Société
Les orphelines de Aïcha Ech Chenna…
Depuis 2003, ce sont 20 000 mères célibataires et 769 enfants qui ont été pris en charge. Des personnes aujourd’hui en deuil mais rassurées. La continuité est garantie et le modèle économique de l’association est bien structuré. Solidarité Féminine tourne avec un budget annuel de 5 millions de dirhams.

Dix jours après le décès de Aïcha Ech Chenna, la vie a repris à l’Association Solidarité Féminine sous le regard bienveillant qui émane des photos de sa fondatrice trônant dans le patio. «C’est une période difficile pour nous. Nous nous inscrivons dans la continuité de l’action de feue Aïcha Ech Chenna», dit Hafida El Baz, membre du conseil d’administration de l’association et ex-chargée de mission auprès de Mme Ech Chenna. Et la continuité n’est rien d’autre que le combat pour la cause des femmes, et des mères célibataires en particulier, qui sera toujours portée à bout de bras. Preuve en est le maintien de l’activité du Centre d’écoute et de l’accueil des femmes après le décès de la présidente alors que les deux restaurants, Palmier et Ain Sebâa, ainsi que le centre de remise en forme, ont fermé durant les trois jours de deuil.
Un deuil qui sera difficile à faire, selon les femmes, équipe dirigeante et bénéficiaires de l’ASF, «parce qu’une personne comme Aïcha Ech Chenna ne peut être remplacée et sa présence est ressentie partout dans les coins et les recoins de l’association», ajoute Henya Bounouara, assistante sociale et responsable du Pôle social de l’association de Solidarité Féminine.
Les dirigeantes de l’ASF estiment avoir un héritage moral. Celui de poursuivre le combat de longue haleine que la défunte a mené, depuis 1985, pour aider, soutenir et protéger les mères célibataires. «Nous continuons ce travail dans l’esprit de Aïcha Ech Chenna, soit l’intégrité, l’humilité et l’engagement pour la dignité de ces femmes», précise Hafida El Baz pour qui la relève est assurée, puisque techniquement les structures sont là et le devoir moral également. Un message qui a été transmis, lors d’une cérémonie organisée dans les locaux de Solidarité Féminine conformément au souhait de sa défunte présidente, aux bénéficiaires de l’association pour apaiser leurs inquiétudes.
En effet, les bénéficiaires ont, à l’annonce de sa mort, eu peur et se sont posé beaucoup de questions. «Oui, nous avons eu peur, nous nous sommes posé des questions sur ce que nous allions devenir», indique Meryem, 27 ans, mère d’un enfant d’un an. Même sentiment de désarroi chez Bahija, 20 ans, maman de Ali : «J’avais peur que l’association ne ferme et que nous nous retrouvions encore une fois dehors et que nous devions recommencer à zéro». Ces deux jeunes femmes, comme leurs autres acolytes actuellement en formation à l’association, n’ont pas connu et n’ont pas vu sa fondatrice qui était alitée depuis avril dernier. Pourtant, elles en parlent comme si elles l’avaient côtoyée «c’est Raîida et elle fait beaucoup de choses pour aider les femmes et les protéger. Sa disparition est une perte et on ne l’oubliera jamais».
«Nous avons fait la promesse d’œuvrer pour la continuité»
Difficile donc, encore une fois, pour ces femmes, responsables et bénéficiaires de Solidarité Féminine de faire leur deuil. «Il nous faudra du temps et actuellement nous sommes sur terrain comme toujours et nous porterons le flambeau et la cause des femmes comme nous en avons fait la promesse à Aïcha», promet Mme El Baz. Le sentiment de la présence de feue Ech Chenna est là et toute chose est faite comme elle aurait agi elle-même.
La vie continue donc dans ce havre d’assurance et de protection qu’est Solidarité Féminine. «La continuité est garantie et la stratégie est claire et le modèle économique de l’association est bien structuré», précise Loubna Chichaoui, responsable du Pôle administratif et des activités génératrices de revenus.
Solidarité Féminine est une entreprise sociale et le modèle économique actuel est développé à partir de l’idée fondatrice. L’association était organisée comme une coopérative où les femmes préparaient et vendaient des repas dont les revenus étaient redistribués à ces mêmes femmes après en avoir déduit les charges. Depuis 1985, la coopérative a été structurée et dispose aujourd’hui d’un conseil d’administration, d’organes de contrôle et de gestion pour organiser ces activités génératrices de revenus, notamment dans les deux restaurants et le centre de remise en forme. Ces activités génèrent certes des ressources mais elles permettent beaucoup plus «une intégration sociale progressive de ces femmes qui reprennent contact avec les gens dans les restaurants ou dans le hammam. Cela permet également aux clients de changer de regard et d’attitude vis-à-vis de ces mères célibataires qui souffrent de stigmatisation», explique Henya Bounouara.
L’association a aidé et pris en charge 20 000 mères célibataires et 769 enfants entre 2003 et 2021.
Les mamans ont bénéficié de cours d’alphabétisation et de formation en restauration et aux métiers de beauté. Leurs enfants sont pris en charge dans les deux crèches de Solidarité Féminine. Cet accompagnement dure trois années au terme desquelles ces mères célibataires sont, selon Mme El Baz, «en situation d’autonomie financière et cognitive leur permettant de s’intégrer socialement». Et toujours accompagnées par l’association, elles trouvent du travail et peuvent se reconstruire. Une allocation de 300 dirhams par semaine leur est accordée pour aider au paiement du loyer. Par ailleurs, elles bénéficient d’une prise en charge des dépenses de soins et de scolarisation de leurs enfants. «Nous avons créé une caisse d’assurance maladie qui rembourse les frais engagés à hauteur de 70% et tout ce qui concerne les hospitalisations et les maladies chroniques est totalement pris en charge par la caisse», explique Hafida El Baz. L’association a également aidé certaines femmes bénéficiaires pour faciliter leur adhésion au régime d’assistance médicale ( RAMED) encore freinée pour des procédures administratives notamment le refus d’octroi par les autorités d’un certificat de résidence. Les enfants sont pris en charge dans les crèches avant d’être scolarisés à l’école de Bab Rayan.
Pour financer toutes ces actions, Solidarité Féminine bénéficie d’un budget annuel de 5 millions de dirhams octroyés par les revenus de ses deux restaurants et son hammam mais en grande partie par les bailleurs de fonds, notamment associations et fondations étrangères, les donateurs nationaux particuliers et entreprises et des programmes RSE de certaines entreprises. Par ailleurs, l’association a bénéficié entre 2005 et 2012, pour certains programmes, d’apports personnels du Roi, des contributions de l’INDH et des pouvoirs publics, notamment les ministères des Habous, des Finances ou encore de la solidarité et de la famille.
12 080 femmes accompagnées en 2021
Accueillir, écouter et accompagner les mères célibataires, les femmes en situation de précarité et les sans-domicile fixe. Tel est le travail quotidien de Solidarité Féminine qui, à ses débuts, lutte contre l’abandon des enfants nés hors mariage. Une mission qui s’est rapidement élargie à la promotion des droits de ces enfants et de leurs mamans également abandonnées et rejetées par leurs familles et la société.
Pour prévenir donc l’abandon des enfants, Solidarité Féminine s’est mobilisée pour la réhabilitation socio-économique des mères.
Depuis 2003, 20 000 femmes ont bénéficié des actions de l’association. Annuellement, l’association traite 1 000 dossiers de mères célibataires qui viennent directement à Solidarité Féminine ou qui appellent au téléphone. Elles sont en majorité âgées entre 18 et 20 ans et viennent de toutes les villes du pays. Enceintes ou avec enfants, elles sont accompagnées pour une formation professionnelle ou l’alphabétisation. L’association n’assurant pas leur hébergement, elles sont dirigées vers des associations partenaires, notamment Widad à Marrakech, Oum El Banine et
El Houdne à Agadir et Tilila à Casablanca.
Leur accompagnement dure trois années avant de devenir autonomes. Solidarité Féminine continue à prendre en charge une partie de leurs besoins et assure également un accompagnement pour les démarches administratives et judiciaires pour l’établissement de l’état civil et la reconnaissance de la paternité. L’association aide également pour la réconciliation avec les familles et l’intégration socioéconomique. Elle mène aussi des actions de sensibilisation et d’éducation sexuelle afin de prévenir des grossesses non désirées. Selon Henya Bounouara, dans 99,99% des cas traités les grossesses ne sont pas désirées et pire encore « les mamans arrivent enceintes de plusieurs mois tout en ignorant qu’elles le sont !!!».
