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Société

Qatar 2022 : Un Mondial en terre d’islam

Deux buts : voir de près la métamorphose de l’Emirat pétrolier qui a investi dans les 220 milliards de dollars en une douzaine d’années et vibrer avec les Lions de l’Atlas et leurs supporters pour le deuxième match de Coupe du monde. Au final, zéro regret pour une escapade qui en valait son score. Carnet de voyage concentré en une journée idyllique.

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Dimanche 27 novembre. Réveil à Doha, l’estomac noué: le Maroc affronte cet après-midi la Belgique, deuxième meilleure équipe au Monde selon le classement de la FIFA, pour sa deuxième rencontre en phase de poule. Match clé pour les «Hazard» des Lions de l’Atlas (22e mondial) de rester dans la compétition. ça sent le deux, double stress : Il fait chaud au propre comme au figuré…
Heureusement, une petite brise marine souffle sur la terrasse de cet hôtel du quartier Moucharabieh, un des nombreux secteurs du centre-ville modernisés ces dernières années. Elle surplombe l’historique Souk Al Waqif, marché centenaire rénové à l’authentique. Sur les toits des vieilles bâtisses, les plus anciennes de la capitale qatarie, subsistent encore les vestiges du désert qu’a été la ville que l’on surnomme, depuis le début du millénaire, la perle du Golfe : il y a juste les réservoirs d’eau en plastique qui ont remplacé les châteaux d’eau en dur du 20e siècle… Au cours de ce Mondial, ce Souk avec son marché mythique aux faucons est devenu une escale incontournable pour les supporters de toutes nationalités, virevoltant vers la fan zone de la FIFA. Entre effluves d’épices, échoppes d’encens, bijouteries et cafés à chicha, les groupes d’aficionados mouillent le maillot : Avec leurs enceintes acoustiques aux décibels assourdissants, ils dansent et chantent à tue-tête au rythme des strophes de leurs pays, sous le regard joyeux des passants – avec leurs caméras de smartphones – et le sourire timide et amusé que l’on peut deviner dans les yeux des citoyennes qataries (en fait, c’est tout ce qu’on voit d’elles, sous leur niqab) autorisées pour l’occasion à vivre en mode carpe diem…

Vie de supporters
Pour les Marocains, c’est bien évidemment les incontournables remix de «Sawt Al Hassan» et de «Laâyoune Ayniya» qui rythment en intermède, les festivités, chants et youyous classiques des supporters. Une manière de défendre culturellement notre première cause nationale et de faire entendre à la planète foot l’attachement des Marocains à leur Sahara…
C’est que les mordus des Lions sont venus en force à Doha. Une vingtaine de vols spéciaux mobilisés par la Royal Air Maroc font la navette, transportant près de 10 000 supporters. Le prix du billet sponsorisé est imbattable : 5 000 dirhams pour un aller-retour cumulant 14 heures de vols, soit moins d’un centime la seconde au ciel (pour faire ratio Vie Eco). «La Fédération royale marocaine de football subventionne chaque billet à hauteur de 10 000 dirhams», nuance un connaisseur des arcanes de l’instance fédérale. Un beau geste pour renforcer la sélection nationale de son douzième joueur : le public.
Des supporters marocains, on en rencontre de toutes les catégories socioéconomiques : des jeunes venant de quartiers populaires qui ont économisé depuis 2010, des cadres qui ont anticipé leur budget vacances 2023, des Résidents Marocains en Europe, à Dubaï ou dans d’autres contrées, mais aussi des VIP invités par de grandes entreprises marocaines. Ils logent dans la rue, chez des résidents marocains, dans des hôtels de luxe et même dans des camps aménagés pour l’événement. «Nous payons une tente double à 450 dollars la nuitée. Heureusement qu’elle est climatisée et que la salle de bains est privative et en dur. Dans d’autres refuges, c’est moins cher mais c’est sanitaires communs et ventilateur comme compagnon de fraîcheur», témoigne Anis, allongé dans un relax d’une plage privée huppé (et hors de prix) d’Al Maha Island, une de ces îles artificielles sorties de mer. «Ici, comme dans The Pearl, c’est un peu la zone franche. On y retrouve la plus grande concentration des restaurants avec alcool, alors que dans d’autres quartiers c’est un peu plus compliqué», enchaîne laconiquement Nabil, son compagnon de voyage.

Mondial (pas trop) halal
Contrairement à toutes les éditions précédentes du Mondial où les équipes et leurs supporters étaient éparpillés sur des villes parfois lointaines, l’édition 2022 de la grand-messe footballistique se joue dans un rayon d’une centaine de kilomètres. Le Qatar, c’est moins de 12 000 kilomètres carrés, 60% de la superficie de la région Casablanca – Settat. C’est donc toute la planète foot qui est concentrée dans ce micro-Etat, un melting-pot culturel provoqué par la grâce de l’envoûtement et le culte voué au sport roi. «Pour nous autres Qataris, c’est aussi l’occasion de montrer les vraies valeurs et la culture du monde musulman», nous lance un citoyen de Doha, entre deux pas de salsa improvisés avec une supportrice brésilienne. La fête du ballon rond reste à prédominance halal en terre d’islam. Dans des marinas, qui feraient pâlir de jalousie Puerto Banus ou la Sardaigne, les supporters étrangers sont à la diète sur les terrasses des restaurants qui ont sorti des écrans géants pour la retransmission des matchs. Ceux qui préfèrent s’hydrater à la bière n’ont qu’à se réfugier dans les sports-bars des palaces et oublier le solde de leurs cartes bleus qui vire au rouge: comptez 50 riyals qataris (plus de 150 dirhams) la pinte, soit quatre fois plus cher que le sandwich bon marché à la sauce locale.
Dans les émissions de la télévision qatarie, les débats sont à profusion au sujet d’échange culturel avec parfois des prédicateurs zélés insistant sur le rôle de l’Emirat pour répandre la bonne foi lors de cet événement jamais organisé en terre arabo-musulmane. «Savez-vous qu’il y a une cinquantaine d’étrangers qui sont devenus musulmans au cours de ces dix premiers jours du Mondial», s’extasie un des invités d’une émission de la chaîne officielle. Alléluia! Le foot semble ainsi faire mieux que le glaive en matière de foutouhate…
Le musée d’Art islamique de Doha a été d’ailleurs un des premiers édifices culturels inauguré par l’Emirat en 2008 qui entamait sa modernisation. Ce n’est qu’onze ans plus tard que la rénovation du Musée national du Qatar (datant de 1975) a été achevée. Un bijou architectural signé Jean Nouvel qui a évoqué à travers sa «rose des sables», «les contradictions de l’histoire» du Qatar. Il est vrai que l’on peut sortir de ce haut lieu de la culture avec la fausse impression que les Qataris sont à l’origine des Mongols, tellement les œuvres, les installations et modes de vie de cette population nomade sont mis en valeur (du moins en tête de gondole, au premier étage). C’est que l’Emirat, indépendant en 1971, a beau avoir abrité des colonies datant de l’âge de pierre (6 800 AC) et même des monstres marins comme le Qataraspis Deprofundis (700 millions d’années), son rayonnement planétaire est surtout dû à son développement des dernières décennies. Les pétrodollars du pays le plus riche au monde -selon le PIB par tête d’habitant culminant à 82 000 dollars- ont servi à déployer des infrastructures titanesques. Avec le mérite d’avoir soutenu la cadence, d’avoir réussi le pari du développement et de la modernité… à marche forcée !

Chaud au stade
Oubliez la marche à pied sous une météo caniculaire, c’est via le métro gratuit avec la carte Haya ou en voiture qu’il faut se rendre au Stade Al Thumama où se joue le match du jour. En longeant la corniche, avec ses bateaux de pêche historiques qui contrastent avec les ornements ultra-modernes de la Coupe du monde, on découvre de près les buildings à l’architecture aussi variée que fantasque. «Mon préféré, c’est celui en forme de suppositoire», ironise Anis. «Et l’autre avec des sortes de gobelets inversés, ça sent le chèque à blanc», rétorque son acolyte. Bref, la Skyline de Doha a de quoi faire pâlir sa voisine Dubaï et relègue Manhattan et son Time Square au rang de cité aux gratte-ciel préhistoriques…
Sur la «highway» menant au terrain, les drapeaux du Royaume ornent les vitres des véhicules qui font chauffer le klaxon et vibrent en mode «lowrider» au rythme des chansons produites à l’honneur des Lions : «Chouf, sma3… sba3 kaykhle3…». Grrr… Sur le pont séparant le parking de l’enceinte du stade, il n’y a d’ailleurs quasiment que des Marocains. «Les Belges sont trop confiants, ils ont dû acheter des tickets pour le deuxième tour…», ironise un supporter du bled, remonté à bloc.
Dans l’esplanade du stadium, pas grand-chose à signaler. Des tentes orphelines de Coca ou autres sponsors sont là pour servir «d’inside fan zone». Oubliez l’ambiance des danseuses brésiliennes de 2014 ou les top-models russes de 2018 à vous faire fredonner «loosing my religion».
Sur les gradins, les sièges climatisés sont là pour vous faire rafraîchir le postérieur et flamber l’empreinte carbone. Le public marocain est chaud : Sur les 44 000 spectateurs qu’affiche l’écran géant du stade, plus de 90% supportent le Maroc à vue d’œil. Et rien n’a estompé leur frénésie jusqu’à à la délivrance à la 76e minute, signée Sabiri. Et un, puis deux pour les Lions de l’Atlas contre les Diables Rouges… Allahou Akbar ! La nuit est ornée des couleurs du Royaume chérifien… La Skyline et show des drones vire au rouge étoilé vert, y compris le fameux burj de Doha. Le Maroc a déjà réalisé un exploit en conquérant le cœur de la planète foot… Un sacre en attendant son propre Mondial. Inchallah !