Société
Révision de la Moudawana : Questions à Nouzha Skalli, Militante pour les droits de la femme et ex-ministre de la famille et de la femme
«Il faut promouvoir la culture de l’égalité».

La Vie éco : La révision de la Moudawana est à l’ordre du jour, qu’en pensez-vous ?
Il y a quatorze ans, l’adoption du Code de la Famille a constitué une réforme majeure magistralement conduite par S.M. Mohammed VI et adoptée au Parlement à l’unanimité. Le mouvement pour les droits des femmes avait alors exprimé son adhésion et sa satisfaction unanime. Aujourd’hui, les dysfonctionnements qui sont apparus, à l’application de cette loi, révèlent qu’il faut procéder à son adaptation et l’on ne peut que saluer l’initiative royale…
En effet, on notera l’appel lancé par le Roi pour l’évaluation des dysfonctionnements et leur correction, qu’en est il de la société civile ?
La société civile n’a pas les prérogatives pour initier ce chantier. Mais elle n’a pas cessé de dénoncer les dysfonctionnements du code de la famille, notamment le mariage précoce, la polygamie, l’absence de la tutelle légale de la femme, les inégalités dans l’héritage…
L’adoption du Code de la famille est une avancée et a même ouvert la voie à plusieurs réformes concernant la femme dont la loi contre la violence à l’égard des femmes. Que pensez-vous de ce nouveau dispositif ?
Selon les chiffres officiels, 62,8% des femmes sont violentées au Maroc. Ce qui montre la nécessité de combattre résolument cette violence et de mettre en place un dispositif législatif efficace. Ceci, d’autant plus que nous assistons actuellement à une offensive idéologique contre les droits des femmes et à une recrudescence d’associations conservatrices qui infiltrent la société et qui tentent d’instrumentaliser les femmes vulnérables, seules et les mères célibataires.
C’est pour cela que nous pensons qu’il faut aujourd’hui faire preuve de volonté pour protéger les femmes et non pas se situer sur le terrain d’une bataille entre hommes et femmes. Il faut s’inscrire dans une logique égalitaire sans violence.
Les dispositions de cette nouvelle loi vont-elles dans ce sens ?
Cette loi est loin de satisfaire aux attentes du mouvement féminin et en deçà des attentes légitimes à l’ère de la Constitution de 2011 qui interdit la discrimination et la violence. En effet, l’article 19 de la Constitution proclame l’égalité en droits et libertés entre les femmes et les hommes, l’article 22 interdit «l’atteinte à l’intégrité physique ou morale de quiconque, en quelque circonstance que ce soit et par quelque personne que ce soit, privée ou publique». Les engagements du Maroc sont forts au niveau national et international.
Malheureusement, le texte ne prend pas en compte les définitions internationales en matière de violences à l’égard des femmes. Le viol conjugal n’est par exemple pas puni tout comme le vol entre conjoints et le principe de la «diligence voulue», qui est recommandé par les Nations unies en matière de lutte contre la violence, n’a pas été retenu.
Certes, les peines sont aggravées dans les cas de violence où l’auteur est le mari, le divorcé ou le prétendant ou quand la victime est mineure ou en situation de handicap. D’autre part, le harcèlement sexuel est puni mais sans en préciser ni la définition ni le sexe de l’agresseur. Le mariage forcé est sanctionné mais uniquement en cas d’utilisation de violence ou de menace et sans punir le mariage de mineures par le biais de la «Fatiha» auquel recourent ceux qui veulent contourner les dispositions du Code de la famille.
La plupart des articles de cette loi seront intégrés au Code Pénal, alors que celui-ci reste fondamentalement basé sur des concepts obsolètes, comme l’atteinte à la pudeur publique ou la pénalisation des relations sexuelles hors mariage.
Mais au-delà des lois ?
Le rôle des lois est justement de structurer les mentalités, mais il est indispensable de déployer des stratégies pour diffuser la culture de l’égalité et lutter contre les stéréotypes sexistes.
