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Société

Politique, associations, famille : 1 100 jeunes en parlent

Une enquête menée par l’Unicef et le Fnuap sur
1 139 jeunes de 13 à  25 ans dans quatre villes.
Les jeunes s’intéressent
à  leur société, mais
s’y impliquent peu.
Les associations,
les clubs scolaires, les maisons de jeunes mieux perçus que les partis politiques
et les syndicats.
Raisons de la non-participation : manque
de communication,
de transparence,
manque de temps
et de motivation.

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Les jeunes Marocains ne rêvent pas que d’émigrer, pour peu que l’on s’intéresse à  eux. Loin de porter un regard défaitiste ou désespéré sur la réalité de leur société, ils s’inscrivent dans une démarche constructive et, au-delà  des clichés sur le fait qu’ils dénigrent les institutions de leur pays, leur volonté d’adhésion et d’engagement dans cette réalité est patente. C’est l’une des conclusions d’une enquête menée conjointement par l’Unicef et le Fonds des Nations Unies pour la population (Fnuap), dans le cadre d’un projet intitulé «Jeunes en action», dont un rapport synthétique vient d’être finalisé et dont La Vie éco a pu obtenir copie en avant-première.

Objectif de l’enquête : mesurer le degré d’implication des jeunes dans les différents domaines les concernant directement ou indirectement: la vie sociétale d’une manière générale, à  commencer par l’institution de base qu’est la famille, la politique, la vie syndicale, l’éducation et la formation, le tissu associatif, la vie culturelle…
L’enquête est d’autant plus instructive qu’elle a pris comme échantillon une population de 1 139 jeunes et adolescents dont l’âge varie de 13 à  25 ans, soit la même tranche d’âge que quelque 7 millions de Marocains (51 % des enquêtés sont des filles et 49 % des garçons).

Originalité : les enquêteurs sont eux-mêmes des jeunes de la même tranche d’âge que la population étudiée. En effet, ce sont quatre équipes de 21 jeunes chacune qui sont allées collecter l’information dans quatre villes, à  savoir Marrakech (commune Sidi Youssef Ben Ali), Tahannaout, Témara et Tanger.
Les résultats de la synthèse sont riches en enseignements à  plus d’un titre. Pour commencer, sur le plan de la perception de la participation des jeunes et des adolescents d’une façon générale, les enquêtés jugent l’implication de leurs pairs dans la société suffisante (64%) tandis que 22% la jugent faible au regard des attentes développées envers cette jeunesse. A cette indifférence, beaucoup avancent plusieurs explications : manque d’information, manque de transparence, opposition des parents, manque de temps et manque de motivation. Mais le vÅ“u de voir cette participation plus importante est partagé par tous les enquêtés. L’un d’eux, un Tangérois, l’exprime ainsi : «Actuellement, les jeunes s’intéressent de plus en plus aux problèmes de la société mais ce n’est pas encore suffisant. Ils sont l’espoir de demain et doivent être plus actifs… Les études, le contact avec les gens, le travail dans les ONG… les poussent à  prendre conscience qu’il faut agir et ne pas rester spectateurs».

Leurs centres d’intérêt ? Cinq en tout o๠la politique vient en dernière place. En tête de liste on trouve les associations, les clubs scolaires, les maisons de jeunes, suivis par les syndicats et, enfin, les partis politiques. Les jeunes filles ne sont pas en reste. Elles semblent, en effet, «investir de manière déterminée et volontaire les mécanismes et espaces de participation, dénotant ainsi une ouverture affirmée et prononcée», conclut le rapport de synthèse.

Autre constat : alors que l’on attendait de Marrakech qu’elle arrive en tête des quatre sites en terme de participation des jeunes en raison de l’ampleur de ses projets de développement, notamment touristiques, c’est Tanger qui détient la palme. En fait, ceci n’est pas surprenant lorsqu’on sait le rayonnement de la société civile dans la ville du détroit, et l’extraordinaire dynamisme du développement enclenché à  partir de 2000, lequel «a insufflé une participation plus active des jeunes assoiffés d’espaces de proximité».
Seul hic : les jeunes enquêtés se désolent de l’absence d’espaces, dans certaines villes, o๠ils pourraient «décompresser», «décongestionner», «déstresser». Des termes qu’utilisent les jeunes interviewés et qui expriment, si besoin était, les pressions vécues au quotidien. «Les jeunes ont besoin d’espaces pour apprendre des choses nouvelles et développer leurs compétences. Avec la pression, il faut trouver des moyens d’évacuer le stress», explique un jeune interviewé de Témara. Il fait également remarquer qu’il y a effectivement «particulièrement plus de pression sur les filles qui n’ont pas d’espaces o๠pratiquer les loisirs et se détendre. Notre ville n’offre pas de possibilités à  ses jeunes et les parents ne sont pas toujours d’accord pour les laisser faire». Cela dit, une des raisons majeures évoquée par les jeunes pour expliquer leur non-participation à  la vie sociale réside dans le manque d’information et de fluidité dans sa circulation. Un gros effort de communication s’impose donc.

Ils proposent des solutions à  la désaffection vis-à -vis de la politique
Et la politique dans tout cela ? Si les dernières élections législatives ont été une preuve de plus l’enquête a permis, tout de même, d’interpeller les jeunes sur les véritables motivations quant à  leur «indifférence». L’on ne peut pas dire, en effet, que nos jeunes portent la politique dans leur cÅ“ur. Ainsi, si tous les jeunes enquêtés souhaitent que leurs pairs investissent plus amplement les différents espaces de la société marocaine, ils sont très sceptiques quant au champ politique. Ce n’est pas que leur connaissance de ce domaine soit médiocre, puisque les répondants ont pu citer au moins trois partis politiques (par ordre de fréquence, il y a le PJD, l’USFP, l’Istiqlal), mais plus parce qu’ils diabolisent majoritairement la politique à  travers les politiciens. Les témoignages recueillis versent tous dans la critique des manÅ“uvres politiciennes, de la gestion des partis, de leur manque de transparence ou encore de l’absence de liberté d’expression en leur sein.
«Pour moi, les partis politiques sont juste des marionnettes que les présidents manipulent comme ils veulent. Il ne faut pas croire à  leur bonne foi. En plus, les membres des partis sont des parents, des proches ou des amis. Ce qu’ils savent le mieux faire, ce sont les discours. Si tu es dans un parti et que tu n’es pas d’accord, on te maudit. Ou tu es d’accord ou tu t’en vas…». Ce témoignage d’une jeune de Marrakech en dit long sur l’ampleur du travail que doivent réaliser nos politiciens pour regagner la confiance des jeunes.
Connaissance ou non du paysage politique, observe le rapport, la majorité des répondants (72%) estiment que ces mécanismes restent opaques et hermétiquement fermés à  la participation des jeunes et des adolescents. Cette suspicion à  l’égard de l’espace politique n’empêche pourtant pas les jeunes enquêtés de proposer des solutions pour remédier à  cette désaffection. Ils sont 48% à  proposer une action de coaching et d’accompagnement en vue de l’émergence d’une classe politique jeune et porteuse de nouveaux projets de société, d’une nouvelle vision d’avenir tandis que 19 % souhaitent une révision des programmes partisans et leur adaptation tant en matière de discours que de contenu.
Pour le volet syndical, les jeunes enquêtés font preuve d’une méconnaissance flagrante : 12 % déclarent connaà®tre certains syndicats ouvriers (la CDT est la plus citée) contre 9 % pour les syndicats étudiants.

Plus de participation dans le scolaire et l’associatif
Par ailleurs, l’univers scolaire et universitaire semble séduire les jeunes enquêtés plus que l’univers politique. D’abord, 52 % d’entre eux connaissent ses mécanismes de participation contre 44 %. Les plus connus de ces mécanismes (46% déclarent y adhérer) sont les clubs scolaires (club de santé, de l’environnement, des droits…). Outils importants dans la promotion des activités parascolaires et de l’éducation à  la citoyenneté, ces clubs, frileux et non généralisés, sont l’Å“uvre des enseignants/encadrants qui les animent et les gèrent avec la participation des élèves. L’engagement des filles en leur sein (33%) est plus important que celui des garçons (19%). Au second rang, on trouve à  égalité les conseils de classe et les conseils de gestion de l’institution, tous deux cités par 12% des enquêtés comme étant un organe de participation. Viennent ensuite les coopératives scolaires, les équipes sportives, les troupes de théâtre, citées par 9% des enquêtés. En effet, en l’absence d’autres espaces de loisir, les élèves se rabattent souvent sur ces espaces pour se changer les idées et se divertir. Comme l’explique ce jeune de Témara, «les programmes sont trop chargés, c’est difficile d’être assidu dans les clubs scolaires. Malgré tout, j’essaye de trouver le temps car j’apprécie les activités que nous y pratiquons, surtout le théâtre». Quelques handicaps sont cependant cités comme entravant la participation des élèves à  ces activités : l’engagement, l’assiduité et le niveau élevé exigés rendent des structures plutôt sélectives voire, pour certains jeunes, non démocratiques. Ce qui va l’encontre de la philosophie qui sous-tend leur raison d’être, à  savoir l’égalité des chances. Ce jeune de Tanger s’insurge : «Je ne suis pas dans le club scolaire car c’est la prof qui choisit les élèves. Il faut être bon élève et avoir de bons rapports avec elle… Elle préfère travailler avec les élèves qu’elle connaà®t».

Mais c’est incontestablement le tissu associatif qui reste l’espace le plus connu des jeunes de 13-25 ans (63% disent le connaà®tre et des associations comme Zakoura et Adrar son souvent citées), preuve que le travail associatif et de proximité est payant et que son rayonnement auprès des jeunes ne laisse aucun doute. Par ordre de préférence on trouve les associations de développement (29%), de quartiers (29%), des droits humains (14%), les associations thématiques (handicapés, enfants des rues…), culturelles (10%) et féminines (7%).

Cela dit, connaà®tre le tissu associatif est une chose, y adhérer en est une autre : 34% seulement adhèrent (entre 17 et 23 ans) à  des ONG locales, à  Tanger plus que dans les autres villes, les garçons (63%) plus que les filles (37%). Les motifs de la non-adhésion ? Le manque de communication et de sensibilisation (35%), l’éloignement géographique (17%) et, surtout, la mauvaise image (38%) des associations aux yeux des enquêtés qui considèrent la crédibilité et la transparence comme des préalables à  toute adhésion active.
Les présidents des associations, accuse un jeune de Marrakech, «s’enrichissent grâce à  l’argent des projets. Je connais quelqu’un comme ça, et tout le monde est au courant. Il n’avait rien et du jour au lendemain il est devenu riche. Il continue de présider son association sans être interpellé ou poursuivi». Reste que l’évaluation de l’action du tissu associatif par les répondants est plutôt positive dans 52% des cas. Avec une bonne communication, un effort de proximité, et plus de diversité dans leur travail, les jeunes n’en seront que plus sensibles.

Idem pour leur participation aux espaces culturels : les maisons de jeunes (84%), les équipes sportives (10%), et les troupes de chant (5%), sont des espaces privilégiés de participation, même si on souhaite les voir fonctionner avec plus d’équité dans le choix des adhérents, de transparence dans la gestion, et de diversité dans les actions menées.
Plus que dans tous les autres espaces, c’est naturellement dans la famille que les jeunes s’impliquent le plus au quotidien avec, toutefois, une prédominance chez les filles (64%) par rapport aux garçons (36%). Comment s’impliquent-ils dans la vie de leurs familles ? Les jeunes citent essentiellement trois types d’activités : travaux ménagers (pour les filles surtout), travaux de bricolage, courses et réparations (apanage des garçons), appui scolaire aux jeunes de la famille (21%), appui financier (11%). Concernant ce dernier type de participation, un jeune Tangérois l’explique ainsi : «Ma famille a besoin de mon aide. Je ne peux laisser tomber mes frères et sÅ“urs qui ont besoin de beaucoup de choses. Alors, depuis que je travaille, je leur donne chaque mois la moitié de mon salaire, parfois même plus….». Nous le savons, les liens de solidarité restent encore vivaces malgré le renforcement de la famille nucléaire, mais la participation des jeunes ne va pas jusqu’à  s’ériger en prise de décision, le leadership, comme le mentionne le rapport, reste «une affaire exclusivement parentale.»