SUIVEZ-NOUS

Société

Plus de mariages mais également plus de divorces

Passées les deux première années de la moudawana, la confiance est revenue : hausse des mariages mais pas plus
qu’en 2003, dernière année de l’ancien code.
Autre cause d’augmentation, la disparition de la tutelle.
En même temps que les mariages, les divorces ont eux aussi progressé de
+5,5% en 2006. De plus en plus de femmes en prennent l’initiative.

Publié le

Les Marocains sont de plus en plus portés sur le mariage. C’est là le message que voulait faire passer le ministre de la justice depuis qu’il a livré, le 20 février, à l’occasion d’une journée d’études, les derniers chiffres révélés par une enquête au sujet des apports du nouveau Code de la famille. Ce dernier, entré en vigueur en février 2004, et quoique qualifié de contraignant quant aux obligations des époux, n’aurait donc pas dissuadé les jeunes marocains de convoler. Leur nombre est passé en effet de près de 245 000 en 2005 à près de 273 000 un an plus tard, soit une augmentation de l’ordre du 11,52% (voir graphe).

Cette frénésie subite pour le mariage a étonné nombre d’observateurs. Le ministre de la justice, pour sa part, impute cette augmentation de 2006 à «la bonne application du nouveau Code de la famille qui a permis d’enraciner un certain nombre de principes, dont la préservation de la famille».
Or, au-delà du nouveau Code de la famille qui aurait incité les Marocains à se marier plus, et au-delà des chiffres avancés par M. Bouzoubaâ, qui sont conjoncturels et sur une période trop courte pour tirer une quelconque conclusion, ne faudrait-il pas s’interroger sur d’autres causes de l’augmentation du taux des mariages en 2006 ? D’autant que ces chiffres avaient sensiblement baissé au cours des deux premières années, celles qui ont suivi l’entrée en application de la nouvelle moudawana : en 2004, il y a eu 237 000 mariages et, en 2005, 245 000, alors qu’en 2003 on était à près de 265 000. Les Marocains se marient de plus en plus tard

Au vu des données de 2006, la question est de savoir si le Maroc a réellement entamé là un inversement de tendance. Une question d’autant plus intriguante que de l’autre côté, des chiffres, fournis cette fois-ci par la direction de la statistique qui avait entrepris le recensement de 2004, et qui sont moins conjoncturels, montrent des tendances lourdes plutôt à l’opposé. Les deux derniers recensements de la population de 1994 et de 2004 soulignent le même constat : le taux du célibat est en hausse. L’âge moyen du mariage pour les hommes est passé de 24 ans en 1960, à 31 ans aujourd’hui. Pour les jeunes filles et pour la même période, il est passé de 17 à 27 ans. Une autre étude de la direction des statistiques, faite en 2003, va dans le même sens : 35,5% des femmes marocaines sont célibataires, 31,5% sont mariées, 9,6 % sont veuves et 3,2 % sont divorcées. En 2004 et selon le dernier recensement, plus de 6,5 millions de jeunes âgés de 15 à 29 ans étaient célibataires, soit 72% de l’ensemble des jeunes de cette tranche d’âge.

Les raisons pour lesquelles les jeunes Marocains boudent le mariage sont connues. Rappelons deux, essentielles : la forte scolarisation des Marocains, filles et garçons, entraîne des études plus longues. Viennent ensuite les difficultés socioéconomiques : chômage, vie de plus en plus chère. Résultat: un nombre impressionnant de jeunes sont encore à la charge de leurs familles. En 2004, un sondage effectué par l’Organisation marocaine de l’équité familiale (OMEF) -en partenariat avec le Forum des jeuness- auprès d’une population de 1 212 personnes en âge de se marier, avait révélé ce chiffre inquiétant : 81,51% des sondés vivent encore avec leurs familles. 73,35% des sondés avaient déclaré ne pas être prêts économiquement au mariage.
Si les difficultés de la vie découragent les Marocains, il n’est pas moins vrai que le mariage reste encore très valorisé dans les mœurs marocaines. La première «Enquête nationale sur les valeurs» réalisée pour le compte de l’Université Hassan II à Mohammédia par un comité scientifique composé d’Abdellatif Benchrifa, Mohamed Tozy et Rahma Bourquia ne laisse la place à aucun doute. Sur un échantillon de 1 000 personnes interviewées, 92% pensent qu’il est préférable pour les hommes et les femmes de se marier. Plus : en dépit des chiffres qui confirment l’augmentation du nombre des célibataires, la proportion de ceux qui valorisent le célibat est minime. Cette préférence pour le mariage est encore plus importante chez les femmes que chez les hommes (98 %). L’enquête révèle d’autres réalités sur le mariage : 85% situent l’âge idéal pour le mariage de la femme à moins de 25 ans, mais la moyenne d’âge préférée pour se marier est 20 ans pour la femme et 26 ans pour l’homme. 58% situent l’âge idéal pour le mariage de l’homme au-delà de 25 ans (32 % au-delà de 30 ans). Autrement dit, et pour les deux sexes, les enquêtés préfèrent se marier plus tôt que ce que la réalité sociale et économique impose.

Le mariage reste donc une valeur sûre. Et c’est aussi l’analyse de Mustapha Aboumalek, enseignant de sciences politiques à la faculté de droit de Casablanca, spécialiste en sociologie de la famille et auteur d’une thèse sur le mariage à Casablanca. Au-delà des chiffres, souligne-t-il, des entraves économiques et au-delà de la nouvelle donne du nouveau Code de la famille, «l’institution du mariage est ancrée dans la mentalité des Marocains. Le Marocain y croit mais s’il ne peut pas le réaliser c’est juste à cause des problèmes financiers». Mais il nuance tout de même quant au lien entre la nouvelle législation de la famille et l’augmentation du taux des mariages en 2006. «Cette nouvelle législation, dit-il, peut au plus rassurer les Marocains à fonder une famille, mais elle ne peut jouer un rôle déterminant.»

En tout cas, les deux premières années dans la vie du nouveau code démontrent une tendance négative : par rapport à 2003, le nombre des mariages a enregistré une baisse. Normal, commentent les avocats consultés : les dispositions du nouveau code sont si téméraires que les citoyens habitués à l’ancienne moudawana réfléchissaient à deux fois avant de passer à l’acte. Ces tâtonnements étaient somme toutes compréhensibles. «En 2006, si on s’est marié plus, c’est qu’on s’est de plus en plus habitué à une loi qu’on avait diabolisée au départ.» En effet, c’est par rapport à 2003 (la dernière année dans l’application de l’ancien code) qu’il faut faire la comparaison des statistiques de 2006, on s’apercevra alors que la différence est insignifiante (273 000 mariages en 2006 contre 264 000 en 2003).
Naïma Antaki, avocate au barreau de Casablanca en charge des dossiers des femmes victimes de violence du centre Annajda (affilié à l’Union de l’action féminine), considère qu’il y eu en 2006 beaucoup de mariages mixtes via internet. «Le tribunal de famille de Casablanca était inondé de demandes d’étrangers qui voulaient se marier avec des Marocaines.» Cela est confirmé par le bilan du ministère de la justice pour 2006, ils ont été 5 240 étrangers à se convertir à l’islam pour pouvoir épouser des Marocaines. Ce qui n’est pas négligeable.

Les Marocaines sont réticentes à se marier sans wali, elles sont pourtant nombreuses à le faire en 2006
Y a-t-il, tout de même, des dispositions dans le nouveau Code de la famille susceptibles d’encourager les Marocains à plus se marier que par le passé ? L’avocate casablancaise souligne, à cet égard, que contrairement à ce que beaucoup de gens imaginent, le nouveau Code de la famille ne sert pas que les intérêts des femmes. Les hommes aussi y trouvent leur compte. Elle cite notamment l’article 49 qui permet aux deux époux de signer un acte séparé les autorisant à fructifier leurs biens acquis pendant leur relation conjugale. Le bilan du ministère de M. Bouzoubaâ ne confirme pas cette tendance, ces cas constituant une infime minorité : pas plus de 424 couples de mariés ont signé un acte séparé pour fructifier leurs biens en commun.

Une autre nouveauté apportée par le nouveau code, a dû encourager les femmes marocaines à se marier : la tutelle matrimoniale du wali (tuteur) pour la jeune fille majeure (de 18 ans) n’est plus une obligation pour contracter un mariage (article 25). En effet, le nombre de jeunes filles qui ont contracté un mariage sans avoir besoin de cette tutelle est important : le bilan du ministère parle de 60 095, soit plus de 22,21% qu’en 2005 (49 175).

Enfin, si le ministère de la justice affiche une satisfaction du taux élevé des mariages en 2006, il ne l’est pas moins à l’égard du taux des divorces revu à la baisse cette même année. Mais, là encore, les chiffres mis en avant par M. Bouzoubaâ sont trompeurs : l’accent est mis sur un seul chiffre, 28 239 divorces. Or, il ne s’agit là que du nombre des séparations de couples à l’initiative de l’époux, les séparations par attatliq (souvent à l’initiative de la femme pour avoir subi un quelconque préjudice) ont été escamotées : or leur nombre atteint 14 791 cas (sur les 26 023 demandes). Le total de dissolution des mariages est donc 43 030 et non pas 28 239, soit une augmentation par rapport à 2005 de 5,52%. Cela pour dire que l’augmentation des personnes décidée à fonder une famille est toute relative, mais celles qui ont choisi d’y mettre fin est bien réelle.

Tendance
Le sérieux prime sur la situation matérielle

Avant même que le code ne débarrasse la fille majeure de la tutelle (obligation de l’accord du tuteur légal), l’emprise de la famille marocaine sur ses enfants majeurs avait commencer à s’estomper, surtout dans les villes. Les parents n’exigent plus que le fiancé comble leurs filles de cadeaux, l’essentiel est qu’il soit sérieux («maâqoul») et responsable, comme il ressort de la première enquête nationale sur les valeurs réalisée dans le cadre des travaux du Rapport «50 ans de développement humain au Maroc et perspectives pour 2025». Si le mot «maâqoul» signifie en commerce un prix raisonnable, sa signification est tout autre dans le domaine des relations sociales : une personne «maâqoula» est une personne droite, juste et sérieuse, et de ce fait inspire la confiance, dit l’enquête.
Le facteur qui veut que le mari trouve d’abord un travail avant de convoler est battu en brèche : il faut d’abord qu’il soit «maâqoul» (36%), il faut ensuite qu’il ait un revenu stable (24%). « Le fait d’être pratiquant vient en troisième place avec 13% et l’origine familiale avec 9 %. Les choix sont plutôt pragmatiques, les deux qualités choisies permettent d’assurer plus que les autres une bonne entente et une bonne marche du ménage.»
Ce qui veut dire que même si l’homme ne travaille pas, plusieurs parents l’acceptent pour leurs filles. Le fait que l’épouse qui travaille ne les dérange plus outre mesure, comme ce fut le cas auparavant. Il y a même des cas où ce sont les parents qui mettent la main à la poche pour subvenir aux besoins d’un jeune couple sans ressources, en les logeant chez eux ou en leur donnant un logement provisoire.