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Société

Pathologies lourdes : désemparés, les patients en parlent de plus en plus…

Cancer, sida, autisme, trisomie, hépatites, Alzheimer, Parkinson…, autant de maladies lourdes à porter. Tues il y a quelques années encore, les patients et leurs familles arrivent à en parler aujourd’hui… Pour les médecins, s’exprimer est une thérapie en soi.

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Pathologies lourdes

Notre témoin, que l’on nommera Khadija, a choisi, dès que le diagnostic de son cancer a été établi, de ne rien dire à ses proches: «Je ne voulais pas perturber mes enfants âgés alors de 5 et 7 ans, en leur expliquant des choses qu’ils pourraient ne pas comprendre à leur âge. Je ne voulais pas non plus inquiéter ma mère, diabétique et hypertendue, qui venait de subir le choc du remariage de mon père». Seul son mari, médecin comme elle, a été mis dans la confidence et, indique Khadija, «je lui ai fait jurer de ne rien dire à personne. C’est un secret très lourd à porter mais à nous deux nous avons réussi à tenir le coup». Aujourd’hui, notre témoin est tirée d’affaire et effectue régulièrement des examens de contrôle à Paris. «Tous mes déplacements pour les soins étaient déguisés en voyages professionnels, avec mon mari. Nous prétextions des congrès médicaux pour justifier nos nombreux déplacements pour les soins», relate Khadija qui ajoute que «pour cacher la chute des cheveux, j’ai dû porter une perruque, faisant croire à mon entourage que je voulais changer de look et je mettais du vernis, noir ou marron, pour camoufler la fragilité de mes ongles cassés… Aujourd’hui, lorsque j’y pense je me demande si mes sœurs se sont un jour doutées de quelque chose et si c’est le cas, je peux dire qu’elles ont été bien discrètes».

Latefa, autre patiente atteinte d’un cancer du colon, s’est totalement effondrée à l’annonce de sa maladie : «Mais, une fois à la maison, j’ai épargné mes proches de cette mauvaise nouvelle. Ils ne l’ont su que lorsque j’ai subi mon opération et que j’ai commencé ma chimio. C’est très dur de cacher, de taire une maladie. Je pense que le malade a besoin de soutien en ces moments et que les proches ont le droit de savoir pour ne pas être choqués par la suite. Ils doivent être préparés à la suite des événements, notamment au décès».

Faut-il cacher sa maladie ? Et pourquoi ?

S’il y a quelques années les personnes atteintes de maladies graves, appelées aussi pathologies lourdes, cachaient leurs maux, aujourd’hui, il y a, selon des médecins, une meilleure «acceptation du mal». «Lorsque j’ai commencé à travailler à l’hôpital, au service de l’oncologie, les malades venaient avec leurs familles et on ne pouvait pas leur annoncer le diagnostic, on prenait les proches à part pour en parler. Et lorsqu’il s’agissait de personnes analphabètes et peu averties, les traitements commençaient et ils ne se doutaient de rien… La famille n’osait même pas parler de cancer, mais disait «La3dou»», indique le docteur Lakhdar de l’hôpital de Hay Hassani. Et d’ajouter : «Les familles cachaient la maladie à l’entourage et même au malade et nous devons respecter leur choix et leur discrétion». Pour le Dr Benchekroun, spécialiste des maladies infectieuses dans le même hôpital, «il y a quelques années, on ne pouvait pas annoncer directement le diagnostic d’une tuberculose à un patient. Il fallait d’abord le dire à la famille qui s’en chargeait et souvent le malade ne veut pas que son entourage le sache. Les patients tuberculeux, comme ceux atteints des hépatites, ont peur d’être écartés car il s’agit de maladies contagieuses».

Les médias et les associations ont permis de vulgariser certaines maladies

Mais, poursuit ce spécialiste, «les médecins sont dans l’obligation d’en parler avec le malade car, d’une part, il faut le sensibiliser à la gravité de la maladie et à la prévention, et, d’autre part, il faut faire des dépistages chez les proches».

Aujourd’hui donc les médecins parlent de plus en plus directement aux patients et ensuite à leurs proches de la maladie. «Il n’y a pas lieu de cacher quoi que ce soit car le seul fait d’en parler peut quelque part soulager les personnes concernées. Il faut en parler car il y a aujourd’hui, contrairement à il y a quarante ans ou plus, une prise de conscience de la part des patients et une évolution de la médecine et de la prise en charge des pathologies graves qui font qu’il y a une meilleure acceptation de la maladie et on peut même parler d’une vulgarisation de ces maladies lourdes», explique Nadia Berrada, psychologue et coach médical qui prend, depuis cinq ou six ans, en charge des grands malades. «Le premier conseil que je leur donne est de parler et de se livrer pour pouvoir faire face à leur maladie et surmonter toutes les implications qu’elle peut avoir. Je peux dire qu’actuellement les malades acceptent de parler et de se faire aider. Ce qui est une grande avancée lorsque l’on sait qu’au Maroc d’il y a quarante ou cinquante ans, les femmes cachaient leur stérilité qui était une honte !».

Si les Marocains arrivent de plus en plus à parler de leur maladie, c’est grâce aux diverses associations et aux médias qui abordent les sujets médicaux à travers des émissions spécialisées ou des reportages. Selon la maman d’un enfant autiste, l’association SOS Autisme a joué un rôle important dans la prise en charge de son fils : «Même après le diagnostic de l’autisme de mon fils, je n’ai pas voulu en parler à mon entourage, j’avais honte quelque part et je ne voulais pas que mon fils soit traité différemment des autres enfants de la famille. Mais, lorsque j’ai pris contact avec l’association, j’ai découvert d’autres cas et d’autres mamans qui ont fait face à la situation avec sérénité  et donc j’ai changé d’attitude». A l’Association marocaine de soutien et d’aide aux personnes trisomiques (AMSAT), des parents reconnaissent l’aide associative: «L’association a joué un rôle important pour nous, elle nous a permis de mieux comprendre la maladie, comment la vivre avec nos enfants et a surtout permis une intégration des enfants trisomiques à travers sa plateforme socio-éducative et ses programmes de formation et de développement», indique Naima Bendehri, mère d’un enfant trisomique.

L’action associative permet l’accompagnement des familles et l’insertion des autistes et des trisomiques. Cependant pour certaines pathologies, comme Alzheimer et Parkinson, elle reste limitée. L’association Maroc Alzheimer, créée en 2004, apporte une solution à ces familles, mais il faut davantage de structures spécialisées. Selon des neurologues, les familles des personnes souffrant de ces deux maladies sont dépassées aussi bien au niveau du coût des traitements qu’au niveau de l’accompagnement et de l’aide. «Les familles sont livrées à elles-mêmes et doivent s’occuper de leurs parents malades. Ce qui les poussent à parler de la maladie et à demander de l’aide. Autrefois, les patients souffrant d’Alzheimer étaient considérés comme des personnes atteintes de démence et on les enfermait. Aujourd’hui, les proches parlent de la maladie à l’entourage et accompagnent les patients dans l’évolution de leur état», soulignent les neurologues. Et d’estimer qu’il ne faut pas «cacher la maladie, il faut au contraire s’exprimer et chercher un soutien auprès de la famille, des amis et des associations spécialisées». «Certaines émissions, ajoute-t-il, ont permis des opportunités d’aide, de soutien et d’accompagnement aux malades. Elles ont même, dans certains cas, permis des aides financières à des malades nécessiteux. Ce qui est très important!».

Ecrire sa maladie, un exercice qui peut soulager…

Outre les émissions médicales ou sociétales abordant certaines pathologies et exposant le vécu des patients, il y aussi la littérature qui peut, selon Mme Berrada, coach médical, soulager les patients et leurs familles. Les thèmes médicaux ont été traités pour aborder les épidémies de l’humanité dans les livres de la Bible ou encore plus récemment chez Albert Camus, Gabriel García Márquez qui ont traité de certains fléaux comme la peste ou la tuberculose dans la littérature romantique. On peut aussi évoquer les déclinaisons de la mélancolie dans les œuvres de Rousseau et Kafka ou encore l’épilepsie chez Dostoïevski. Au cours des années 80,  des auteurs ont écrit sur les maladies chroniques, comme le cancer et le sida comme D’une mort très douce, de Simone de Beauvoir. Cette littérature de la maladie permet de traduire et de mettre en exergue les dimensions historiques, sociales, culturelles et personnelles induites par les diverses maladies. On peut également citer les écrits de médecins-écrivains s’exprimant sur les affres de la profession, la nature des maladies et les symptômes qui les accompagnent ainsi que de la relation entre médecin et patient… Mais, il y a aussi les récits qui parlent du vécu des patients eux-mêmes qui osent, qui prennent leur courage à deux mains pour écrire leurs maux. On peut alors citer le livre N’oublies pas Dieu, paru en 1987 et écrit par Leila Lahlou qui relate son histoire avec le cancer du sein. Elle expose toutes les étapes traversées jusqu’à sa guérison. Et c’est dans l’Ablation, paru en 2014, que Tahar Benjelloun a aussi voulu raconter son cancer de la prostate. Il indique comment il a vécu toutes les étapes douloureuses qui vont du premier examen, à l’attente des résultats, en passant pour les traitements. Il y raconte sa peur, sa solitude, son corps qui change et toutes les implications qui font peur et peuvent même faire honte. «Les malades qui choisissent de ne pas cacher leur maladie et d’en parler dans des livres, parlent d’eux-mêmes, de leurs traumatismes mais aussi de leurs familles car il est important de parler des proches, de l’entourage qui vit également la maladie. Et particulièrement les conjoints qui souffrent de la déstabilisation du couple et appréhendent de continuer seuls en cas de décès», avance Mme Berrada qui dit encourager les patients, qui en ont la capacité, de s’exprimer à travers l’écriture.

[tabs][tab title = »Le Centre de jour Alzheimer de Hay Ennahda, une réponse concrète à la prise en charge des personnes atteintes d’Alzheimer »]Inauguré par S.M. Mohammed VI en mai dernier, le Centre de jour Alzheimer est un projet pilote initié par la Fondation Mohammed V pour la solidarité. Il s’inscrit dans le programme de prise en charge sanitaire spécifique mené par la fondation, à travers la mise en place d’infrastructures médico-sociales spécialisées privilégiant la proximité et l’accès aux soins aux plus démunis et aux personnes souffrant de problématiques de santé particulières. Véritable problème de santé publique, la maladie d’Alzheimer et les démences apparentées concernent un nombre important de personnes, avec 100 000 cas au Maroc, dont environ 20 000 cas à Rabat (selon les estimations d’une étude de l’Alzheimer’s Disease International (ADI) – 2010). Maladie neuro-dégénérative qui se manifeste par une atteinte cognitive progressive (perte de mémoire, de repères dans le temps, troubles du langage, disparition progressive de la capacité de raisonnement, de réflexion, etc.), elle entraîne également une souffrance ‘‘imposée’’ aux familles des personnes atteintes qui se battent pour préserver la dignité de leurs proches et se sacrifient pour leur assurer une prise en charge décente. Pour cela, le ministère de la santé a mis en place une stratégie axée sur la formation de médecins spécialisés, l’instauration de structures appropriées pour accompagner les patients et aider les familles. Pour l’heure, les familles se mobilisent et avec elles les réseaux associatifs constitués de médecins et d’experts. Et le centre socio-médical de proximité dédié aux personnes atteintes d’Alzheimer vient répondre au manque d’infrastructures spécialisées dont souffre le Maroc. Situé dans le quartier de Hay Ennahda à Rabat et opérationnel depuis fin mai 2017, sa gestion est assurée par l’association Maroc-Alzheimer. Le centre offre une prise en charge intégrée et adaptée des patients souffrant de la maladie d’Alzheimer, associant le médical, le social, le préventif et le curatif. A cela s’ajoute un accompagnement de la personne malade, de sa famille, et des aidants à domicile pour faciliter leur rôle auprès des personnes cibles et valoriser leur action à travers la formation-information. Grâce à cet accueil de jour, les patients bénéficient de thérapies non médicamenteuses basées sur la stimulation des fonctions cognitives. Son expertise permettra de former du personnel soignant pour d’autres centres similaires ou pour une prise en charge adaptée à domicile. Ayant démarré ses activités avec la prise en charge, dans un premier temps, de 20 cas de personnes atteintes d’Alzheimer, le centre permettra, à terme, d’accueillir près de 100 patients. Ayant nécessité un investissement de l’ordre de 9 millions de DH, ce centre médico-social, construit aux normes internationales, dispose d’un pôle médical et d’un pôle d’accompagnement social, lesquels offrent divers soins dans 24 salles, chacune consacrée à une activité spécifique, collective ou individuelle. Pour les personnes malades, des ateliers de stimulation cognitive, seules ou en groupe, y sont proposés. Une salle de sport adaptée aux besoins des patients est également à leur disposition, ainsi que plusieurs salles de soins, de psychomotricité, d’orthophonie ou encore de kinésithérapie. Le centre de jour a pour vocation d’être un centre pilote dans le pays, dont l’expertise permettra de former du personnel soignant pour d’autres centres similaires dans le Royaume. Une salle de formation dédiée au sein de ce Centre de jour permettra ainsi de dupliquer cette expérience en formant différents soignants, lesquels, à leur tour, s’occuperont de patients atteints de la maladie d’Alzheimer, ainsi que des aidants familiaux de ces malades. Les proches des malades atteints d’Alzheimer peuvent quant à eux bénéficier d’ateliers de relaxation au cours desquels des professionnels, formés aux techniques du tai chi, du yoga ou encore de la sophrologie, leur proposent d’apprendre à gérer leurs émotions, à réduire leur stress et les différentes tensions physiques et psychologiques générées par le fait de côtoyer la maladie au quotidien. Ces proches, parfois désemparés face à la maladie, sont également formés collectivement, lors de réunions spécialement organisées par des psychologues, mais aussi par des bénévoles n[/tab][/tabs]