrez donner sur un prime, vous subissez une sacrée pression, mais vous apprenez à travailler vite». De cet intérêt, Sofia prit vite conscience.
Dès l’éclosion de la «Star Academy», elle fit part à Christie Caro de son dessein de s’y présenter. Elle passa à l’acte, en 2002, sans résultat. Ce ne fut que partie remise. En 2003, les portes du château lui furent largement ouvertes.
Sofia y entra en conquérante. Sa voix se distingua d’emblée. «Elle est chaude, chaleureuse, et surtout juste, témoigne Christie Caro. Quand Sofia dit «Je t’aime», elle ne jette pas cette déclaration n’importe comment. Cela émane de son cœur». Une voix incroyable, appréciaient en chœur les journaux. En termes aussi superlatifs était exprimé l’engouement des observateurs pour son art de la danse. «Sublime !», s’émerveille Kamel Ouali, le chorégraphe de la Star Ac. Ce dernier, emporté par sa flamme, lui confiait des numéros sidérants, dont elle s’acquittait brillamment. Autant de vertus portées par un corps sensationnel : une silhouette de liane, des jambes interminables, une sensualité étonnante. Avec de telles munitions, elle crevait littéralement l’écran à chacun de ses passages. Romain fit son siège, Lukas était éperdu d’amour pour elle, Patxi l’adorait. Mais la farouche Sofia les dédaigna pour mieux se frayer un chemin vers la gloire. Elle lui était acquise, d’autant qu’il émanait d’elle un charisme auquel succombaient les téléspectateurs. La voilà donc accomplissant un parcours irréprochable sous les yeux éblouis de millions de Français et de Marocains. Ceux-ci étaient encore plus ravis. Ils portèrent Sofia au pinacle et en firent une gloire nationale.

Sa visite à Casablanca provoque l’hystérie
La production de «Star Academy» eut la lumineuse idée d’organiser un séjour pour Sofia au Maroc. A peine descendue d’avion, la vedette fut assaillie, provoquant une émeute que l’escorte policière eut du mal à juguler. «Sofia, tu es la star du Maroc !», «Sofia, tu es la meilleure !», lisait-on sur des pancartes brandies à bout de bras par des dizaines d’enfants. «Cela fait trois jours que ma fille ne dort plus. Elle est excitée comme jamais», s’affole une maman. Pendant ce temps, Sofia signait des autographes, accordait des entretiens et prenait un bain de foule au milieu de ses fans. A ses côtés, ses deux frères, Kamil et Mehdi, veillaient au grain. Ils étaient enchantés de recueillir un peu de cette gloire qui déferlait sur leur frangine. La mère, Martine, bien que dépassée par la popularité démesurée de sa fille, ne cachait pas sa fierté. Ses anciens professeurs de danse et de chant n’étaient pas les moins heureux. A l’occasion du ftour concocté en son honneur, ils improvisèrent, sur une chanson de Patrick Fiori: Que tu reviennes, on ne s’y attendait plus!
Kamil El Kholti, maître d’œuvre de cette visite triomphale, n’en revient toujours pas. Sofia a déchaîné un délire jamais égalé, et suscité des vocations. Nombreuses sont les mamans, rêvant de gloire future pour leurs enfants, qui les ont inscrits à des cours de chant et de danse.
Après l’euphorie, la brutale désillusion. Par un revirement médusant, le public qui, naguère tressait des lauriers à Sofia, se mit à se détacher de la brunette, transférant ses faveurs à la blonde Elodie. Tout en convenant qu’elle possède des atouts artistiques majeurs, jamais pris en défaut, on lui fit grief de quantité de «travers». Elle serait insensible, hautaine, calculatrice et artificielle … N’en jetez plus ! Tandis qu’Elodie, elle, aurait de précieuses qualités de cœur. Faisant étalage de sa sensiblerie, elle s’effondrait à chaque fois qu’elle butait sur un air. Cette fragilité, plus ou moins jouée, servit sa cause aux yeux d’un public sensible aux effusions lacrymales. Elle marqua des points surtout en affichant son idylle avec Edouard, le candidat éliminé. Quant elle interpréta l’Hymne à l’amour, en pensant, prétendit-elle, à son chéri, elle fit pleurer dans les chaumières. «Manigances que tout cela !», s’indigne Latifa Hajjaj, que le procès intenté à son élève favorite écœure : «On lui reproche à tort d’être hautaine. Or, Sofia est d’une grande sensibilité sans verser dans la sensiblerie. Elle a toujours été généreuse, attentive aux autres, sans se départir de son franc-parler. Ce qui peut déranger». De là à conclure à une conspiration ourdie contre Sofia, il n’y a qu’un pas que notre interlocutrice n’hésite pas à franchir, montrant du doigt la production qui aurait cherché à ébranler la Marocaine en exigeant énormément d’elle, puis aurait multiplié les reportages pendant le prime time sur l’idylle d’Elodie et Edouard. La presse, elle aussi, aurait poussé à la roue, en transformant le duel entre la brune et la blonde en une joute interethnique. Toujours est-il que plus la confrontation approchait, plus la cote d’amour de Sofia auprès du public fléchissait au profit de la fragile Elodie. Les jeux étaient faits. Sofia ne se faisait aucune illusion. Au détour d’un entretien, elle déclara être persuadée de n’avoir aucune chance de gagner.
Le dénouement de la demi-finale lui donna cruellement raison. La brune aux jambes sublimes interpréta, de manière flamboyante, Vivre, Femmes des années 80, D’aventure en aventure. Elle était confondante d’aisance dans ses duos avec Serge Lama et Garou. On a frémi d’aise, on était transporté, on a chaviré, on a applaudi à tout rompre. Puis, le verdict est tombé : 67% des téléspectateurs ont plébiscité Elodie. Non, Sofia n’a pas trébuché sur l’avant-dernière marche. Elle aurait fait une gagnante idéale, mais le bon plaisir d’un public, manipulé peut-être, ou tout simplement chauvin, en décida autrement. Fin d’un rêve.