Société
Maroc – Pédophilie : dans 75% des cas, les agresseurs sexuels sont des proches
La majorité des victimes d’abus sexuel au Maroc sont des enfants à¢gés de moins de dix ans.
Les agresseurs étant souvent de la famille, les affaires médiatisées ne constituent que la partie visible de l’Icerberg.
Les tribunaux ne font pas appel à des expertises psychologiques pour pouvoir évaluer le degré de la souffrance des victimes.

Les affaires se suivent … et se ressemblent. Pas une semaine sans que le pays ne découvre de nouveaux cas d’abus sexuels contre des enfants. Médiatisation aidant, ces dernières années, on a assisté à une mobilisation grandissante, notamment de la part de la société civile. C’est l’exemple de l’association «Touche pas à mon enfant», créée en 2004 pour lutter contre la pédophilie, et l’une des plus actives dans la lutte, qui vient de passer à la vitesse supérieure : depuis le mois de mars dernier, elle est en train de mettre en place des coordinations dans les principales villes du Royaume, ainsi que des commissions de suivi et de veille, pour mieux combattre le fléau. C’est déjà fait pour Rabat, Tanger, Mohammédia et Laâyoune. «Les autres villes suivront, nous attendons seulement la tenue de l’assemblée générale de l’association au cours de laquelle nous discuterons de leur règlement interne, ainsi que de la relation de ces coordinations avec le bureau central», explique Najat Anwar, la présidente de l’association. D’ores et déjà à Rabat, trois commissions sont constituées. La première est dédiée au volet médico-psychosocial qui accompagnera l’enfant victime pour l’aider à surmonter les conséquences psychologiques de l’agression subie. La deuxième commission a plutôt un caractère juridique et institutionnel, elle accompagnera l’enfant dans les démarches judiciaires, depuis le dépôt de la plainte jusqu’au jugement final, en suivant de près le déroulement des procès auprès des tribunaux et en analysant les jugements pour établir des recommandations. La troisième commission, elle, est dédiée à la communication et à la sensibilisation. Experts en la matière, juristes et psychologues sont associés à cette nouvelle stratégie.
Il faut dire qu’avant même que l’association Touche pas à mon enfant ne commence à étendre son activité, une «Coalition contre les abus sexuels sur les enfants» a vu le jour en 2006. Forte d’une quarantaine d’associations nationales et internationales, la coalition a produit un rapport explosif en 2007 où elle tirait la sonnette d’alarme, tout en traitant les causes de la pédophilie et en suggérant quelques solutions. Le rapport pourfendait particulièrement le gouvernement dans son laxisme quant à la poursuite des criminels sexuels et appelait le législateur à durcir les peines.
Si la société civile est de plus en plus alarmée -et alarmiste- c’est qu’il y a danger en la demeure : les pédophiles sévissent d’abord contre des enfants qui leurs sont proches, souvent des membres de leur propre famille. Les exemples sont légion : Dikra (dont l’histoire est relayée par la presse ces jours-ci) est une fille dont l’abuseur sexuel n’est autre que son père, imam dans une mosquée en Hollande. Pendant plusieurs années, et depuis qu’elle avait trois ans et demi, ce père abusait de sa petite fille. Ce n’est que plusieurs années plus tard, suite aux comportements bizarres de la victime, qui s’était repliée sur elle-même et qui commencait à vouer une haine farouche à l’égard de son père, que la mère eût la puce à l’oreille. Des doutes qui allaient se confirmer lors d’un séjour au Maroc, quand elle pris son conjoint en flagrant délit d’abus sexuel sur la petite fille. Une fois de retour en Hollande, elle menaça de porter l’affaire devant les juges. Craignant la justice hollandaise, le «monstre» se réfugia au Maroc.
En août 2008, la mère et la fille déposent une plainte auprès des autorités marocaines. Près de deux ans après, aucune poursuite judiciaire n’a encore été ordonnée contre le «coupable», et si la justice marocaine, menace la mère de la victime, ne fait pas son travail, c’est la justice hollandaise qui s’en chargera en demandant l’extradition du père. Les péripéties de cette histoire d’abus sexuel doublé d’inceste figurent noir sur blanc dans un livre, l’auteur attend seulement que l’affaire connaisse son épilogue judiciaire pour que ce témoignage trouve le chemin de l’édition.
Autre exemple, celui de Leila, qui vit à Guelmim. Elle a presque 18 ans quand elle accouche en 2005 d’un bébé en parfaite santé. Le père du bébé n’est autre que…son propre père, ce dernier abusait sexuellement de sa fille depuis qu’elle avait 14 ans.
Mais dans l’horreur il y a pire. En février dernier, la police judiciaire de Mohammédia mettait la main sur un homme de 36 ans, en flagrant délit de pédophilie. Lors de l’interrogatoire, l’accusé reconnaît avoir abusé depuis des années de plusieurs enfants de 8 à 12 ans. Le dossier est encore entre les mains de la justice. Toujours en 2010, il y a aussi l’affaire de ce Français de 56 ans qui a abusé sexuellement de sept enfants. Cet abus dépasse l’entendement puisque ce psychopathe sexuel infligeait des supplices à des enfants, élèves dans une école à Aït Ourir près de Marrakech, en associant des chiens à ses actes pédophiles, et en filmant avec des caméras. Le coupable écopa de cinq ans de prison. «Encore que le tribunal n’ait jugé dans cette affaire que sur la base de l’audition de trois des sept victimes», précise Omar Arbib, membre de la section de l’AMDH à Marrakech. Dans cette affaire, ajoute-t-il, toute la région s’est mobilisée, particulièrement la déléguée du ministère de l’éducation nationale et les institutrices de l’école, pour mettre en garde la population contre le tourisme sexuel.
80% des cas de violence infligée aux enfants concernent l’exploitation sexuelle
Ce ne sont là que quelques exemples de pédophilie, mais il y en a tant d’autres : l’assassinat en 2009 de Khalil Bouchtata âgé de 6 ans et de Yassine Moussaid âgé de 14 ans, deux garçons de Casablanca dont des voisins de quartier avaient abusé sexuellement avant de les tuer.
Recrudescence réelle de pédophilie ou simple amplification des médias? Ce que publie la presse, répond cet observateur, «n’est que la partie visible de l’iceberg, beaucoup de familles préfèrent taire l’ignominie que de l’étaler sur la place publique pour les raisons que l’on sait».
Des chiffres ? La présidente de Touche pas à mon enfant, ou encore la Coalition contre les abus sexuels sur les enfants donnent seulement des estimations. La première enregistre 306 cas de pédophilie au Maroc en 2008, se répartissant sur 55 localités (Voir encadré).
Le rapport précité, préparé par la coalition contre les abus sexuels sur les enfants, ne s’arrête pas beaucoup sur les chiffres, même s’il traite de plusieurs cas de pédophilie, mais confirme deux constats établis par tous les spécialistes qui ont travaillé sur le phénomène. Le premier constat est que l’abus sexuel représente la plus grande part des cas de maltraitance sur les enfants : 80% des cas de violence infligée aux enfants concernent l’exploitation sexuelle, note le rapport. Deuxième constat : les agresseurs sexuels sont souvent membres de la famille ou des personnes proches d’elle : 75% dans le cas du Maroc. La majorité des victimes d’abus sexuel sont des enfants âgés de moins de dix ans.
Le plus grave dans l’abus sexuel subi par un enfant, ce sont les conséquences physiques et psychologiques qui marquent à jamais la personnalité de l’enfant. Amina Smimine, assistante sociale à Touche pas à mon enfant et à Terre des hommes (une ONG suisse engagée dans la défense et la promotion des droits des enfants), décrit ainsi les enfants victimes de l’abus sexuel : «Ce sont des enfants démolis suite à l’acte, et dont les parents souffrent énormément. Dans un accident de la circulation, on voit les traces du dégât immédiatement et elles sont visibles, tandis que dans l’abus sexuel sur un enfant, ce n’est pas évident. Les effets néfastes peuvent ne pas apparaître au début, mais se révèlent avec l’adolescence, voire à l’âge adulte, et ce n’est qu’en entreprenant un profond travail de thérapie psychologique qu’on peut déceler les causes de l’instabilité». Il s’agit, ajoute le psychocriminologue Ahmed Elhamdaoui, enseignant à l’Institut royal de la formation des cadres, «de traumatismes qui peuvent détruire l’unité psychique de la victime, leurs reviviscences peuvent durer toute la vie de la personne» (voir entretien).
Et la prise en charge psychologique de ces enfants s’impose, comme sont nécessaires une sensibilisation de tous les jours, mais aussi l’application sans complaisance de la loi.
Le code pénal marocain «n’est pas tendre» selon Mustapha Rachidi, avocat au barreau de Marrakech qui a défendu les victimes dans plusieurs affaires de pédophilie dans la ville ocre. La peine peut aller, selon les circonstances, de 5 à 30 ans de prison. «Mais tout le problème, poursuit l’avocat, réside dans l’application de cette loi. Outre la corruption qui empêche parfois une application sévère et sereine de la loi, le juge ne l’adapte pas toujours selon les intérêts des victimes».
