Société
Oulad Hriz : Quand la «Chaouiya» compte ses vénérables tribus
• Il est sûr que l’art n’est pas seulement un outil de divertissement.
• Il est parfois des textes qui sont de vrais documents historiques et d’une grande importance.
• Dans la grande région de la Chaouiya, l’art, notamment «El Aïta», a beaucoup à nous apprendre sur l’histoire de la région et des tribus qui y ont élu domicile depuis des siècles…
C’est à Médiouna que se sont accordé les enfants de la Chaouiya», dit une «Qassida» très connue (voir encadré). Ou encore la très célèbre Qassida «El Aloua», version Ahmed Oueld Kaddour, (dit Moul El Aloua), qui retrace les origines, voire les racines des tribus de la région et particulièrement les «M’zab» et leurs saints vénérés inhumés dans ce territoire chef-lieu de la ville de «Ben Ahmed».
Et puis, il y a la Qassida fétiche des «Oulad Hriz» intitulée «El aâda» (ou la tradition), dans laquelle lit-on «vous les ouled Hriz, votre ancêtre vénéré est cher, il mérite de l’or et des Louis (d’or), l’écho de sa grandeur est arrivé à Paris»…
Dans ce passage de la chanson qui relate les bienfaits et les saintes origines de Sidi Amer Belahcen, qui fut, aux côtés de Sidi M’hamed El Bahloul, défenseur et garant d’El Aloua, un grand des grands soufis et érudit de l’époque, on parle de l’écho de l’homme qui a atteint Paris, en ce sens que les origines chérifiennes de saints ont ainsi été consignées par un historien parisien dans le «Livre d’or» de la famille «Berrechid». Lequel historien relève un lien étroit avec la sainte famille du Prophète à travers Sidi Aïssa Ben Driss. «El Aâda» est aussi un appel solennel, voire une incitation à tous les membres de la tribu, où ils se trouvent, de se mobiliser pour rendre un grand hommage au Saint manifesté par l’importance et la richesse des présents qu’ils devront présenter et la grande générosité, des mets et des festins qu’ils organisent et financent à cette grande occasion du moussem annuel.
Et outre, le sens de «tradition», les historiens et chercheurs de la région, notamment Taher Jilali, «El Aâda» signifie surtout le périple sacré, à portée religieuse qu’entreprennent «Oulad Hriz», chaque année en lieu et temps, vers le site natal du saint au fins fonds de la région de Tadla où se trouve le mausolée de leur ancêtre inhumé à «Kelaat Sraghna». Et c’est dans l’esplanade du mausolée qu’ils organisent les fêtes et les festins, renforçant ainsi leurs liens solidaires et leur attachement au pays et à leurs nobles origines que traduisent les cérémonies de «fantasia» organisées à l’occasion et qui durent tout le temps du moussem. «El Aâda», c’est donc aussi l’histoire de ce voyage qui débute du cœur de la Chaouiya où cette tribu a élu domicile depuis des siècles à cause de la présence et l’abondance d’eau, de pâturages et de parcours, vers leur terre d’origine à Tadla…
Des origines…
Tout d’abord, qui sont «Oulad Hriz» et quelles sont leurs origines ? Oulad Hriz sont originaires des «Banou Salim», une des tribus arabes qu’a fait venir au Maroc le calife Al Mohade, Yâacoub El Mansour, et qui a élu domicile dans la région de Tamesna, connue aujourd’hui sous le nom de Chaouiya. A son arrivée, la tribu des Oulad Hriz, Riyah et Oulad Saleh ont rencontré des tribus amazighes qui habitaient les lieux depuis déjà longtemps. L’on rapporte, à cet effet, que parmi les plus célèbres et plus anciennes familles de la tribu des «Oulad Hriz», on trouve à ce jour la famille des «Ibn Rachid» (ou Berrechid), qui descend des «foqra Oulad Allal» et la faction des Oulad Youssef, de la tribu des Oulad Hriz. Les Berrechid sont ainsi des descendants de Sidi Amer Belahcen Ben Belkacem, descendant aussi de Sidi Aïssa Ben Driss inhumé à la tribu des Aït Atab, dans les hauteurs de Tadla. Quant au nom de la tribu, il a été attribué en commémoration au souvenir de «Lahriz Ben Tamim, Ben Amrou Ouechah, Ben Amer, Ben Rafii, Ben Debbab, Ben Malek Ben Salim». Cet attachement aux origines a fait que «Oulad Hriz» n’ont jamais accordé la conduite de leur tribu à quelqu’un d’une autre tribu. D’où les chefs de la tribu qui se sont succédé ont été «hrizi» de pure souche. Parmi ceux-là l’on cite le caïd Othman et son fils le caïd Bouchaïb Ben Othman dont le commandement qui a duré 12 ans contenait outre Oulad Hriz, les tribus de «Mdakra», de «Oulad Ali», de «Oulad ziyane», «Oulad M’rah» (Mzab actuellement) et «Ziyayda», sous le règne du Sultan Alaouite Moulay Slimane.
C’est lors de cette période que fut érigée la «kasbah de Berrechid» dont la construction a été achevée par ses fils parmi lesquels, le caïd El Hattab qui a pris la relève pour une durée de 11 ans. Suite à son décès, son oncle le caïd Rachid Ben Othman a pris la relève et est resté aux commandes de la tribu pendant 11 ans aussi pour ensuite passer le témoin à son fils le caïd Mohamed Ben Rachid qui fut le grand commandant de la tribu pour une durée de 18 ans. Son fils, Rachid Ben Mohamed Ben Rachid gouvernera ensuite pour une durée de 3 ans. Une période marquée surtout par le soulèvement de certaines tribus qui ont sollicité le Sultan pour les dispenser de la mise sous les ordres des «Berrechid» et de réduire le territoire de commande de caïd Rachid aux seules tribus des «Oulad Hriz», «Mdakra», et «Oulad Ali». Répondant favorablement à cette requête, le Sultan a nommé un caïd pour chacune des trois tribus : «Oulad Ziyane», «Oulad M’rah» (M’zab) et «Ziyayda». Suite au décès du Sultan Alaouite Moulay Hassan 1er et redoutant des attaques des caïds des autres tribus de la région (Chaouiya), Caid Abdeslam Lahrizi a creusé de profondes et larges tranchées tout autour de sa kasbah. Caïd Abdeslam s’est rendu célèbre pour avoir fortement aidé le Sultan Moulay Abdelaziz dans sa lutte contre la rébellion de «Bouhmara». Il trouva la mort sur le chemin du retour à sa région pour que son fils le caïd Haj Ahmed Ben Abdeslam Lahrizi prenne la relève pour juste une année à cause de son décès et c’est son cousin le caïd Haj Hammou Ben Haj Mohamed qui lui succéda pour une durée de deux ans. Au lendemain du décès de Haj Hammou deux caïds allaient se disputer le pouvoir.
Il s’agit du caïd Haj Mohamed Ben Haj Hammou et le caïd Mohamed Ben Abdeslam Lahrizi. Le Sultan allait trancher, à Fès, en nommant le premier caïd et le second «khalifa», ce qui a attisé la rivalité et déclencha une rude lutte entre les deux hommes et le second s’est allié à des caïds des tribus avoisinantes pour lutter contre Ben Abdeslam qui décida enfin de fuir, de nuit, à Fès suite à quoi la kasbah de Berrechid fut attaquée, pillée et saccagée puis détruite et ses détenus se sont enfuis et ce en 1905 (1323 de l’Hégire).
Au-delà des festivités les croyances
Au-delà des festivités, des copieux festins, des «hadras», des rituels et des moments de transe qui marquent ces festivités, c’est surtout la cérémonie de clôture qui connaît l’apogée du symbolisme qu’est cette grande fête annuelle. En effet, la «Aïta Amraouiya» (en référence à Sidi A’mer Belahssen), des Oulad Hriz, relate la dimension religieuse et de croyance traditionnelle, en citant toute la symbolique de l’offrande «Al Merfouda» et le sacrifice. Substantiellement, la chanson cite «Les chevaux ont galopé jusqu’à l’épuisement. Il a traversé la rivière puis il est mort. J’ai vu de mes propres yeux le taureau égorgé en train de courir, suivi d’une foule d’hommes à cheval et à pied. Ruisselant de sueur, les chevaux ont galopé, près d’une heure. Il a traversé la rivière et a apporté la joie et tout le bien pour nous et tous ceux qui nous ont accompagnés dans ce périple».
Là aussi, il s’agit d’un rituel spécifique à la tribu. Les sources précisent à cet effet qu’au dernier jour de la «Ziyara» (visite sacrée), l’on égorge trois grands taureaux. Le premier est une offrande de choix au saint Sidi Amer, le second est sacrifié en guise d’offrande aussi aux filles du saint dites «El Kanbouchiyates» (Enterrées aussi sur les lieux) et un troisième taureau en offrande au père du saint Sidi Lahcen. Une fois égorgé, l’animal est orienté vers les plaines de la Chaouiya par des hommes forts. Puis, munis de bâtons et de barres de fer, la foule poursuit le taureau en l’empêchant de succomber avant d’atteindre et de traverser la rivière. Si toutefois l’animal tombe avant d’atteindre celle-ci, cela est de mauvais augure, puisque ça prédit une mauvaise et maigre année agricole à Oulad Hriz.
Par contre, quand le taureau traverse la rivière et tombe, cela déclenche des scènes de liesse collective en signe de satisfaction, puisque, selon la croyance, cela veut dire que la tribu a la bénédiction du saint homme et qu’elle devra donc s’attendre à une très bonne année agricole et à de riches récoltes. Mais il semblerait que de nos jours, et bien que fort croyants en la «Baraka» et les «Karamates» de leur ancêtre et vénéré saint, ce rituel n’est plus organisé qu’en guise de spectacle de clôture du moussem et sans portée religieuse ni croyance. Il vise surtout à perpétuer cette symbolique tradition et à l’ancrer dans la culture et le patrimoine de la tribu chez les jeunes générations.
Médiouna: Espace mythique d’un traité tribal historique
Comme souligné ci-haut, «c’est à Médiouna que se sont accordé les enfants de la «Chaouiya». Il faut préciser qu’il s’agit de l’historique «Kasbah de Médiouna» comptant parmi les plus importantes «kasbah» bâties par le Sultan Moulay Ismaïl. Caravansérail d’importance, la Kasbah était une étape cruciale pour les caravanes commerciales provenant de Fès à destination de Marrakech. Ainsi que pour les déplacements qu’effectuait le Sultan Moulay Ismaïl dans le but de faire régner l’ordre et la paix sur l’ensemble du territoire. Les autorités coloniales françaises et portugaises en avaient même fait un point de contrôle sécuritaire pour leurs armées afin d’imposer leur domination sur la région de la «Chaouiya» et en faire un point de ravitaillement à leurs caravanes et leurs soldats installés au port de Casablanca.
En 1907, les autorités françaises allaient même installer des abattoirs pour fournir à leurs ressortissants et soldats, basés dans la région, des viandes rouges. Au début du siècle dernier, rapportent des intéressés et chercheurs dans l’histoire de la région, la « kasbah de Médiouna » avait abrité le plus grand rassemblement des tribus de la région lors des premières attaques des frégates françaises sur le port de Casablanca. Le but de ce rassemblement était en effet de s’unir en vue de mener la lutte contre l’extension de l’occupation française sur le territoire marocain. Une lutte soldée par la démolition d’une grande partie de cette «Kasbah» qu’à surtout rendu plus célèbre encore la farouche résistance de de la tribu «Médiouna» face à l’occupant. Une lutte sans merci ni répit qui n’a pris fin qu’à la suite de la soumission des tribus de «Zenata» et de «Oulad Ziyane».
Une fois le territoire conquis, les forces d’occupation ont fait de la Kasbah un centre de contrôle de la région séparant les fleuves «Bouregreg» et «Oum Errabii», pour abriter des réunions tenues par un bon nombre de généraux français dont Lyautey, portant surtout sur le redéploiement des caïds dans la région de «Chaouiya». En 1942, la Kasbah allait connaître un nouvel essor, puisqu’elle a été transformée en «Ecole militaire» destinée à la formation des officiers et commandants de l’armée française. Selon les historiens, cette école a été un important institut français de formation d’officiers, durant la second guerre mondiale, notamment quant au nombre d’élèves qui y étaient inscrits.