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Société

Personnes en situation de handicap : Les oubliés de la protection sociale ?

Faute de revenus, à ce jour 62,7% des personnes en situation de handicap ne bénéficient d’aucune protection sociale. Préoccupées par cette défaillance des droits sociaux, les associations recommandent l’octroi d’allocations qui permettront de couvrir les dépenses liées au handicap et d’autonomiser toutes ces personnes en vue de leur intégration économique. Ce qui passe par une amélioration de la loi-cadre 21-09.

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A la veille de la généralisation de la protection sociale, la société civile déplore l’absence de dispositions spécifiques aux personnes en situation de handicap (PSH). En effet, dans son article 2, la loi –cadre 21-09 sur la protection sociale stipule que la protection sociale englobe la couverture des dangers de la maladie, la protection des dangers relatifs à l’enfance et permettre aux familles qui n’ont pas de protection de bénéficier de ces indemnités, la protection des dangers relatifs à la vieillesse et la protection des risques de perte d’emploi. Pour Idir Ounguidi, consultant en développement inclusif, expert en droits des personnes en situation de handicap, «c’est une grande faille au niveau de cette loi sur la protection sociale qui, en principe, doit englober l’ensemble des Marocains, quelle que soit leur situation physique, économique et sociale. Et cette défaillance préoccupe également le Comité des droits des personnes handicapées qui, dans son rapport 2017 sur le Maroc, a exprimé ses inquiétudes quant à la situation de cette population». A ce rapport du comité, le Maroc doit donner ses réponses en mai 2023 et devra présenter les améliorations et mesures apportées pour une meilleure protection sociale des personnes en situation de handicap. Seulement, selon les associations défendant les droits de ces personnes «très peu de choses sont faites et le niveau de la protection sociale demeure très faible».

Statistiques alarmnante
On retiendra en effet que deux personnes en situation de handicap sur trois ne bénéficient d’aucune protection sociale. En effet, 34,1% des PSH déclarent bénéficier d’un régime de sécurité sociale, dont presque les deux tiers (60,8%) sont affiliées au RAMED, tandis que les autres sont affiliées principalement aux régimes CNSS (15,4%) et CNOPS (12,7%). Le pourcentage des PSH bénéficiant d’un régime de protection sociale qui sont affiliées à une assurance privée reste faible (2,1%).
Les deux tiers (62,3%) des PSH bénéficiant d’un régime de sécurité sociale sont affiliés à leur régime en tant qu’assuré (non en tant qu’ayant droit). Seules 19,4% des PSH sont totalement couvertes.
Les PSH ne bénéficient pas d’un régime de sécurité sociale pour des raisons financières ( 62,7%) et 15,2% ont perdu leurs droits sociaux du fait de leur situation de handicap. «Ces statistiques démontrent combien il est important et urgent de revoir le contenu de la loi-cadre en vue d’intégrer les personnes en situation de handicap et de mettre en place un régime de protection sociale visant à garantir un niveau de vie suffisant aux personnes handicapées, notamment au moyen de systèmes d’indemnisation sous forme d’allocations qui permettront aux personnes handicapées de couvrir les dépenses liées au handicap», avance Idir Ounguidi.
Selon les chiffres officiels, on recense 2 264 672 personnes ayant déclaré avoir des incapacités à divers degrés (léger, modéré, sévère, très sévère). Soit 1 ménage sur quatre (25%) compte au moins une personne en situation de handicap. On retiendra également que deux personnes en situation de handicap sur trois ne bénéficient d’aucune protection sociale.

Emploi, soins…
Dans son rapport le Comité des droits des personnes handicapées apporte son éclairage sur la faiblesse de la protection sociale qui est essentiellement due, peut-on lire dans le rapport, «à divers obstacles rencontrés par les personnes en situation de handicap et qui limitent leur accès aux soins, à l’éducation et à l’emploi». Ainsi, en ce qui concerne le domaine de l’emploi, le comité se dit préoccupé du taux élevé de chômage parmi les personnes handicapées qui se situe à 67,75 %, d’après l’enquête nationale sur le handicap. La discrimination à l’égard des personnes handicapées sur le lieu de travail, notamment l’absence de mesures visant à assurer des aménagements raisonnables, l’existence d’une liste retenant les postes réservés aux personnes handicapées. Autant de facteurs qui entravent l’accès des personnes handicapées à l’emploi dans des conditions d’égalité.
On déplore également dans le rapport le faible nombre d’élèves handicapés dans le système éducatif et les classes ordinaires, les obstacles que rencontrent les élèves handicapés pour accéder aux écoles ordinaires, comme les longues distances, le manque d’enseignants formés à l’éducation inclusive, l’absence de programmes accessibles, la méconnaissance de la langue des signes et les attitudes sociales négatives quant à la scolarisation des enfants handicapés dans les écoles ordinaires. Est souligné aussi le manque de mesures visant à apporter des aménagements raisonnables dans le domaine de l’éducation, en particulier dans les zones rurales et l’absence d’un mécanisme de signalement qui soit mis à la disposition des parents et des enfants handicapés auxquels l’accès à l’éducation ou à des aménagements raisonnables a été refusé.
Pour ce qui est de la santé, le comité signale les obstacles qui limitent l’accessibilité aux services de santé en raison de l’éloignement géographique des centres de santé et d’un manque de services médicaux spécialisés. On remarquera, par ailleurs, le manque d’informations sur les droits en matière de sexualité et de procréation et sur l’administration des traitements médicaux en l’absence de protocole visant à garantir qu’aucun soin de santé ne soit administré sans le consentement libre et éclairé des personnes handicapées. Bref, ce sont les remarques du comité et les associations travaillant sur cette problématique.
Accroître l’employabilité
L’absence de revenus réguliers et d’un régime de protection sociale complet qui puisse garantir aux personnes handicapées et à leurs familles des ressources pour couvrir les dépenses liées au handicap appellent donc à l’amélioration de la loi-cadre 21-09. Des améliorations qui doivent s’inscrire, selon M. Ounguidi, dans le cadre des objectifs de développement durable afin d’autonomiser toutes les personnes et de favoriser leur intégration économique indépendamment du handicap. Pour cela, le Comité des droits des personnes handicapées recommande plusieurs mesures que les pouvoirs publics devraient mettre en place afin de garantir une meilleure accessibilité aux divers services sociaux et donc une meilleure qualité de vie à cette catégorie de la population.
Ainsi, en ce qui concerne l’accès aux soins de santé, il est recommandé l’adoption d’une stratégie axée sur le développement d’infrastructures accessibles, la formation des professionnels de la santé aux droits des personnes handicapées et la fourniture d’informations sur les traitements médicaux dans des formats accessibles, notamment pour les personnes présentant un handicap intellectuel ou psychosocial.
Le comité suggère aussi l’établissement des protocoles visant à garantir aux personnes handicapées le droit au consentement libre et éclairé dans le cadre de la mise en œuvre du plan national relatif à la santé et au handicap..
En deuxième temps, il est nécessaire d’adopter un plan à long terme pour garantir l’accès des personnes handicapées au marché du travail et de définir des objectifs et des mesures spécifiques concernant l’accès à l’emploi des femmes et des jeunes handicapés. Dans le cadre de ces mesures, l’État devrait notamment prévoir la mise en place de partenariats public-privé avec les coopératives et le secteur privé afin d’accroître l’employabilité des personnes handicapées. Les pouvoirs publics sont également appelés à instaurer l’obligation juridique, pour les employeurs dans tous les secteurs de l’économie, de procéder à des aménagements raisonnables sur le lieu de travail des personnes handicapées.
Enfin, au volet enseignement, il est recommandé un plan national prévoyant la mise en place d’un système éducatif inclusif sur l’ensemble du territoire, en allouant les ressources nécessaires à la création d’un environnement pédagogique accessible. Ce qui devrait se faire parallèlement avec un programme permanent de formation à l’éducation inclusive au profit des enseignants. Ce programme porterait sur une formation à la langue des signes et à l’élaboration d’outils méthodologiques pour l’enseignement.
Il est recommandé enfin de mener des campagnes de sensibilisation à la promotion de la scolarisation des personnes en situation de handicap. A ces recommandations, le Maroc doit apporter des éléments de réponse dans son rapport qui sera présenté lors de la prochaine réunion du Comité des droits des personnes handicapées prévue pour le mois de mai prochain. D’ici là, les associations espèrent des améliorations au niveau du contenu de la loi-cadre sur la protection sociale.

Le handicap n’est pas une fatalité

«Dédramatiser» et «Démystifier» le handicap pour qu’il ne soit plus un domaine méconnu et un marqueur de l’état «hors- norme» d’une personne. C’est l’objectif de l’étude «Changer de regard sur le handicap» qui a été réalisée en 2021 par Z PROJECT pour le compte du bureau de l’UNESCO pour le Maghreb. Basée sur les verbatim d’une centaine de personnes en situation de handicap, de familles et de professionnels, l’étude apporte un regard empirique sur les représentations sociales du handicap. Elle interroge à partir du vécu et des expériences personnelles et collectives, les normes sociales et les attitudes qui influencent la participation sociale des personnes en situation de handicap.

Les stéréotypes persistent
L’objectif est de promouvoir un regard positif sur le handicap en rompant avec des pratiques et des représentations stigmatisantes sur la différenciation. Le terme même de handicap, employé de manière générique, évoque une situation d’inadéquation. Il pointe la dimension négative de l’interaction entre une personne ayant un problème de santé et des facteurs contextuels environnementaux et personnels. Or, le changement à opérer consiste à inscrire dans les esprits une conception situationnelle du handicap permettant aux PSH de vivre avec leurs différences lorsque les conditions sont favorables. Il faut rompre avec la conviction profondément inscrite dans notre culture que le handicap est une maladie et d’une fatalité. Malheureusement, les représentations sociales dominantes assimilent encore le handicap à une pathologie impliquant des limitations et nécessitant une prise en charge spécifique en dehors des cadres de participation «ordinaires» pensés pour les personnes dotées de l’intégralité de leurs capacités physiques et intellectuelles. Au Maroc, bien que les normes et les pratiques ont évolué, certains stéréotypes persistent et se nourrissent de situations présentes bien réelles. Par exemple, l’association des termes handicap/ pauvreté puise ses racines dans la réalité de nombreuses personnes plongées dans une grande précarité économique en raison de leur handicap. Or, leur situation pourrait être différente si des mesures compensatoires leur permettaient de subvenir à leurs besoins, d’avoir accès à des services de santé adéquats et de bénéficier d’une protection sociale suffisante. L’enjeu actuel pour la société marocaine moderne est de considérer les personnes en situation de handicap non comme des personnes à la marge dont il faut prendre soin par pitié ou pour respecter l’injonction religieuse de la charité envers les plus faibles, mais comme des citoyens disposant de droits, en mettant à leur disposition les moyens et les conditions adéquates et en les protégeant contre toutes formes de discrimination basée sur leur situation de handicap. C’est en tout cas le choix politique du Maroc concrétisé par sa ratification de la Convention relative aux droits des personnes handicapées. Un changement de regard suppose des interventions à plusieurs niveaux, et sur la durée notamment agir à tous les niveaux de la société auprès des décideurs, acteurs institutionnels, professionnels du monde médical, éducatif, économique, et médiatique, acteurs associatifs et les familles. Investir les espaces du vivre-ensemble comme l’école, les lieux de culte, la famille et les communautés directes comme le voisinage. Investir le champ politique, influencer le législateur et les gouvernants qui mettent en œuvre les politiques publiques dans les différents secteurs pour que les attentes des personnes en situation de handicap soient prises en compte. Et, enfin, diffuser les informations qui contribuent à rompre avec une vision médicale et une vision caritative du handicap. Le handicap ne doit pas être cantonné au statut de pathologie, il relève d’une situation qui ne doit pas être «réparée», mais qui peut être atténuée par un accompagnement adapté.