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RAMED : pourquoi ça n’a pas marché ?
Inégal accès aux soins, forte demande dans les hôpitaux, absence de ressources financières sont les principaux symptômes du malaise. Le ministère de la santé prépare une réforme du système. Une structure de gestion autonome sera mise en place.

Le ministère de la santé planche actuellement sur la mise à niveau du Régime d’assistance médicale aux économiquement démunis (RAMED) qui présente, six ans après sa généralisation, des lacunes certaines. Une mise à niveau doit se faire, selon le ministère, via l’amélioration de la gouvernance de ce régime et l’amélioration de ses ressources financières. Concrètement, deux mesures sont à prendre en urgence : d’une part, la mise en place d’une structure autonome et indépendante pour la gestion du RAMED, et, d’autre part, l’allocation d’un budget spécifique à ce régime.
La mise en place d’une structure gestionnaire permettra à l’Agence nationale de l’assurance maladie de jouer son rôle de régulateur du régime et au ministère de la santé celui de prestataire de soins. Actuellement, on notera qu’il y a un chevauchement entre le ministère et l’agence, ce qui explique en partie les dysfonctionnements existants du régime qui a été généralisé en 2012 après un démarrage pilote en 2008 dans la région de Tadla-Azilal. Par ailleurs, l’allocation d’un budget propre permettrait une prise en charge médicale de qualité et donc un large accès aux soins.
L’importance du chantier de mise à niveau du RAMED a été certes soulignée, il y a une semaine, par le ministre de la santé, Anas Doukkali, en marge du conseil d’administration de l’ANAM. Cependant, aucun dead-line n’a été avancé pour boucler ce dossier qui figure pourtant comme priorité dans la stratégie 2025 du ministère de la santé…
Selon les derniers chiffres présentés lors du conseil d’administration de l’Agence nationale de l’assurance maladie, plus de 11,7 millions de personnes ont été immatriculées depuis 2012. Soit plus de 4,7 millions de foyers bénéficiaires. Ce qui a contribué, faut-il le rappeler, à l’amélioration du taux de couverture sanitaire du Maroc qui est passé de 16% en 2005 à plus de 54,6% aujourd’hui. Mais au-delà des statistiques, sur le terrain, on constate que le RAMED n’a pas réellement atteint son objectif principal qui est l’accès aux soins aux populations démunies. Pourquoi donc ce régime n’a pas permis la réduction des inégalités sociales d’accès aux soins ?
Selon le bilan du conseil d’administration, environ 7,4 millions de personnes immatriculées disposent d’une carte active avec un taux de renouvellement de 46%. Cette population est répartie entre milieu urbain (51%) et milieu rural (49%). Autrement dit, 7,4 millions de personnes sur les 11,7 millions immatriculées accèdent aux soins. Selon une source proche du dossier, cela est dû à un manque de confiance et à une insatisfaction des populations concernées. Et ce, en raison de l’insuffisance des moyens financiers.
Avant la généralisation du RAMED en 2012, 60% des populations pauvres ne pouvaient pas se faire soigner, faute de moyens financiers peut-on lire dans un rapport de l’ONDH publié cet été. Si entre 2012 et 2015, une amélioration a pu être constatée, selon le rapport, elle n’a alors été qu’éphémère, puisque le taux de consultations des ramédistes pauvres a enregistré une baisse, passant ainsi de 75% à 64,8% et de 70,2% à 60% chez les ramédistes vulnérables. Et pour cause, la gratuité totale n’est pas garantie. «Quotidiennement, nous devons expliquer aux détenteurs de carte du RAMED que les médicaments et les analyses biologiques et autres examens radiologiques ne sont pas gratuits même si certains peuvent être réalisés dans les hôpitaux», explique un responsable du bureau d’accueil RAMED à l’hôpital Moulay Youssef à Casablanca. Et d’ajouter : «Souvent, le message passe difficilement et certains deviennent violents avec nous car ils estiment que la gratuité est un droit garanti par la carte du RAMED !».
Un Ramédiste pauvre paie en moyenne 600 DH pour les analyses et autres examens radiologiques
Sur le terrain, donc, les ramédistes se rendent compte qu’ils avaient tout faux. Car la prise en charge totale n’est pas effective, puisque même en cas d’hospitalisation pour des interventions chirurgicales, les patients doivent acheter leurs médicaments et effectuer leurs divers examens auprès des cabinets de radiologie et des laboratoires privés. «Ce qui explique que plusieurs bénéficiaires du RAMED n’utilisent pas leurs cartes et ne consomment pas de soins de santé… Ils s’auto-excluent du régime», avance un médecin anesthésiste du CHU de Casablanca, qui a requis l’anonymat. Globalement, souligne ce même médecin, «la contribution de cette catégorie de patients peut atteindre les 600 dirhams. Un montant qu’ils ne peuvent pas supporter, donc ils préfèrent ne pas se faire soigner!».
C’est cette déception des patients qui expliquerait le taux de 46% de renouvellement des cartes. Mais, au ministère de la santé c’est un autre son de cloche: le taux de renouvellement enregistré «revient plutôt à la culture prédominante chez les Marocains qui ne vont pas automatiquement retirer ou bien renouveler leurs cartes». Le ministère évoque également comme autre argument «la mobilité de certains bénéficiaires, notamment les étudiants ou d’autres profils qui peuvent basculer vers le régime d’assurance maladie de base».
Le défaut de la gratuité totale s’explique par l’insuffisance des ressources financières allouées au régime d’assistance médicale aux économiquement démunis. Et selon le rapport de l’ONDH, 80% des ramédistes contribuent au paiement de leurs dépenses en soins. Aujourd’hui, le coût financier du régime avoisinerait les 5,5 milliards de dirhams. Mais il est difficile, dit-on dans le milieu hospitalier, de vérifier cette estimation, principalement pour deux raisons : l’absence d’un budget spécifique au RAMED et l’absence d’une comptabilité analytique au niveau des hôpitaux. En revanche, dit-on dans le milieu syndical, «il est certain que le RAMED a affaibli, et ceci à tous les niveaux, les hôpitaux dont les ressources ont diminué en raison de la gratuité accordée aux bénéficiaires du RAMED». Rappelons que les budgets affectés au RAMED sont inclus dans le budget global du ministère de la santé alors que pour un fonctionnement normal, les fonds doivent être attribués directement aux hôpitaux en vue de garantir leur solvabilité et également sécuriser les prestations de soins.
Outre la fragilisation financière des hôpitaux, la mise en place du RAMED a également eu un impact sur le fonctionnement des hôpitaux ainsi que sur la qualité des soins. «Ce pourquoi de plus en plus de ramédistes, notamment ceux qui peuvent encore payer, se dirigent vers le privé. Nous constatons une baisse au niveau des consultations en pédiatrie et en gynécologie», indiquent des sources au Centre hospitalier universitaire Averroès qui ne manquent pas de préciser que «les patients ne supportent plus les longues files d’attente et les rendez-vous fixés parfois sur plusieurs mois». Ces dysfonctionnements reconnus par le ministère de la santé sont dus à la forte demande engendrée par la généralisation du RAMED causant ainsi une pression dans les hôpitaux et les centres de santé. C’est pour palier cette situation que le nombre de postes budgétaires a été porté à 4 000 en 2018, contre 1 500 en 2017, tandis que le budget général du secteur a été revu à la hausse, de 11,88 milliards de dirhams (MMDH) en 2012 à 14,79 MMDH en 2018.
Mais dans l’immédiat, il faut noter que ces dysfonctionnements impactent négativement la qualité des prestations dispensées par les hôpitaux. Pour des médecins du CHU, «les praticiens ainsi que tous les agents administratifs des hôpitaux ne sont que des êtres humains qui ont leurs limites et qui ne peuvent assurer au-delà de leurs forces. Ce qu’il faut pour réguler la demande dans les hôpitaux c’est le respect de la filière des soins par les ramédistes. Ils sont nombreux à venir directement au CHU sans passer par le centre de santé ou les autres structures publiques de santé !».
De ces six années de généralisation du RAMED, on retiendra que l’afflux des patients ramédistes, qui n’ont que très peu ou pas du tout consommé des soins de santé avant 2012, doit être régulé via le contrôle du respect de la filière des soins en vue du bon fonctionnement du régime et d’une effectivité du RAMED auprès de toutes les populations concernées. Pour l’heure, on ne peut que constater malheureusement l’incapacité du régime de l’assistance médicale à réduire les inégalités au niveau de l’accès aux soins. La nécessaire maîtrise de la filière des soins relèverait de la structure de gestion du RAMED qu’il est souhaitable de mettre rapidement en place pour la bonne gouvernance de ce régime.
[tabs][tab title = »L’actualisation des critères de ciblage, un impératif »]Le Régime d’assistance médicale aux économiquement démunis est basé sur une politique de ciblage des personnes potentiellement éligibles. Ainsi, toutes les personnes se trouvant sous un certain seuil de pauvreté, en l’occurrence le seuil de vulnérabilité défini par le HCP (18 DH par jour et par personne) et qui ne peuvent faire face à leurs dépenses en soins, sont concernées par ce régime. L’actuel ciblage retient divers critères comme le raccordement à l’eau, l’électricité, la possession d’un téléphone mobile avec ou sans abonnement. Soit des critères que des spécialistes de la couverture médicale estiment aujourd’hui dépassés et qu’il faut nécessairement revoir afin d’éviter l’exclusion de certains ménages, notamment les plus pauvres d’entre eux. Le risque d’imprécision de ce ciblage est important, selon l’ONDH. Preuve en est que parmi les 10% les plus pauvres, 24% d’entre eux ne répondent pas aux critères d’éligibilité. Et ils sont donc exclus. D’où la déduction concrète que le RAMED, contrairement à son objectif de base, ne peut garantir un accès équitable aux soins de santé. Ces critères sont jugés obsolètes et doivent faire l’objet d’une actualisation régulière. Pour cela, il est nécessaire de mettre en place un registre social unifié qui permettra un ciblage précis. Ce qui permettra d’adapter l’offre de soins au statut social du patient. Outre l’actualisation des critères de ciblage, l’amélioration du RAMED passe également une allocation de ressources financières pérennes, la mise en place d’une politique de tarification et de remboursement spécifique au régime, la mise à niveau des structures de soins et l’évaluation régulière de leur performance et, enfin, en dernier lieu un système d’information permettant l’enregistrement et la maîtrise de la consommation médicale des Ramédistes. Ce qui rendra possible le suivi de l’évolution de ce régime d’assistance en vue d’en garantir la pérennité.[/tab][/tabs]
