Société
‘‘Routini Al Yawmi’’ : Une tendance digitale qui ne fait pas l’unanimité
• Se filmer dans son salon, sa cuisine ou encore sa chambre pour immortaliser ses rituels et ses gestes quotidiens est devenu une mode.
• Connues ou pas, plusieurs youtubeuses inondent la plateforme «Youtube».
• Si certains citoyens consomment passivement ces images, d’autres déplorent cette curiosité malsaine…
Selon les statistiques officielles, un Marocain a en moyenne sept comptes sociaux et il est connecté durant 3 h 54 minutes en moyenne dont 2h29 sur les réseaux sociaux. Le pays enregistre un fort taux de pénétration d’internet qui avoisine les 80%. Des chiffres qui attestent de la maturité de l’écosystème numérique au Maroc, d’un point de vue économique, social et administratif si l’on considère les diverses prestations et services proposés aussi bien par les entreprises que par les services publics. La crise sanitaire a marqué un tournant majeur dans l’évolution de l’écosystème digital qui a connu une importante dynamique. Ainsi, le confinement a créé des opportunités pour régler des problèmes quotidiens en proposant plusieurs services à la population, notamment la télé-médecine, le télé-achat et le télétravail. Durant cette conjoncture de crise s’est développé, ce que plusieurs sociologues qualifient de «phénomène de société» : le «Routini Al Yawmi», littéralement ma routine quotidienne. Le concept est simple et consiste à se filmer dans sa routine journalière et présenter ainsi son rituel d’hygiène, de soins et de make-up, de ménage et d’entretien de son intérieur et de cuisine. Selon Abdelkader Mana, chercheur en sociologie, «ce phénomène est favorisé par l’évolution de la situation des médias et précisément de la facilité technique apportée par la révolution numérique mondiale. Ce qui permet la réalisation de vidéos largement et facilement diffusées. Et l’impact de l’image est fort et important». En effet, les plateformes de réseaux sociaux, en particulier YouTube, ont ouvert la porte aux citoyens pour s’exprimer comme ils le souhaitent.
Les vidéos de «Routini Yawmi» cartonnent. Au lieu de se raconter par écrit, les youtubeuses optent pour la vidéo, réalisant ainsi des vlogs, car l’impact de l’image est plus important. Au-delà de l’aspect technique de la chose, se pose, de l’avis de Oussama Choubaii, directeur général de l’Agence Digitancy, «la question de savoir quel usage on en fait et quel est le profit et l’intérêt que l’on peut en tirer».
Cibles : les classes sociales modestes et populaires…
La notion d’influence n’est pas nouvelle, puisque plusieurs leaders d’opinion, d’acteurs, de stars et d’égéries sont présents, depuis longtemps, présents sur les réseaux sociaux en vue d’avoir une plus grande notoriété et une plus grande influence. Abondant dans ce même sens, des sociologues précisent que ce phénomène n’est pas nouveau, puisqu’il est apparu lorsqu’aux USA les citoyens ont commencé à utiliser leurs smartphones pour regarder ce qu’ils voulaient. Et d’ajouter : «On ne peut pas parler uniquement de fait social de voyeurisme mais c’est également, et de plus en plus d’ailleurs, une pratique commerciale». Car les enseignes d’habillement, de make-up, d’électroménager ou autres produits d’entretien font appel aux vlogeuses et youtubeuses pour faire la promotion de leurs produits moyennant de l’argent.
S’exprimer à sa guise, gagner de l’argent ou simplement exposer son vécu au quotidien, l’intérêt diffère d’une vlogeuse à l’autre. Pour Fatiha, vlogeuse consacrant son Routini al Yawmi à la cuisine, «le lancement de mon compte s’est fait pendant le confinement et c’était juste une petite plaisanterie entre amies. Mais, depuis, j’ai un nombre satisfaisant d’abonnés et j’ai été contactée par une société agroalimentaire pour utiliser ses produits dans mes recettes. Je ne prévoyais pas gagner de l’argent mais maintenant c’est possible et j’en suis contente !». Pour Afaf El Ouadrassi «le blog est un espace d’expression pour parler de tendance, de look dans le cadre d’une petite communauté. Avec ma sœur Marwa, nous avons lancé Afaf&Marwa et on en a fait un hobby pour nous ouvrir les gens de notre génération. Par ailleurs, cela m’a permis de dépasser ma timidité et de m’exprimer en toute autonomie et indépendance». Cette expérience a permis aux sœurs, une fois leurs études terminées, d’avoir un bon réseau qui les a aidées et a facilité leur recherche d’emploi. Mais, Afaf El Ouadrassi reconnaît que «les choses ont évolué et cela permet aujourd’hui de gagner de l’argent, puisque nous avons été contactées par plusieurs enseignes de prêt-à-porter ou encore d’agroalimentaire pour la promotion de leurs produits. Nous avons également pu faire de nombreux voyages à l’étranger et enrichir nos connaissances». Pour Afaf El Ouadrassi, dont le blog est suivi par 138 000 abonnés, «il s’agit d’une expérience enrichissante a plusieurs égards et aussi une source de revenus. Mais la qualité du contenu reste déterminante. Il faut donner à l’internaute du contenu qualitatif donc utile, informatif, formateur et aussi donner de l’inspiration…». Mais ce souci de qualité de contenu n’est malheureusement pas partagé par toute la communauté de bloggeurs, avance Abdelkader Manna, sociologue, «car le contenu est très souvent banal et n’a aucun apport pour les spectateurs». Globalement, les adeptes de ces vidéos sont, de l’avis de Mohamed Badr Bennani, psychologue, «curieux et ont besoin de voir et de savoir ce qui se passe chez les autres et de suivre leur quotidien même inintéressant. On peut dire qu’il s’agit d’un fantasme».
Et d’ajouter que «globalement, ce routini Al Yawmi cible les spectateurs appartenant à la classe sociales modestes et populaires». Mais, selon M.Manna, «il faut distinguer deux types de consommateurs de ces vidéos : ceux qui consomment passivement ne font aucun effort et on peut dire qu’ils sont dans un état de paresse intellectuelle. Ils sont hypnotisés par l’image. Alors, que d’autres, plus exigeants sont très sensibles au contenu et estiment que ces vidéos de routine quotidienne n’ont aucun apport pour eux». Pour ces derniers, le contrôle du contenu et la réglementation de ces blogs s’imposent.