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Moncef Drissi : «On ne parle jamais d’arrêt, mais toujours d’abstinence»

Pour ce spécialiste en addictologie, la lutte anti-tabagisme doit reposer sur la détection des troubles mentaux et des anxiétés généralisées. 60 à 90% des fumeurs ont des comorbidités psychiatriques.

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Le tabagisme est une addiction certes, mais est-ce une maladie ? Ou est-ce les deux forcément ?
Il faut considérer le tabagisme comme une maladie chronique. La prévalence du tabagisme au Maroc qui est de 13,4% s’aligne sur la prévalence du diabète. Pour moi, il y a beaucoup de ressemblance entre le tabagisme et le diabète, car ce sont tous les deux des maladies chroniques et qui engagent les mêmes soucis. Le diabétique n’est pas motivé pour suivre sa diète. Il est réticent par rapport à l’insuline. Il peut parfois penser que ce n’est pas le médicament qui va le sauver. Par ailleurs, dans chaque plan stratégique de lutte anti-tabagisme, il faut commencer à détecter les troubles mentaux et les anxiétés généralisées. 60 à 90% des fumeurs ont des comorbidités psychiatriques.

Que recommandez-vous à vos patients pour les aider à arrêter de fumer ?
Arrêter de fumer, c’est à la fois simple et compliqué. Simple, parce que basé sur la motivation : une personne qui n’est pas motivée ne peut s’inscrire dans ce cercle vertueux de changement, de l’abstinence. On ne parle jamais d’arrêt, mais toujours d’abstinence. La seule chose à faire est de passer par un cycle de motivation, et ce, à travers différents stades (précontemplation, ambivalence, mûrir la motivation) tout en capitalisant sur les acquis. Certaines personnes parviennent à arrêter du jour au lendemain, mais cette population correspond aux 5% latéraux de la courbe de Gauss. En santé publique, on s’intéresse au pic de la courbe.

Comment aider durant la phase de sevrage ?
Le sevrage est un facteur de renforcement négatif. À la première cigarette consommée pendant cette période, il y a la culpabilité d’abord, l’anxiété ensuite, puis le sentiment d’échec. Ce qui implique une baisse de l’estime de soi. Ces sentiments sont ressentis dans l’immédiat et le problème n’est pas dans l’immédiateté, mais plutôt dans le long terme. La personne addicte se vêtira du masque de la victime pour devenir inaccessible, inapprochable, et cela pour entretenir son addiction. Un message pour rassurer les fumeurs : il suffit de résister 20 minutes à la première cigarette du matin pour que l’attractivité et le «craving» (envie presque irrépressible de fumer) se décident.

Que pensez-vous des produits alternatifs réduisant le risque du tabagisme ?
La réduction des risques est un très bon concept. Il est appliqué dans tous les programmes et le concept a très bien marché dans plusieurs infections virales. Il n’y a donc aucune raison que cela ne réussisse pas concernant le tabagisme. Expérimenter, c’est une bonne chose, du moment où l’expérimentation est cadrée.

Les campagnes de sensibilisation auprès des jeunes suffisent-elles à les dissuader de fumer ?
Les programmes nationaux de lutte anti-tabagisme ont montré leur efficacité. Mais en matière d’addictologie, il faut dire que même si on prend en charge nos enfants et nos adolescents depuis l’adolescence, on ne peut pas contrôler leur consommation. Ce sont des personnes qui sont dans la transgression, dans l’influence de leurs pairs. Il faut les protéger davantage en verrouillant l’accès à ces produits.