Société
Mariages mixtes : les conditions pour que ça marche
Un phénomène autrefois tabou, aujourd’hui admis par la société.
Dans les années 1960 et 70, les mariages mixtes étaient surtout
le fait de jeunes Marocains partis poursuivre leurs études à l’étranger.
996 Marocaines ont épousé des étrangers non musulmans
en 1997; elles étaient 2 400 au début des années 2000.
Quarante-cinq ans qu’ils sont ensemble. Elle est française ; lui, marocain. Ils se sont rencontrés à Paris, au début des années 1960. Il faisait ses études de droit. Quatre ans après avoir fait sa connaissance, le futur avocat, diplôme en poche, fait ses valises et rentre au bercail. En compagnie de sa ravissante blondinette. Ils convolent en justes noces. Pour ne plus se séparer. Les étudiants marocains en France étaient nombreux à faire ce choix : le mariage mixte. Le secret de cette longévité ? «Notre amour était sincère. Chose importante dans ce genre de mariage : le respect de l’autre», répond le sexagénaire avocat. Partant de son expérience, et de celle des couples mixtes qui gravitent autour du sien, il nous certifie qu’il n’y a pas de raison particulière pour qu’un mariage avec une étrangère ne réussisse pas. Chaque couple possède ses propres ressorts et ses propres règles de fonctionnement. Mais dans la majorité des cas, malgré les vicissitudes inhérentes à toute vie de couple, les mariages mixtes ne tiennent pas moins le coup, et ne capotent pas plus que les mariages entre conjoints de la même nationalité. Et d’ajouter : «Les Marocains qui l’ont réussi sont généralement d’un niveau intellectuel assez élevé : il y a une certaine morale et un certain respect de l’autre. Si une étrangère accepte de venir vivre avec un Marocain dans son pays, c’est qu’elle le fait par amour, il faut que le mari le lui rende bien. Chacun est en devoir de respecter la culture de l’autre».
Comment ? Si le mari musulman (ou du moins de naissance musulmane), explique l’avocat, tient, par courtoisie ou par devoir, à partager la joie des fêtes religieuses avec sa famille, il doit accepter que sa femme fête la Noël avec son mari et leurs enfants. «C’est ce que j’appelle le respect mutuel, clé de la réussite du mariage mixte». Voire de tout mariage. Selon lui, si on voit des mariages mixtes tourner court, c’est à cause d’un mari qui délaisse sans scrupule sa femme pour se consacrer à ses amis et à sa famille : les épouses étrangères font leurs valises et prennent le premier avion pour rentrer chez elles, les enfants avec. «En tant qu’avocat, j’ai été saisi de dizaines de dossiers de ce genre. Dans la plupart des cas, ce sont les Marocains qui sont responsables de l’échec : ils sortent le soir avec leurs amis, pour fréquenter les bars ou jouer aux cartes sans aucun respect du conjoint, ça ne peut pas marcher avec une étrangère.»
La clé de la réussite du mariage mixte : le respect de l’autre
Dans les années 1960 et 1970, les mariages mixtes étaient-ils plus courant qu’aujourd’hui ? Difficile de répondre car on ne connaît pas, de l’aveu même de sources au ministère de la Justice, le nombre réel des Marocains mariés à des étrangères. Les résultats publiés par le Haut Commissariat au Plan suite au recensement de la population de 2004 restent muets sur le sujet. Une chose est sûre : c’est parmi les jeunes qui partaient faire leurs études à l’étranger que se contractait le plus grand nombre de mariages mixtes. Les universités européennes ouvraient facilement leurs portes aux étudiants marocains et la formalité du visa n’existait pas.
De nos jours, les conditions d’installation à l’étranger deviennent draconiennes et la majorité des jeunes continuent leurs études dans les universités marocaines. Le nombre n’est en tout cas pas massif comme c’était le cas auparavant, convient Mustapha Aboumalek, enseignant de sciences politiques à la faculté de droit de Casablanca, spécialiste en sociologie de la famille et auteur de l’étude Qui épouse qui? Mais le nombre des mariages mixtes continue d’être important, à cause de «l’ouverture de plus en plus grande de la société marocaine sur le monde extérieur. Il y a aussi le taux d’immigration qui va crescendo et qui encourage les Marocains s’établissant à l’étranger à épouser une personne de la nationalité de ce pays pour avoir leur papiers». Une troisième raison, liée aux deux premières, note Aboumalek, est «la diminution de l’analphabétisme car l’instruction contribue d’une certaine manière à ouvrir sur les autres cultures». En tout cas, selon lui, épouser une étrangère non musulmane n’est plus un tabou comme c’était le cas dans les années 1960-70. Le phénomène est désormais accepté et intégré par la société marocaine.
Les étudiants marocains n’épousent pas uniquement des Françaises (mais des occidentales), bien qu’ils soient majoritaires à le faire. Abdallah, ophtalmologue de son état, est marié depuis un quart de siècle avec Olga, une Ukrainienne. C’est en 1979 qu’il est parti faire ses études en Ukraine, dans l’ex-URSS. C’est à l’université, deux ans après son arrivée, qu’il la rencontre. Ils se marient à la mairie de la ville en 1985. Pour les besoins de l’acte de mariage, on ne lui demande comme document que le passeport. Un an après, ils ont leur premier enfant. En 1987, ils rentrent au Maroc. Lui est appelé pour effectuer le service militaire. Sa femme reste avec ses parents. Une occasion inespérée pour apprendre, et très vite, la langue du pays. Comme ses beaux-parents ne parlent ni russe ni français, Olga, sans enthousiasme, se met à l’arabe. Si bien qu’elle finit par le maîtriser au bout de trois mois. «Une aubaine qu’elle soit restée avec mes parents», se félicite son mari. «A mon retour, en l’écoutant parler couramment notre langue, je n’en croyais pas mes oreilles».
D’une manière générale, les femmes russes s’intègrent mieux
D’une manière générale, constate Abdallah, l’intégration des femmes russes mariées à des Marocains se fait plus facilement que celle des femmes issues des pays occidentaux. En raison de la langue d’abord : elles sont obligées d’apprendre l’arabe puisqu’elles ne parlent pas français. A cause de la mentalité, ensuite: les Russes, comme les Marocains, sont plus conservateurs que les Occidentaux. «Nous étions 300 Marocains à partir étudier en Ukraine en 1979 : 75 % se sont mariés à des russes. Nous constatons que nos femmes sont plus heureuses de vivre avec nous ici que chez elles, pour peu qu’elles soient traitées avec respect, et de mener un train de vie matériellement satisfaisant.»
Par ailleurs, si le mariage entre un Marocain et une étrangère est désormais accepté, qu’en est-il du mariage d’une Marocaine avec un étranger non musulman ? On sait, d’après des sources au ministère de la Justice, qu’elles étaient 2 400 Marocaines environ, au début des années 2000, à avoir épousé des étrangers, alors que le nombre ne dépassait pas 996 en 1997 (plus de 400% en 3 ans). Pour la même période, le nombre de Marocains à avoir épousé des étrangères serait de beaucoup inférieur. Autrefois, c’était perçu comme un sacrilège, une honte. Il semble que ce ne soit plus le cas aujourd’hui et de plus en plus de jeunes Marocaines épousent des non-musulmans, quitte à ce que ces derniers, comme l’exige la loi marocaine, se convertissent à l’islam. Mais la résistance reste forte et ce témoignage sur Internet le confirme : «Je suis catholique et marié à une musulmane ou plutôt une femme dont les parents sont musulmans. Je voudrais adresser un témoignage de résistance à toutes les filles qui souffrent de l’intolérance, voire de la haine de leur famille ou de leurs amis envers leur fiancé non musulman. Que peut-on espérer d’une famille qui est prête à vous renier, à vous frapper, à vous insulter parce que vous commettez le crime d’aimer et de vouloir construire une nouvelle vie avec un amoureux ?».
L’intégration dans la famille se fait d’abord par l’apprentissage de l’arabe
Cette intolérance, Aïcha l’a vécue, du moins au tout début de son mariage avec Guy, un Français. On est en 1989. Elle est employée dans une société de production cinématographique marocaine ; lui est aussi dans le monde du cinéma. Ils se rencontrent à Casablanca lors du tournage d’un film. C’est le coup de foudre. Le mariage est conclu quelques semaines après, en France. A l’insu du père d’Aïcha. Dans la confidence, la mère et les frères, plus tolérants. Le couple s’établit définitivement en France. Le père finira par apprendre, par se résigner faute d’accepter de bon cœur. Et même par aimer son gendre français, et tendrement son petit-fils né de cette union.
La mentalité a-t-elle pour autant profondément changé ? La question mérite d’être posée lorsque l’on sait qu’un certain nombre de mariages mixtes finissent mal. «A cause des enfants, surtout . Avec leur arrivée, le couple vit une sorte de déchirement : l’enfant va pencher pour l’un ou pour l’autre des parents, l’un des conjoints se sent exclu et cela finit par la séparation. La femme fait ses valises et rentre chez elle», témoigne Aboumalek. «Souvent en emmenant les enfants avec elle», ajoute un avocat. Et c’est le début d’un imbroglio judiciaire traumatisant pour les enfants.
C’est parfois la personnalité du conjoint qui est en cause, non sa nationalité
On attend des femmes étrangères qu’elles fassent un effort d’intégration par l’apprentissage de la langue maternelle de leur mari. C’est le cas de cette Danoise, sociologue, mariée depuis trente ans à un Marocain. Elle a pu maîtriser jusqu’aux subtilités de la langue dialectale qu’elle parle couramment. «L’apprentissage de la langue aide à comprendre l’autre, mais il n’est pas synonyme d’absorption, d’envahissement par la famille. Avec mes beaux-parents, j’ai toujours eu des rapports amicaux et ils ne m’ont jamais prise de haut ou méprisée comme une étrangère. Je parle leur langue, mais je parle aussi la mienne avec mon mari et mes enfants. Je n’ai jamais essayé de partager ma vie de couple avec eux, ou de les importuner chez eux à des heures indues, ou avant d’avertir au préalable. La réciproque est vraie. Le mérite revient aussi, je dois le reconnaître, à mon mari, qui m’a toujours voué du respect. J’ai peut-être eu la chance de tomber sur des gens bien éduqués».
Nicole, elle, est française. Elle aussi a vécu avec son mari marocain pendant plus de trente ans, au Maroc. Elle n’a pas appris un traître mot d’arabe, et sa belle-mère ne parle pas un mot de français. Mépris de l’autre ou difficulté d’apprentissage ? En tout cas, le courant entre les deux femmes n’est jamais passé. «Si elle n’a pas appris notre langue, c’est qu’elle est hautaine et n’a que du mépris pour nous», accuse Fatima, sa belle-mère. Quand on demande à Nicole pourquoi elle n’a pas fait l’effort d’apprendre la langue du pays où elle vit depuis trente ans, elle nous répond que ce n’est pas de sa faute. «A quoi bon l’apprendre quand tout le monde autour de moi parle français ?». «Hautaine», «inculte», «aucun tact», «méprisante» : la famille n’a pas de mots assez durs pour qualifier le comportement de la belle-fille, restée pour eux une étrangère. Nicole n’a jamais su conquérir le cœur de sa belle famille. «Pas uniquement à cause de la langue, cette femme n’est pas sociable. Je parle avec elle français, mais pour ne rien échanger d’instructif. Son niveau intellectuel est très bas, et je n’ai jamais eu d’atomes crochus avec elle», commente son beau frère. Ses relations avec son mari sont au plus bas et le couple est en instance de divorce. «Ce n’est pas à cause de la famille qu’on veut se séparer, cette issue je la sentais venir il y a longtemps. Cette femme n’aime pas les gens et n’est heureuse qu’enfermée chez-elle. Elle n’a jamais cherché de travail pour s’ouvrir à la société où elle vit», reconnaît le mari.
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Le mariage mixte répond aux mêmes critères que tous les autres mariages. C’est la rencontre entre deux clans, et chaque clan essaie de s’imposer à l’autre. Donc le succès ou l’échec d’un mariage ne dépendent pas de la nationalité du conjoint, qui n’est finalement qu’une appartenance administrative, mais du niveau culturel du couple et de sa capacité à échapper aux influences claniques. Au Maroc, ce sont les classes moyennes qui réussissent le mieux la vie de couple et les mariages mixtes, parce que ce sont elles qui ont su faire fi des pressions familiales, mieux que les classes économiquement pauvres ou économiquement très riches. Mohamed Chekroun n Professeur de sociologie à la Faculté des lettres de Rabat, auteur d’une étude sur le sujet(*). |
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– Demande de mariage adressée au juge du tribunal familial (tribunal de la ville où l’acte de mariage sera établi) ; |