Société
Manuels scolaires : 6 ans de réforme, mais encore des imperfections
De 2002 à 2007, il y a eu une refonte de tous les manuels scolaires, dans toutes les disciplines, du primaire au baccalauréat.
375 manuels scolaires et 196 guides d’enseignants sont produits, 36 éditeurs et 1994 auteurs y ont participé.
La qualité du contenu est mitigée, certains ouvrages n’ont pas respecté le cahier des charges.
Entamée à la rentrée 2002-03 et achevée en 2007-2008, la réforme du manuel scolaire aura été longue, six années, et riche en production. Du moins sur le plan quantitatif. Toutes disciplines et langues confondues (y compris la langue amazighe), le ministère de l’éducation nationale (MEN) aura produit 375 manuels et 196 guides d’enseignants. Les maillons de la chaîne de la production du livre se sont multipliés et diversifiés : de 7 éditeurs en 2002, on est passé à 36 en 2007. Et de 150 auteurs ayant participé à la confection des livres en 2002, on est passé en 2007 à 1994. Cela dit, au-delà des chiffres et en dépit des imperfections du contenu de certains ouvrages, la réforme du manuel scolaire reste un des domaines où la charte d’éducation et de formation a accompli le plus de progrès. Et pour cause. Il y a eu d’abord une refonte importante au niveau de la procédure de la production du manuel. Fini la mainmise de l’Etat sur toute l’opération, et le livre unique n’a plus sa place. L’époque où l’Etat avait ses propres auteurs à qui il laissait le soin de confectionner le livre, sans aucun contrôle a priori, est révolue. Désormais, le MEN a libéralisé la production du livre en confiant l’opération aux éditeurs qui choisissent eux-mêmes les auteurs, et qui produisent le support selon un cahier des charges bien précis (voir encadré).
20 ouvrages sur 64 programmés par le MEN sont passés au peigne fin par l’OMDH
Le livre n’est accepté qu’après avoir reçu l’aval de la commission d’évaluation et de validation, présidée actuellement par Abderrahmane Rami, ex-directeur du curricula au MEN.
Le travail de cette commission consiste à trier les meilleurs livres, ceux qui respectent les trois critères fixés par le cahier des charges : linguistique, esthétique et le respect des valeurs fondamentales des droits humains et de citoyenneté basées sur la tolérance, l’égalité et le respect de la dignité de l’individu. Cette commission a-t-elle réussi son examen de contrôle ? Force est de constater qu’en terme de contenu, beaucoup de chemin a été parcouru dans cette première génération de la réforme du livre, mais des imperfections demeurent : certaines convictions et valeurs , d’anciens réflexes continuent encore à être véhiculés par certaines franges du corps enseignant. Deux rapports ont été produits sur la refonte de la première phase qui a concerné surtout les manuels du primaire et des deux premières années du collège. Le premier, publié en décembre 2004, est l’œuvre de l’Organisation marocaine des droits de l’homme (OMDH). C’est Khadija Merouazi, universitaire et militante des droits de l’homme, qui l’a réalisé. Vingt ouvrages de l’enseignement primaire sur les 64 programmés par le MEN, entre 2003 et juillet 2004, ont été passés au peigne fin. Dans son travail d’investigation, l’enquête a mis l’accent sur le degré de respectabilité dans ces manuels des trois valeurs des droits humains : la tolérance, l’égalité et la dignité de l’individu, et le résultat était plutôt décevant. Ces manuels en ont été peu respectueux, selon l’auteur de l’étude. Quelques exemples pour l’illustrer : pour l’égalité des sexes, dans un manuel d’éducation islamique (2e année primaire), l’image de l’homme est prédominante (93%) par rapport à celle de la femme (7%) et machiste (c’est l’homme qui fait la prière, qui va au travail quand Meriem et Hajar aident leur mère dans la cuisine). Toutes les filles y sont voilées dans cet autre manuel d’éducation islamique (Fi rihab Attarbia al Islamiya, CE2), ce qui ne correspond pas à la réalité sociale. Dans cet autre manuel de français (Pour communiquer en français, CE4), 93% des hommes font du sport contre 7% des femmes.
L’autre rapport sur les manuels scolaires date, lui, de janvier 2006. C’est le résultat d’une enquête menée conjointement par la Commission centrale des droits humains et de citoyenneté (créée par le MEN juste après le rapport de l’OMDH) et la Ligue de l’éducation aux droits humains (Human Rights Education Associates). Là aussi, l’enquête a mis le doigt sur plusieurs entorses au cahier des charges, passées sous le nez de la commission d’évaluation et de validation. Le rapport émet d’abord cette remarque édifiante : une discrimination est commise en amont dans la confection du manuel. Les auteurs qui ont participé à cette confection sont majoritairement des hommes (86,5%). «Cette inégalité, rapporte l’étude, est criante. La confection de plusieurs livres n’est nullement basée sur la compétence et l’expérience, et les femmes ont été abusivement écartées de l’élaboration de plusieurs matières ». C’est le cas de l’éducation islamique, confiée exclusivement à des hommes. Pour le cas des manuels de langue arabe, les femmes sont aussi lésées (4% des livres du primaire et 2,5% de ceux du collège.) La seule matière où la participation de la femme a été forte, note le rapport, est celle de «l’éducation familiale». Au niveau des illustrations, ce rapport n’a pas été non plus tendre : quelques livres sont truffés de préjugés à l’égard de la femme. Elle incarne l’être sensible et fin, et n’est utile que pour le foyer et l’éducation des enfants. «Il y a ce paradoxe qui traverse ces mouvements de réforme des manuels scolaires en terme de contenu, il y a une volonté d’ouverture et de modernisation, mais le contenu reste dépendant d’un certain fondamentalisme culturel et religieux», commente le sociologue Abdellatif Felk.
L’esprit commercial l’emporte sur la qualité pédagogique
A la suite du rapport de l’OMDH, le MEN décide alors de créer une sous-commission des valeurs et de citoyenneté, composée d’experts en la matière. Il a procédé aussi à la création, en mai 2005, d’un Observatoire des valeurs, avec comme objectif de «consolider la diversité des valeurs dans les programmes et les manuels». Le ministère, fait remarquer Boubeker Largou, secrétaire général de l’OMDH, a plus ou moins respecté les recommandations de l’OMDH. Mais tout n’est pas parfait. Les manuels incriminés ont-ils été retirés du marché, ou révisés ? Non. Ceux qui sont sortis avant cette date continuent de circuler avec leurs défauts. Et M. Largou de citer dans ce cadre le cas de Fadae al ijtimaîates (2e année du collège) qui ne comporte aucune image de femme. L’irréparable, enchaîne-t-il, allait être commis en 2006, n’eût été l’œil vigilant de la commission de validation. Il s’agit d’un livre sur l’éducation islamique «qui comporte 23 renvois à des adresses électroniques. Quand j’ai consulté ces sites, j’ai remarqué que tous, à l’exception d’un seul, ont des interprétations wahhabites quand il est question de la femme et du crédit bancaire par exemple». Le livre n’est finalement pas passé. Brahim Kazouzi, professeur à l’Ecole normale supérieure de l’enseignement technique à Mohammédia, a décelé dans son étude sur les manuels scolaires un autre défaut : une idéalisation des musulmans et des Arabes. Exemple, dans un manuel d’histoire enseigné au collège, on présente l’organigramme de l’Etat idrisside de cette manière : il y a le khalife, la Cour (des Arabes), et l’armée composée de cavaliers (des Arabes) et de «mouchats» (fantassins, des Berbères). Pour ce chercheur, il y a un autre défaut : «Le volet mercantile l’emporte sur le volet pédagogique. Dans tous ces livres, les applications (les exercices) sont réalisées sur le support même, alors qu’elles devraient l’être sur un cahier. De cette manière, le livre ne peut être légué l’année d’après à un autre, et, quand on sait les moyens très modestes des familles, cela est choquant».
Tout n’est pas noir dans les nouveaux manuels, tempère Abdellatif Moustaghfir, inspecteur de l’enseignement. Dans ces manuels, on ne parle plus de «l’éducation civique», mais d’«éducation à la citoyenneté». A la 3e année du collège, «on ne parle plus que des réalisations de Hassan II, mais de celles d’autres Marocains aussi», ajoute-t-il. Et quelques auteurs de ces manuels (dans «Aljadid fi al ijtimaîyates» de la 6e année primaire par exemple) ont été encore plus loin : la partie éducation à la citoyenneté dans ce livre est entièrement consacrée à la Convention internationale des droits de l’enfant votée par les Nations Unies en 1989 (ratifiée par le Maroc en 1993). «Et c’est une démarche louable que d’inculquer aux enfants marocains leurs droits tels qu’ils sont reconnus au plan international», remarque M. Moustaghfir. Le droit à la santé, à l’éducation, au loisir, à la protection contre les mauvais traitements et la discrimination, ainsi que le droit à la participation dans la prise des décisions qui concernent les enfants. Cette démarche n’est pas le fruit du hasard : dans l’équipe des auteurs qui ont participé à l’élaboration de ce manuel, on trouve Khadija Merouazi et Amina Lemrini, toutes deux militantes invétérées des droits de l’homme, en sus de leur casquette de pédagogue.
S’il y a eu un grand effort dans l’élaboration des nouveaux manuels scolaires, il n’en reste pas moins qu’il y a encore du chemin à faire et plus particulièrement en ce qui concerne la formation et le niveau des enseignants.