Société
Mariage des mineures : 82% des 45 786 demandes formulées ont été autorisées entre 2007-2018
Les juges recourent souvent aux dispositions de l’article 20 du Code de la famille. L’exception a tendance à devenir la règle. Les féministes demandent l’abrogation de cet article.
Entre 2009 et 2018, ce sont 319 177 demandes de mariages des mineures qui ont été accordées. Ces statistiques du ministère de la justice sont alarmantes et attestent de la persistance des mariages à la Fatiha au Maroc. Ce phénomène social est en effet non négligeable puisqu’il représente 13% des unions en milieu rural contre 6,56% en milieu urbain. Et dans certaines régions, ce type de mariage représente un taux très important, parfois égal à celui du mariage authentifié. C’est le cas de la région de Draa-Tafilalet.
Ce constat a donc poussé l’association Droits et Justice à se pencher sur cette problématique. L’association a en effet lancé une étude en avril 2019 et en a livré les résultats en début de semaine à la veille de la Journée mondiale de la femme.
Cette enquête a été menée auprès de 627 femmes dont 408 vivant dans les villes et 207 dans le milieu rural. Les femmes sondées sont celles qui ont été mariées alors qu’elles étaient encore mineures. Leur âge va de 14 ans, âge minimal, en milieu rural dans la région de Draa- Tafilalet, à 46 ans, âge maximal, en milieu rural dans la région de Casablanca-Settat. La moyenne d’âge des femmes sondées est de 30,78 ans au niveau urbain, 29,22 ans au niveau rural et enfin 30 ans au niveau national.
Par ailleurs, l’échantillon a aussi concerné 12 hommes mariés mineurs. L’enquête a procédé à une analyse au regard d’une causalité pluridimensionnelle associant la vulnérabilité, la pauvreté, la non-scolarisation et la pression sociale. Sans toutefois occulter les dispositions législatives autorisant le mariage des mineures. Cette analyse vise une meilleure connaissance du profil des mineures mariées et de leur environnement afin d’avancer des suggestions susceptibles de mettre fin au mariage des mineurs.
Selon l’article 19 du code de la famille, «la majorité matrimoniale s’acquiert, pour le garçon et la fille, à dix-huit ans grégoriens révolus». Il est à souligner que cet article a permis d’uniformiser l’âge de la majorité car pendant des années, faut-il le rappeler, les capacités, civile, pénale et matrimoniale, étaient atteintes à des âges différents : 21 ans pour la majorité civile, 16 ans pour la majorité pénale et à 18 ans pour les hommes et 15 ans pour les femmes en ce qui concerne la majorité matrimoniale. Ainsi, l’aptitude au mariage s’acquiert à 18 ans révolus. Cependant, la Moudouwana, dans son article 20, autorise la famille à demander une dispense d’âge à quinze ans révolus. Donc le juge accorde son autorisation en précisant toutefois les motifs et l’intérêt motivant l’union. Et c’est, selon l’association Droits et Justice, cette dérogation apportée par l’article 20 du Code de la famille qui fait l’objet d’une large utilisation par les tribunaux. Ainsi, selon le ministère de la justice, sur la période 2007-2018, sur 45 786 demandes de mariage concernant des filles mineures 81,73% ont été autorisées. Ce qui indique que les dérogations ont tendance à devenir la règle.
27 127 filles âgées de 17 ans se sont mariées entre 2007-2018
Quel est le profil des mineures mariées ? Quel est leur niveau de scolarité et où vivent-elles ?
Globalement, les résultats de l’enquête de l’association Droits et Justice, la région de Casablanca-Settat est la plus touchée par le mariage des mineures. Soit un taux de 19,86% des mariages.
On retiendra également que le nombre de demandes pour ce type de mariage s’est élevé, en 2018, à 32 104 dont 31 106 concernant des mineures non scolarisées. Ce qui représente un pourcentage de 96,89% des filles mineures concernées. Par ailleurs, le taux des mineures scolarisées mariées en 2018 est seulement de 3,11%. Dans certaines régions comme Casablanca-Settat et Rabat-Salé-Kénitra ou encore Fès-Meknès, la moitiè des femmes sondées sont analphabètes.
Sur la période de 2007-2018, l’âge des mineures qui se sont mariées est de 14 ans pour 359 filles, de 15 ans pour 2 773 filles et de 16 ans pour 11 143 d’entre elles. Enfin, c’est dans la tranche des 17 ans que le nombre de mariages est plus important. Elles ont été 27 127 à se marier entre 2007-2018. Soit 65,52% des mineurs mariées durant cette période. Par ailleurs, il est indiqué que 1,50% des époux sont âgés de plus de 40 ans. Ce qui représente plus de 430 mariages par an.
Selon l’enquête, le mariage coutumier avec la Fatiha représente 10,79% des mariages. Avec une forte concentration dans les régions de Draa-Tafilalet et Béni Mellal-Khénifra. Elle révèle aussi que la prééminence de l’autorité masculine dans la structure familiale favorise les mariages coutumiers. L’enquête laisse apparaître qu’en milieu rural, la structure familiale reste traditionnelle et l’autorité est exercée par les hommes, notamment les pères et les frères. Dans les villes, il est noté que même après le recasement, l’esprit et le mode d’organisation rural persistent dans les bidonvilles. Toutefois, il a été constaté, en milieu rural, l’existence de quelques mariages par «contrats» entre des pères et des maris résidant à l’étranger. Dans ces cas, le mariage est promis contre d’importantes sommes d’argent. L’enquête révèle que dans 40% des cas, il existe des relations entre l’épouse mineure et le marié. Celui-ci est très souvent le cousin, le voisin ou encore une connaissance du père ou du tuteur de la mariée. Il apparaît donc que la pression de la famille est importante dans ces mariages. On constate également que le mariage consanguin est important. Il représente 18% des mariages contractés durant la période de l’enquête. En zone rurale, le taux de mariage consanguin est de 20,41% et de 13,51% dans les villes.
Très souvent motivés par des facteurs économiques et sociaux comme la pauvreté et les habitudes sociales, le mariage précoce a des conséquences préjudiciables sur les femmes et les enfants. Notamment des problèmes de santé liés aux grossesses précoces, la violence et l’abus sexuel, la non-scolarisation des mineures et l’absence d’état civil pour les enfants nés de ces unions non authentifiées. Pour remédier à ce phénomène, les associations féministes et de défense des droits de l’Homme recommandent la suppression pure et simple de la dérogation permise par le code de la famille. Elles demandent une révision du texte du code pour le mettre en phase avec les nouvelles lois, notamment celle contre les violences faites aux femmes. Elles estiment aussi que la dérogation pourrait être provisoirement maintenue en l’entourant de garde-fous, notamment la fixation d’un âge plancher, ajouter une condition d’âge de l’époux ou encore autoriser l’appel aux décisions du juge.