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Société

Manuels scolaires : une réforme qui en appelle d’autres…

Selon le ministère de l’éducation, les manuels seront prochainement purgés de leurs contenus discriminatoires et sexistes. Militants et chercheurs appellent à l’adoption de contenus porteurs de valeurs de tolérance et d’ouverture d’esprit.

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Manuels scolaires

L’annonce est officielle et émane de Rachid Belmokhtar, ministre en charge de l’éducation nationale. Pas moins de 390 manuels scolaires de toutes les matières, dont les mathématiques, vont être purgés de leur contenu discriminatoire. Ces discriminations, sexistes dans la majorité des cas, concernent également les personnes handicapées ou encore les habitants issus des campagnes. Une décision qui découle, selon les propos du ministre, «de la mise en œuvre de la Constitution votée en 2011 et les valeurs défendues par l’Islam marocain».

Même si les détails de cette réforme ne sont pas encore connus, les sorties de M. Belmokhtar sur cette question apportent quelques éclaircissements. Le ministre a évoqué par exemple, lors d’un entretien avec l’agence espagnole EFE, le 19 avril dernier, le cas classique ayant trait à la discrimination du genre : des images montrant une fille dans la cuisine aidant sa mère à effectuer des tâches ménagères alors que le garçon est assis à côté de son père en train de regarder la télévision. Ou encore la différence d’accoutrement chez les deux sexes dans bon nombre d’illustrations que l’on retrouve dans les manuels scolaires : des robes traditionnelles pour les filles et des habits plus modernes pour les garçons.

«Sans l’adhésion du corps des enseignants, toute réforme sera vaine»

La purge des manuels scolaires de leur contenu inégalitaire est une revendication du mouvement féministe, et ce, depuis longtemps. «La décision du ministère est importante parce que c’est le début de la prise de conscience de nos politiques du danger que représente la diffusion des images qui promeuvent l’inégalité», lance d’emblée Saïda Bajjou, féministe et activiste associative. Toutefois, pour cette ancienne militante d’Insaf et de la Fondation Ytto, supprimer une ou deux images est insuffisant pour permettre un véritable changement de mentalités. «Ce qu’il faut, c’est une réforme globale de tous les aspects machistes que l’on retrouve dans les manuels scolaires, pas juste une réforme de façade. De plus, il faut renforcer la formation des enseignants et des enseignantes à la promotion de l’égalité et de la citoyenneté. Sans l’adhésion du corps des enseignants, toute réforme sera vaine», conclut Mme Bajjou. Pour exemple, dans les écoles publiques, la mixité, quoique généralisée en principe, n’est pas toujours appliquée. «Lors de mes inspections, je remarque que la mixité n’est pas toujours respectée dans les classes avec des rangées pour filles et des rangées pour garçons. L’instituteur estime que c’est normal que cela soit le cas alors que la mixité, la vraie, doit être respectée d’abord sur les bancs des classes», explique Meriem El Hadraoui, inspectrice à Casablanca et membre de l’association Nagham.

Tout le monde s’accorde sur l’importance de la révision des manuels scolaires et de la suppression de tout contenu discriminatoire, sexiste, inégalitaire. Mais plusieurs intervenants pensent qu’il faut faire plus. C’est le cas de Rachida Roky, enseignante à la Faculté des sciences et présidente du Réseau de lecture au Maroc: «Il faut que le manuel scolaire incite directement à la lecture en proposant des textes plaisants aux enfants et que la lecture soit le départ de l’apprentissage. Qu’on parte de la lecture pour apprendre les langues, l’histoire, les sciences…». Et d’ajouter : «Les manuels scolaires doivent également inciter aux valeurs. Si on est pour l’égalité, il faut y aller franchement, changer les photos sexistes, donner plus de visibilité aux filles, éliminer les stéréotypes. En somme, il faut promouvoir, à travers les manuels scolaires, les valeurs d’ouverture d’esprit, de tolérance…».

Les études effectuées sur les manuels scolaires ayant trait aux sciences montre également les limites de l’enseignement public, que ce soit dans le primaire ou dans le secondaire. L’étude «Les valeurs transmises par les manuels scolaires marocains et par les enseignants à travers l’éducation à la santé et à la sexualité», réalisée en 2012 par des chercheurs marocains, pointe du doigt des insuffisances notoires sur ce registre. Les résultats de l’étude montrent que «la santé est présentée avec une vision exclusivement biomédicale, très curative, où le médicament est la solution à tous les maux, le microbe, le seul agent infectieux», et conclut ainsi à une «prédominance dans les manuels analysés du style informatif et injonctif où les phrases apportent uniquement des informations, des données et des faits en l’absence de toute problématisation, de demande de réflexion ou de proposition d’action. Ceci traduit une très faible incitation des élèves à l’autonomie et à la réflexion». Plus encore, dans ces manuels, «des valeurs traditionnelles sont présentes au milieu des contenus de prévention sous forme de contenu moral injonctif et de messages hygiénistes». Quant à la thématique de la sexualité, elle est soumise à des impératifs d’ordre moral. Les chercheurs ont remarqué par exemple que «la principale raison pour laquelle les enseignants refusent d’aborder la sexualité sous ses aspects intimes et psychologiques avec leurs élèves est leur éducation culturelle et non leur formation religieuse. Le problème semble être le fait qu’il y a des enseignants qui ont une conception erronée de la notion de l’éducation à la sexualité. Pour eux, l’éducation à la sexualité est la voie vers la déviance et les relations sexuelles illégitimes». Rachida Roky, elle, trouve que le problème réside également dans le fait que les manuels scolaires des quatre premières années de l’enseignement ne contiennent aucune référence à la science. «Il n’y a pas de sensibilisation précoce à la science et à la culture scientifique. De plus, les sciences sont ensuite enseignées de façon technique et superficielle et non pas comme une culture et un état d’esprit avec des références comme le questionnement, le doute, l’hypothèse. Alors que les valeurs sont intimement liées aux sciences».

Faut-il rappeler que des théories fondamentales comme le big-bang ou encore la théorie d’évolution et d’évolutionnisme appliquée aux êtres humains ne sont pas du tout abordées dans les manuels scolaires au Maroc. «Les jeunes au collège sont très curieux, posent des questions, parfois existentielles. Il faut être ouvert à ces questionnements», conclut Mme Roky.

La société civile à la rescousse

Les associations tentent également de mettre leur expertise au service de l’école publique. Il ne s’agit pas de revoir les manuels scolaires, qui est la mission du ministère de tutelle, mais d’expérimenter des procédés pédagogiques, tout aussi importants pour les apprenants. L’objectif étant de permettre aux écoliers de l’enseignement public un plus grand éveil, une plus grande émancipation et de meilleures performances. Nous sommes dans le quartier de Ben M’sik, Hay Ifriqia à Casablanca. L’école primaire Lalla Aïcha fait partie des 20 écoles de Casablanca à appliquer des techniques de détour afin de rendre les élèves plus studieux et fiers d’appartenir à cette école. L’établissement dispense depuis 2011 des cours de chant et possède sa propre chorale.

«Ce sont des activités qui ont un impact monumental sur les élèves. Nous avons remarqué que ces cours donnent plus de confiance aux apprenants, les rend plus confiants en eux-mêmes. Mieux encore, ils ont de meilleures notes», s’enthousiasme le directeur de l’école, Abdelaziz Saïssi Hassani. Le programme annuel de la chorale est mis en place par l’association Nagham. On retrouve dans ce registre les classiques de la chanson arabe et marocaine et des textes signés Ahmed Chaouki, Saïd Darwich ou encore Taïeb Laâlej. «Nos élèves deviennent de plus en plus sensibles à l’esthétique de la langue, à la poésie et à la musique de qualité. Ce qui a une incidence sur leur épanouissement et sur leur performance à l’école», ajoute M. Hassani. Mohamed Aït Ouhmane, père d’une fille de 8 ans, témoigne : «Ma fille était timide à la maison comme en classe. Depuis qu’elle fait partie de la chorale, elle n’est plus aussi réservée et ses résultats en classe sont encore meilleurs». L’école Lalla Aïcha développe d’autres activités au profit des élèves : des clubs de l’environnement, utilisation des médias dans l’enseignement, des biblio classes, des coins de lecture ainsi que des ateliers de théâtre. Les initiateurs du programme de la chorale ne comptent pas s’arrêter en si bon chemin et rêvent de généraliser cette initiative à d’autres villes.

«C’est grâce à l’implication d’entreprises privées que l’on a pu développer ce programme à Casablanca puisqu’il faut payer les professeurs de musique. On peut faire plus, diversifier les techniques de détour, participer à l’émancipation des apprenants et rendre l’école publique plus attractive. C’est juste une question de moyens», conclut Meriem Hadraoui…