SUIVEZ-NOUS

Société

Les consommateurs marocains du Haschisch ont besoin de prise en charge médicale

Pour les agriculteurs qui cultivent des terres de moins d’un hectare, le cannabis n’est pas une si bonne affaire. Un hectare irrigué, ce sont 3 000 DH par an par personne. Le revenu d’un trafiquant est dix fois plus important que celui de l’agriculteur.

Publié le

Khalid zerouali 2011 02 18

La Vie éco : Depuis 2003, l’éradication des cultures de cannabis a pris un nouveau tournant. Où en sommes-nous aujourd’hui ?

Khalid Zerouali : Avant 2003, il y avait une perception négative sur le Maroc par la communauté internationale à cause de l’absence d’un référentiel commun. 2003 a constitué une étape importante du fait que nous avons invité cette communauté internationale, représentée par l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime  (ONUCD), pour travailler avec nous sur le terrain afin de délimiter la superficie des terres cultivées. C’était à l’époque une politique volontariste de la part du Maroc. Cette étude a permis de dégager des chiffres : 134 000 hectares dédiés à la culture du cannabis, éparpillés sur cinq provinces avec une capacité de production de chira de 3 000 tonnes par an. En 2005, nous avons réalisé une autre étude avec le même organisme. Résultat : 72 000 hectares de terres cultivées. En 2010, nous sommes arrivés à 46 000 hectares de cultures de cannabis. Ce qui nous permet aujourd’hui d’avoir des objectifs concrets à propos desquels on peut évoluer.

Que répondez-vous à ceux qui vous accusent de mener une politique d’éradication sélective qui cible des provinces et pas d’autres ?

Nous sommes dans une stratégie progressive, pas sélective. Nous ne pouvons pas traiter toutes les terres cultivées à la fois. Nous avons commencé par des zones qui ont connu ce phénomène récemment. Taounate par exemple est une région où la terre est fertile, où cinq barrages existent. Il n’y a aucune raison pour que les agriculteurs cultivent le cannabis. A Taounate, il y a un potentiel énorme pour des cultures médicinales et aromatiques ou encore celle du caroubier  et qui représentent une forte valeur ajoutée. Nous avons donc commencé par des zones qui ne sont pas enclavées comme Taounate et Larache. Pour ce qui est de Chaouen, nous avons traité 16 communes qui ont connu cette culture récemment. Maintenant, il reste ces zones qui dédient leurs terres à cette culture depuis longtemps. Pour ces zones, on a opté pour une démarche prudente et pérenne.

Démarche prudente et pérenne, c’est-à-dire ?

Nous avons adopté un programme global qui permet aux populations de disposer de ce qu’il faut pour qu’elles mènent une vie normale. Dans ce cadre, il a été procédé en 2009 à la signature d’une convention cadre relative à la réalisation du programme gouvernemental de développement alternatif au niveau des provinces touchées par la culture du cannabis, d’une enveloppe budgétaire de 900 millions de dirhams, sur deux années. Les axes de développement sont au nombre de quatre. L’aide à la reconversion à travers l’introduction de cultures alternatives à forte valeur ajoutée, la mise en place d’infrastructures et d’équipements de base, le développement social et humain et la conservation et le développement durable de l’environnement.

En attendant, on continue à cultiver du cannabis…

Pour quelqu’un qui vit enclavé, loin des routes, au sommet d’une montagne, il paraît légitime de cultiver le cannabis. L’Etat n’est pas là pour empêcher les gens de gagner leur vie. On est là pour les assister afin d’avoir un revenu décent, mais licite.

Ils sont plusieurs à clamer que le cannabis permet aux populations locales d’avoir des revenus décents…

Il y a beaucoup de populisme dans ces assertions. Pour les agriculteurs qui cultivent des terres de moins d’un hectare, le cannabis n’est pas une si bonne affaire. Un hectare irrigué, ce sont deux tonnes de kif. Un simple calcul nous permet de déduire que le revenu moyen pour ces familles est de 3 000 DH par an par personne. Donc, ce n’est pas intéressant pour la majorité écrasante de la population concernée. Seule une minorité tire profit de cette situation, puisque le revenu d’un trafiquant est de dix fois plus important que celui de l’agriculteur. Le taux est encore plus élevé pour les intermédiaires. Et ce sont ces personnes qui font de l’agitation afin de faire perdurer une situation qui profite à eux, pas aux agriculteurs.
Puis, il y a aussi le coût psychologique. On assiste à un éclatement de la famille à cause de cette situation. Les hommes ne peuvent pas aller au souk parce qu’ils sont recherchés. Cette partie cachée de l’iceberg n’est jamais évoquée par ceux qui critiquent la politique d’éradication des cultures du cannabis.

Envisagez-vous de légaliser la culture du cannabis ?

Pour la consommation de kif et de résine la réponse est non. Ce sont des drogues. En revanche et ce n’est pas un secret, nous menons une réflexion pour voir comment on peut utiliser ce cannabis pour une autre application. Le cannabis à faible teneur en tétrahydrocannabinol (THC, principe actif de la drogue) pourrait jouer le rôle de culture de substitution. ça sera une autre famille du cannabis utilisé pour des applications industrielles, pas pour être fumé. Ce sont des applications, qui sont d’ailleurs, à forte valeur ajoutée. Il s’agirait notamment d’utiliser la plante pour un usage textile ou comme intrant industriel.

Malgré la réduction de la production, la consommation ne faiblit pas. La sensibilisation contre cette drogue manque cruellement…

Effectivement, l’une de nos faiblesses, c’est que nous n’avons pas, à aujourd’hui, mené une étude de prévalence qui nous fournirait une véritable radioscopie de la consommation de la drogue, par type -y compris l’alcool. Il est temps de nous atteler à cette tâche.
Il nous faut transcender l’approche sécuritaire dans le traitement de ce volet pour la simple raison que la majorité des consommateurs sont des patients et ils ont plutôt besoin d’une prise en charge médicale.
Nous avons fait un grand effort, mais la consommation de la drogue reste encore un tabou. La société civile et les médias devraient peut-être nous aider à briser ce tabou. Les familles, les professeurs aussi. Par contre, au ministère de l’intérieur, nous accordons une attention particulière à des zones vulnérables comme les écoles, les lycées et les universités. La Sûreté nationale a élaboré une stratégie de lutte contre le trafic ciblant les établissements scolaires. Il est vrai que l’utilisation des nouvelles technologies (cellulaires, sms…) nous impose de nouveaux défis, mais nous devons nous adapter à cette évolution rapide du trafic.

A lire aussi

Le Maroc n’est plus le premier producteur mondial de haschich mais…