Société
Santé mentale : Questions à Omar Batas, Directeur du Centre psychiatrique du CHU Ibn Rochd
Omar Batas : «La mise en place de structures intermédiaires est impérative dans la chaîne des soins».

La Vie éco : La santé mentale au Maroc : quel état des lieux ?
n On peut dire qu’elle subit une évolution favorable depuis 2012. En effet, après le rapport du CNDH qui met le doigt sur l’état des structures et le manque des ressources humaines notamment des assistantes sociales, des ergothérapeutes, des arthérapeutes, des psychothérapeutes, etc., le ministère de la santé a érigé la santé mentale en priorité dans sa stratégie et depuis, des actions ont été menées pour apporter des améliorations.
Mais, selon le praticien que vous êtes, que faut-il concrètement faire pour améliorer ?
Il faut faire un effort en matière de formation des médecins psychiatres qui sont seulement 400 pour l’ensemble du pays. Il faut penser à augmenter le quota alloué par le ministère à cette spécialité. Il faut aussi augmenter le nombre de lits. Et surtout créer les centres de réhabilitation qui sont un maillon impératif dans la prise en charge des patients en phase de stabilisation ou stabilisés. Il existe déjà un centre opérationnel à Casablanca, et un autre est en chantier à l’hôpital Errazi à Salé. En ce qui concerne notre centre, les travaux du centre de réhabilitation vont incessamment commencer…
Et en ce qui concerne les ressources financières ?
Pour les centres psychiatriques relevant des CHU, le budget est intégré dans le budget de l’hôpital. Nous sommes quelque peu limités, mais nous avons bénéficié au niveau de Casablanca, il y a 4 ans, d’un budget de 8 millions de dirhams alloué aux médicaments dans le cadre d’un partenariat de la Wilaya, la Région du Grand Casablanca, la mairie, du ministère de la santé et de l’INDH. Ce qui nous a permis au niveau du centre de couvrir les frais de 40%, des médicaments de nouvelle génération.
Où se situe l’offre du secteur publique par rapport au secteur privé ?
n Il est certain que dans les structures privées, les installations et les équipements sont de meilleure qualité. Mais le coût est élevé. Au niveau du centre nous recevons à plus de 90% des bénéficiaires du Ramed. Donc des patients aux moyens financiers limités. Et toutes les personnes ayant une assurance privée vont vers les structures du secteur libéral.
Par ailleurs, est-ce que le projet de loi élaboré et non encore adopté peut contribuer au développement de la santé mentale ? Et pourquoi ce secteur a-t-il besoin d’un cadre réglementaire ?
C’est une question pertinente. Il faut une loi spécifique car c’est l’unique spécialité médicale où l’on brave l’aspect consentement dans la relation patient et médecin. Si le cas nécessite une hospitalisation, la décision doit être prise par le praticien sans laisser de choix au malade ni à ses proches. Le médecin est tenu par un protocole thérapeutique. Mais il faut dans ce cadre protéger le droit aux soins et protéger les droits à la dignité du malade. In fine, c’est pour éviter d’éventuels abus et autres dérapages.
Ce projet a été très critiqué par les médecins psychiatres, que lui reprochent-ils en gros ?
En ce qui me concerne, on peut dire que les professionnels n’ont pas été associés au processus d’élaboration alors que cela s’impose afin d’avoir une loi adaptée à la réalité du terrain. Deuxièmement, la définition retenue du trouble mental n’est pas conforme aux normes de l’Organisation mondiale de la santé. Il faut aussi noter que le projet alourdit beaucoup le processus administratif de prise en charge notamment les hospitalisations, ce qui peut être grave pour l’état du patient. Il faut je pense un bon toilettage de ce projet…
A Lire aussi :
Santé mentale : les patients souffrent aussi d’une sérieuse stigmatisation
