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Société

Sidi Frej : Mémoire d’un haut lieu de la psychiatrie au Maroc

• Ne figurant sur aucune carte touristique de la ville de Fès et ne faisant partie d’aucun circuit touristique, à part quelques brefs passages obligés, compte tenu de sa proximité du mausolée de Moulay Idriss, l’asile psychiatrique, plus connu sous l’appellation de Maristane de Sidi Frej, est pourtant un haut lieu d’histoire et de mémoire…

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Sidi Frej est pourtant bien ressuscité il y a quelques années, dans le cadre d’un vaste programme de réhabilitation de la Médina de Fès. Pour retrouver une seconde vie, les travaux s’étaient étendus sur 30 mois et ont coûté près de 17 MDH. Ils ont ainsi porté sur la restauration de la structure de l’asile ainsi que l’aménagement de l’environnement immédiat (souk El Henna) et le transfert des activités existantes vers un nouveau Fondouk à proximité.

Selon l’Agence pour le développement et la réhabilitation de la ville de Fès (ADER), qui en a assuré la maîtrise d’ouvrage, la réhabilitation du maristane (1 000 m2) devait permettre, entre autres, la création d’une unité de soins comprenant des salles d’auscultation, ainsi qu’un musée de médecine traditionnelle, un carrefour de vente de plantes médicinales, une bibliothèque et une salle de conférences.

L’objectif premier de toute l’opération était de faire en sorte que le site puisse retrouver une fonction sanitaire. Une manière de renouer avec le passé du mythique maristane, imposant et renommé, au point d’entrer dans le langage courant des Fassis, puisque Sidi Frej était utilisé comme synonyme de l’aliéné, de sot et de simple d’esprit… Mais, qu’est-ce qui fait qu’un tel lieu a pu, des années durant, et aujourd’hui encore, avoir une telle réputation ?

Fondé par les Mérinides au XIIIe siècle, Sidi Frej ou le maristane de Fès a fonctionné comme un hôpital et un hospice pour les indigents et les malades mentaux jusqu’au XXe siècle. De nos jours, un imposant foundoq, abritant diverses boutiques occupe son emplacement initial. Situé entre la rue Tala’a El-Kebira et la Zawiya de Moulay Idriss II, il s’ouvre sur son côté ouest, sur une petite place publique, distinguée par les arbres en son centre, qui était historiquement désignée comme le Souk El-Henna (Le marché du henné).

Naissance d’un asile unique au monde

Le maristane de Fès doit son existence au Sultan mérinide Abu Ya’qub Yusuf  qui a régné de 1286 à 1307. Ses opérations étaient financées et maintenues par des dotations des habous sous forme de waqf. L’institution a peut-être influencé la fondation et la fonction d’établissements similaires ailleurs au Maroc et en Espagne, y compris un hôpital pour les malades mentaux fondé en 1410 à Valence.

A ce sujet, les récits s’accordent tous sur le fait que Sidi Frej aurait servi de modèle à la construction du premier hôpital psychiatrique du monde occidental, à Valence en Espagne en 1410. En témoignent d’ailleurs les plaques apposées en 1993 par l’association marocaine d’histoire de la médecine à l’emplacement du maristane.

Situé au centre de la médina de Fès, près de la place Nejjarine, tout près du mausolée de Moulay Idriss, Sidi Frej est composé d’un rez-de-chaussée avec un étage où étaient hospitalisés séparément les hommes et les femmes. Une cour intérieure servant de lieu de promenade aux pensionnaires y a été conçue dans la pure tradition architecturelle andalouse de l’époque.

À l’origine, il fonctionnait comme un hôpital complet traitant de différents domaines de la médecine, reflétant l’état relativement avancé de la médecine dans le monde musulman à l’époque. Une particularité du traitement des maladies mentales à Sidi Frej, comme d’ailleurs dans l’ensemble des maristanes du monde islamique, est qu’ils étaient soignés avec de la musique, des arômes, de l’eau et d’autres méthodes destinées à les apaiser. Le maristane de Sidi Frej devint l’institution la plus célèbre et la plus importante de son genre à Fès, et fut visité par les principaux érudits en médecine de l’époque, comme Abu Bakr al-Korachi, un Andalou de Malaga.

En 1350, soit près d’un demi-siècle après sa création, le Sultan Abou Inan agrandit l’édifice.

Vers la fin du 15e siècle, le maristane a été confié à un médecin nommé Faraj El Khazraji, d’où la dénomination possible de maristane sidi Frej. Des écrits historiques avancent que la direction de l’établissement a toujours été confiée aux médecins les plus réputés, et sa gestion assurée par un administrateur, sous le contrôle d’un “nadir” des Habous. Outre le financement provenant du trésor de l’Etat, des biens de mainmorte (habous) lui furent attachés. Une décision qui relevait, à l’époque, d’une clairvoyance évidente et qui allait assurer son bon fonctionnement, au point d’en faire un exemple.

Toutefois, les versions des historiens varient à ce sujet. Si certains attribuent sa dénomination au médecin Sidi Frej, d’autres sont moins catégoriques. Ils l’attribuent surtout au lieu du maristane qui se situe à Bab Al Faraj (porte du soulagement ou de délivrance). Près du souk el Attarine et du souk el Henna se trouve l’endroit où sont logés les gens qui ont l’esprit malade, les fous. Cet endroit est désigné par le nom de Sidi Frej, quoiqu’il n’y ait là aucun personnage interné portant ce nom, ni aucun tombeau. Cette maison a été bâtie par un Sultan pour y réunir les musulmans malades et n’ayant pas de ressources, et on lui a donné le nom Bab el Faraj parce que «les malades y trouvent un soulagement à leurs maux…», lit-on ainsi dans «Psychanalyse en terre d’islam» de Jalil Bennani, paru en 2000.

Musique, oiseaux et traditions

Le passage du médecin Faraj El Kharzraji aura été marqué par la nouvelle dimension qu’il a donnée au maristane en décidant qu’à certaines heures les musiciens jouaient devant les malades pour les faire bénéficier des ressources thérapeutiques de l’époque. Des concerts de musique andalouse auraient continué d’y avoir lieu tous les vendredis, jusqu’au 19e siècle. Un grand ponctuel concert était donné chaque année, à l’occasion de Aïd Al Mawlid Annabaoui. Intitulé la «Mouloudya», ce concert nocturne était animé par des chanteurs et musiciens de la musique «Al Ala» et du «Malhoune» qui chantaient un ensemble de «qassaïd» sur la naissance, la vie, le message et la mort du Prophète. En plus, bien sûr, des séances de cure quotidiennes, instaurées par El Khazraji et celles des vendredis…

Le maristane avait également la curieuse tâche de fonctionner comme un hôpital pour cigognes, soignant les grues et les cigognes malades ou blessées, et enterrant celles qui mouraient. Cette charité envers les animaux a été rendue possible grâce aux dons et aux legs de diverses personnes au fil des ans.

Près du maristane et de souk El henna se trouve une fontaine publique de rue connue aujourd’hui sous le même nom (Seqayat Sidi Frej). Celle-ci est, à elle seule, un monument historique qui donne une riche idée sur ce qui suit sur le parcours. Toute ornée de zelij et de marbre et avec son ancien auvent en bois, de conception relativement simple, avec une inscription soigneusement calligraphiée, la fontaine  contient l’inscription originale de la fondation. Un texte qui décrit la création de la fontaine en faisant l’éloge de son fondateur, Abd al-Haqq II (le dernier Sultan mérinide). Il mentionne également que la construction de la fontaine a été supervisée par le vizir du Sultan, Abu Zakariya Yahya ibn Ziyan al-Wattasi (qui a fondé la dynastie Wattaside). Enfin, il indique que la construction s’est achevée le 11 novembre 1436 (correspondant à Jumada I de 840 de l’Hégire). Il est aussi mentionné que la fontaine a été restaurée en 1090 de l’Hégire (1679).

Du déclin à la renaissance

Selon plusieurs chercheurs, Leon l’Africain a travaillé comme secrétaire administratif (‘adl) du maristane pendant deux ans à la fin du XVe siècle. Il a remarqué dans ses écrits que les services de l’hôpital avaient déjà connu le déclin à cette époque, les patients étant souvent simplement confinés dans leur chambre, retenus et parfois maltraités. Par conséquent, pendant la plus grande partie de son histoire, le maristane semble avoir servi principalement d’hospice offrant un abri et de la nourriture aux indigents, aux malades mentaux et aux autres individus exclus de la société. Le maristane continuait à fonctionner à cette simple fin jusqu’en 1944, date à laquelle il a été détruit par un incendie.

En 1951, le site du maristane d’origine a été adapté ou reconstruit en foundoq à l’architecture traditionnelle, jusqu’en 2018, où les travaux de réhabilitation et de rénovation ont été lancés avec l’idée de le reconvertir en centre offrant aussi des services médicaux. Des travaux qui ont remis en état Sidi Frej, un espace qui vaut vraiment le détour.