Société
Relations sexuelles avant le mariage, les jeunes en parlent
Avec le recul de l’à¢ge du mariage et l’augmentation du nombre de célibataires, de plus en plus de jeunes passent à l’acte mais la relation reste déséquilibrée.
A peine 50% des jeunes utilisent des moyens contraceptifs.
Le logement économique a aidé les jeunes en leur donnant accès à la location de lieux sécurisants pour des rencontres amoureuses.

Intellectuelle polyglotte, Radia, 27 ans, est indépendante financièrement, célibataire, et, avantage inestimable, elle vit seule et libre de toute contrainte familiale dans un appartement qui lui appartient. Pourtant, selon ses dires, elle n’a jamais eu de relation sexuelle. Quand on lui pose la question, son visage s’empourpre et elle bafouille une réponse évasive. Le sujet est trop sérieux pour elle, et trop risqué pour l’aborder avec n’importe qui. Pas la moindre aventure sexuelle ? Impossible de lui arracher une réponse claire et, si on insiste, elle se mure dans le silence et préfère parler de ses amies. Aujourd’hui, finit-elle par admettre, de plus en plus de filles célibataires ont goûté au sexe en attendant de trouver le prince charmant avec lequel fonder un couple dans le cadre légal du mariage.
Pourtant, les amies de Radia, si elles ont fini par céder à l’appel des sens, l’ont souvent fait avec des partenaires qu’elles aiment, et en échange de promesses de mariage. «Les filles que je connais ne couchent qu’avec des garçons qu’elles aiment, qu’elles espèrent épouser un jour, car la hantise d’une fille est d’être oubliée une fois que son partenaire a eu ce qu’il voulait. Il faut savoir que le corps d’une femme est une arme de séduction qu’il faut préserver, pour mieux l’exploiter, et ne l’offrir en fruit mûr qu’à son futur mari. Le céder au premier venu est mal perçu par une société foncièrement traditionnelle qui condamne sans pitié les filles à la jambe légère.»
Ils aimeraient que le préservatif soit distribué gratuitement comme dans d’autres pays
Vision surannée d’une fille qui s’accroche aux conventions sociales, quitte à rester chaste ? De plus en plus oui, car il semble que les jeunes Marocains, garçons et filles, sont aujourd’hui beaucoup plus précoces en matière de vie sexuelle et passent de plus en plus facilement à l’acte, faisant fi du conservatisme ambiant et défiant une société au fonctionnement schizophrénique entre la rigueur des règles implicites et une réalité beaucoup plus laxiste. La sociologue Soumia Naâmane Guessous, auteur de Au-delà de toute pudeur, best-seller sur la sexualité des Marocains, en convient. Depuis vingt ans que son enquête a été menée, les mÅ“urs ont-elles changé ? Pas autant qu’on ne le pense, répond-elle d’emblée (voir entretien en page suivante). Mais la société, en l’espace de vingt ans, a évolué à coup sûr, concède-t-elle.
Faute de statistiques sur le sujet, «tout laisse croire qu’il y a de plus en plus de jeunes qui ont des rapports sexuels avant le mariage. Les hommes ont cependant l’avantage, vu leur statut social, de pouvoir multiplier les relations sexuelles avec plusieurs partenaires. Ils sont plus libres de leur corps que les femmes. Ajoutez à cela le marché de la prostitution, professionnelle ou déguisée, qui constitue un champ prospère o๠ils puisent aisément. Côté jeunes filles, on a l’impression qu’elles se libèrent, aussi, de plus et plus facilement.» Le hic est que les mentalités ne suivent pas. Par preuve : la virginité de la femme reste du domaine du sacré.
La Marocaine continue à y tenir dur comme fer, et l’homme, égoà¯stement et hypocritement, à la désirer. «Les jeunes filles continuent de lier leur valeur sur le marché à l’aune de la sauvegarde de cette membrane qu’est l’hymen», enchaà®ne Soumia Naâmane. Quitte à pratiquer le sexe d’une façon superficielle, «à s’adonner à la fellation ou à la sodomie, pour éviter autant que faire se peut la pénétration», soutient Abderrazak Moussaà¯d, sexologue. Il faut dire que, faciles d’accès, les sites pornographiques sont là pour stimuler les appétits des jeunes et leur montrer ce qu’il faut faire.
Tous les jeunes ne sont pas comme Radia, ils sont audacieux et sautent le pas sans embarras. C’est le cas de Ahmed, 25 ans. Il avait 17 ans quand il a couché pour la première fois avec une fille. Les deux tourtereaux se sont rencontrés à la même école supérieure o๠ils suivaient leurs études. Le courant est passé entre eux et, de fil en aiguille, et après les préliminaires d’usage, nos deux jeunes en sont venus aux «choses sérieuses». Non sans hésitation pour elle, mentalité marocaine oblige. Mais nos deux jeunes ont vécu l’acte sexuel avec beaucoup de plaisir, et sans complexe. Il faut dire que la jeune fille n’était pas novice en la matière.
Ahmed, à sa grande surprise, découvre que sa copine s’est débarrassée de cette membrane «sacrée» à laquelle elles (et ils) sont si nombeuses à s’accrocher jalousement. En a-t-il été choqué ? Plutôt étonné. «Je croyais les filles conservatrices et soucieuses de leur virginité. Je découvre tout à fait le contraire. C’est moi qui me suis découvert vieux jeu», avoue-t-il. La relation a duré quatorze mois. Des moyens de prévention ? «Toujours le préservatif», confesse Ahmed. «Et franchement nous trouvions son coût élevé par rapport à nos moyens, d’autres pays le distribuent gratuitement, pourquoi ne pas le faire un jour chez nous ?»
Une seule contrainte, et de taille, les a gênés : trouver un lieu o๠se livrer, sans inquiétude, à leurs ébats amoureux. Sachant que les relations sexuelles hors mariage sont interdites par la loi, il a fallu galérer chaque fois pour trouver un abri sûr. Parfois, c’était dans un jardin public, o๠ils pratiquaient «la chose» à la va-vite, d’autres fois à l’arrière de la voiture d’un ami, transformant le siège en lit de fortune. D’autres fois encore, c’était dans l’obscurité d’une salle de cinéma. Les «pandores», les deux amoureux le savaient bien, sont vigilants, et les deux amoureux risquaient gros s’ils avaient été pris en flagrant délit. Le Code pénal marocain n’est pas tendre : un mois à un an de prison ferme pour toute personne s’adonnant à des relations sexuelles hors mariage.
Les jours ont passé, les liens entre les deux amants se sont distendus à mesure que leurs études avançaient. Ils ont fini par rompre. Ahmed vit aujourd’hui une seconde expérience, beaucoup plus épanouie, avec une femme d’un an plus âgée que lui. Il en garde un doux souvenir (voir témoignages ci-dessous). «Les relations entre les filles et les garçons ont beaucoup changé de nos jours, reconnaà®t le jeune Ahmed. Autrefois ils sortaient ensemble et sympathisaient sans plus. Aujourd’hui, garçons et filles vivent, malgré les contraintes sociales et psychologiques, leurs relations sexuelles avec beaucoup plus de liberté. Je dirai même que les filles sont plus audacieuses et plus créatives que les garçons en matière de drague.»
La première expérience s’accompagne souvent d’angoisse
Si l’expérience de Ahmed s’est relativement bien passée, la première expérience sexuelle n’est pas toujours vécue de manière sereine, tant s’en faut. Souvent, garçons et filles l’on vécue difficilement, avec angoisse. Pour la fille, c’est en général la première fois qu’elle affronte la nudité de l’homme «et, avoue Asmaa, jeune femme de 25 ans, ce n’est pas forcément beau à voir! J’ai même ressenti un certain dégoût pour des pulsions “animales”. Mais la complicité et l’amour qui nous unissaient, mon mec et moi, poursuit Asmaa, ont beaucoup participé à détendre l’atmosphère.»
«C’est surtout le sentiment d’insécurité qui étreint les couples non mariés lors de leurs relations sexuelles, des sentiments de culpabilité et d’angoisse aussi, explique Abderrazak Moussaà¯d, sexologue et président de l’Association marocaine de sexologie,«vu que ces relations se déroulent dans des lieux inadaptés, insalubres : d’o๠des problèmes d’érection pour l’homme, d’insatisfaction et de frustration pour la femme, qui, elle, est entièrement préoccupée par le souci de garder sa virginité» (voir entretien en page précédente).
Ces jeunes viennent-ils consulter ? Oui, et même beaucoup, répond le Dr Moussaà¯d, à partir de 17-18 ans. «20% de mes patients sont dans ce cas, précise-t-il, les garçons plus que les filles : des problèmes d’érection, d’éjaculation précoce, d’infection, ou d’ordre psychologique. Nombre de difficultés sexuelles sont consécutives aux premiers actes d’amour».
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Dr Abderrazak Moussaid Sexologue, président de l’Association marocaine de sexologie. Que pensez-vous de la pratique du sexe avant le mariage ? Les jeunes se prémunissent-ils contre les infections sexuellement transmissibles (IST) et le sida ? Les filles sont-elles toujours aussi regardantes en matière de préservation de leur virginité ? Pas d’éducation sexuelle au Maroc ? |
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Soumaya Naâmane Guessous Sociologue La Vie éco : De plus en plus de jeunes pratiquent le sexe avant le mariage. Dans quelles conditions, selon vous ? Une forme de prostitution ? La loi et les mentalités sont une chose, la réalité quotidienne en est une autre. Le Maroc n’est-il pas prêt à trouver une solution pour ces jeunes ? Comment, à votre avis ? |
