Société
Lutte contre la radicalisation des jeunes : un programme attendu en mars prochain
Les premières conclusions de l’étude des facteurs de radicalisation ont été révélées en début de semaine. Lancée par Bayti, l’enquête a été menée auprès de 200 jeunes résidant en institution ou encadrés par l’association. Dans leurs réponses, ils pointent du doigt la violence dans la famille, la pauvreté et l’absence d’alternatives sociales. Parmi ces jeunes, il existe une population qui est potentiellement récupérable.
Remonter le parcours qui mène les jeunes à la radicalisation. C’est l’objectif de l’étude, récemment lancée par l’association Bayti pour les enfants en situation difficile, et dont les conclusions préliminaires ont été présentées et discutées mercredi 29 janvier dans le cadre d’un atelier organisé à Rabat.
L’étude, réalisée dans les villes de Casablanca et Tanger, met l’accent sur les divers facteurs de vulnérabilité des jeunes. Vulnérabilité qui les pousse à la radicalisation et il faut entendre tous les types de radicalisation, à savoir sociale, culturelle et religieuse. L’échantillon de cette enquête compte 200 jeunes, 50% de garçons et 50% de filles, âgés de 15 à 22 ans, encadrés par l’association Bayti ou encore résidant dans des institutions de protection de l’enfance. «Les questionnaires ont été distribués aussi bien aux enfants vivant dans les foyers de Bayti qu’à ceux qui sont encadrés par l’association mais qui vivent parmi leurs familles», explique Hakima Laâla, sociologue et professeur à l’Université MohammedVI de Mohammédia. Donc, on retiendra que sont ciblés tous les jeunes qui se trouvent dans une situation de mal-être et qui sont potentiellement prédisposés à exprimer leur haine envers l’autre parce qu’il est différent et parce qu’il ne partage pas les mêmes idées. Des différences qui les poussent à exprimer leur haine par des comportements violents et extrémistes. Mais comment en sont-ils arrivés là ?
Avant d’apporter des éléments de réponse à cette interrogation, il importe de souligner que le choix des deux villes de Tanger et Casablanca pour réaliser cette étude n’est pas dû au hasard. Car il s’agit de deux grandes villes, explique Mme Laâla, qui enregistrent un grand nombre d’enfants en situation de rue. Casablanca concentre les jeunes venus de toutes les régions du pays pour «trouver du travail et s’en sortir», fuyant la misère ou encore des problèmes familiaux. Tanger, quant à elle, compte un grand nombre de jeunes en situation de précarité et de candidats à l’émigration clandestine censée les mener vers un monde meilleur. Donc parmi ces jeunes, des mineurs et des migrants, vivant dans la précarité, dans l’exclusion sociale et souffrant de la défaillance de tout accompagnement et prise en charge, il y a, selon l’association Bayti, une population qui est potentiellement récupérable.
Les résultats préliminaires de cette étude laissent apparaître plusieurs facteurs entraînant les jeunes sur un parcours de radicalisation. Celle-ci se traduit soit par un extrémisme religieux, soit par la délinquance et la violence.
Ainsi, les premières conclusions soulignent que ces jeunes ont vécu ou vivent toujours dans un environnement familial, social ou scolaire même, qui a favorisé un dérapage de comportement, aboutissant soit à une fugue ou bien alors à l’abandon scolaire et donc la compromission de leur avenir. Et c’est la cellule familiale qui est pointée du doigt en premier lieu. Souvent la famille est dirigée par la mère, le père étant absent, malade, décédé, divorcé ou simplement sans travail. La famille, fragilisée par les difficultés économiques, l’absence d’affection, d’écoute et de communication, devient, souvent et dans beaucoup de cas, une structure où il est, selon les jeunes, «difficile de vivre normalement». Et donc ils vont chercher ailleurs, notamment à l’extérieur, dans la rue, pour nouer des liens.
L’absence d’alternatives sociales et culturelles est une source de radicalisation
Cependant, pour ne pas stigmatiser la famille, il y a d’autres facteurs explicatifs de la radicalisation chez les jeunes. Il s’agit d’une absence d’offre alternative, culturelle et sportive, permettant aux jeunes de s’occuper et d’avoir d’autres centres d’intérêt. Lorsqu’ils sont désœuvrés et manquent d’encadrement, ils sont récupérés et vont vers la délinquance et l’extrémisme religieux souvent violent. Sur le terrain, l’on constate que la société civile est très active et s’implique pour offrir des solutions alternatives alors que c’est plutôt du ressort de l’Etat. Les centres de jeunes, maisons des jeunes (Dar Chabab), les bibliothèques, etc., sont des structures à rétablir afin de valoriser le jeune, livré à lui-même et laissé-pour-compte, en tant qu’être humain à part entière. Pour cela, il faut lui donner les moyens de voir le monde, de mener son projet de vie, au lieu de le condamner à l’exclusion sociale.
Enfin, selon des intervenants à l’atelier organisé en début de semaine par Bayti, on peut également retenir des causes religieuses pour justifier le radicalisme et la délinquance des jeunes. Economiquement démunis, souffrant d’un déficit affectif et souhaitant échapper à une désolation de son quotidien, le jeune se rabat sur la religion. Un repli plutôt notoire chez les jeunes qui refusent la modernité inspirée du monde occidental en raison de plusieurs frustrations cumulées. Cette «évasion» vers la religion peut prendre, poursuivent ces intervenants, des formes diverses, allant du repli sur soi jusqu’à la radicalisation religieuse. Et le jeune va chercher et essayer de trouver un système de valeurs en dehors de la famille. Et donc une nouvelle identité.
Et c’est pour aider ces jeunes à se retrouver et à se réinsérer socialement et professionnellement que Bayti lancera, au cours de cette année, un programme s’articulant autour de deux axes : la sensibilisation des jeunes et de leurs familles et l’insertion socio-économique des populations cibles. Ce plan d’action sera déployé dans les villes de Casablanca et Tanger. «Les conclusions de notre étude, une fois finalisées, serviront de base à la stratégie de plaidoyer en faveur de politiques dans le cadre du projet. Et nous estimons que les institutions éducatives ont un rôle important à jouer pour la transmission des valeurs et l’insertion professionnelle», souligne Yamna Talit, membre de Bayti et responsable de ce programme. Et c’est dans ce programme, faut-il le rappeler, que s’insèrent les ateliers de réflexion, dont le premier est celui du 29 janvier, sur la prévention de la radicalisation et de la violence sexiste où seront abordées et analysées les faiblesses et les forces des communautés d’origine des enfants et des jeunes ainsi que leurs besoins en vue d’une intégration sociale. Seront également analysés les besoins des éducateurs en vue d’une amélioration de la prise en charge des mineurs et des jeunes en situation difficile.
Les ateliers concerneront également l’analyse de la législation marocaine relative à la protection des mineurs et des jeunes en situation d’exclusion. Cette analyse permettra de mettre le doigt sur les dispositions qui ne favorisent pas l’intégration des jeunes.
Ces études aboutiront à la formulation des recommandations pour une intégration efficace de la population jeune la plus marginalisée en proposant des alternatives et en créant un débat politique au sein de la Commission législation, justice et droits de l’homme qui devront se prononcer sur ces propositions.