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Société

«L’éducation est devenue une source d’inquiétudes et de désarroi pour les familles»

Toute éducation qui se respecte doit prendre en charge le biorythme des enfants. Les parents baignent dans un modèle révolu qui veut que l’enfant soit obéissant. Le fait que les deux parents travaillent est une contrainte majeure pour bien s’occuper des enfants..

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Ahmed Al Motamassik

L’éducation des enfants devient de plus en plus difficile, est-ce une réalité ou alors une perception différente ?
La question de l’éducation des enfants est cruciale pour toutes les couches sociales. De ce fait, elle est devenue la grande interrogation pour tous les parents et même une source d’inquiétudes et de désarroi pour les familles. Les psychologues diront qu’elle est anxiogène dans la mesure où elle génère de l’angoisse, essentiellement pour les jeunes couples.
La configuration de ces éléments est surdéterminée par les représentations et réducteur du mot éducation. Ce dernier est un construit social qui confond «Représentation de la réalité» et «Réalité». En général, les parents entendent par «bonne éducation» le fait que l’enfant les écoute et suit leurs recommandations. De ce point de vue, l’éducation est réduite à une soumission à des normes et valeurs fondées sur une relation verticale entre l’adulte et l’enfant qui exige de ce dernier une conformité comportementale projetée et voulue par les familles.
Je crois personnellement que les parents, d’une manière générale, se conforment aussi à un inconscient social qu’ils reproduisent à leur manière et qu’ils projettent sur leur progéniture. J’ai envie de parodier Feuerbach en affirmant qu’un bon éducateur a besoin aussi d’être éduqué.

Comment démêler l’écheveau de cette situation ?
Je propose qu’on revienne au lexique de la sociologie de l’éducation. En effet, nous distinguons deux concepts qui se recoupent mais qui sont distincts : socialisation et éducation. Ils impliquent tous les deux l’apprentissage. La socialisation n’est pas planifiée. Elle a pour objectif de perpétuer l’ordre social, d’intégrer l’enfant dans les cadres sociaux existants en utilisant les rites sociaux. Par contre, l’éducation est planifiée et implique une institution officielle qui a la responsabilité de fournir et de surveiller le déroulement et le suivi de l’apprentissage. Elle se concentre sur un ensemble limité de compétences et de connaissances enseignées selon des curricula bien définis.
Donc ce qui se passe au niveau familial relève de la socialisation primaire qui se déroule de l’enfance à l’adolescence qui opère à travers la famille, les pairs, les médias et l’école. A l’âge adulte, la socialisation secondaire se fait par la vie professionnelle, les clubs, les partis…
Alors que l’éducation reste l’apanage de l’école avec tout l’arsenal pédagogique déployé par cette dernière.
La question qui s’impose est de voir s’il y a concordance entre le système de valeurs inculpées par l’école et les valeurs inconscientes véhiculées par les familles.

Les enfants d’aujourd’hui sont-ils différents ?
Je ne crois pas qu’ils soient différents. Par contre, les exigences des parents et de la société sont devenues importantes. Sur ce plan, la performance et la réussite scolaires sont devenues l’obsession de toutes les familles. Ne faut-il pas se poser la question cruciale : est-ce que nos enfants sont capables de supporter toute cette charge émotionnelle et intellectuelle imposée par les adultes ?
N’oublions pas qu’un enfant a une évolution particulière, un rythme physiologique, mental et émotionnel en devenir. Toute éducation qui se respecte doit prendre en charge le biorythme des enfants.
Il est actuellement établi par les sciences humaines qu’un enfant est un être à part entière avec ses ambitions, ses choix, ses désirs, ses rêves et son imaginaire. La bonne éducation commence par écouter cette riche et complexe constellation et d’instaurer une guidance en vue d’accompagner la construction de cette personnalité en devenir, au lieu d’imposer et de transférer ses désirs sur sa progéniture.

Les difficultés rencontrées actuellement sont-elles dues à un changement des relations entre parents et enfants?
C’est juste. Il faut dire que les enfants baignent dans une culture, véhiculée par les réseaux sociaux, qui prône la liberté d’expression, la réalisation de soi par le nombre de «llike» qu’on récolte… Par contre, les parents baignent dans un modèle révolu qui veut que l’enfant soit obéissant et ne dit jamais non. A contrario, les psychologues affirment que l’enfant construit sa personnalité en s’affirmant par opposition.
Cette situation d’écart génère des conflits entre les deux acteurs de la vie familiale. L’erreur à éviter est de vouloir régler cela par la violence ou le chantage : ne pas sortir, pas d’argent de poche…
Je crois qu’un apprentissage de la gestion des conflits par les parents serait bénéfique pour les deux parties. Je déplore, à ce propos, l’absence d’instances de formation des parents à l’éducation positive des enfants.

L’éducation relève aussi de l’école. Peut-on parler de limites à ce niveau ?
La réussite d’un système d’éducation dépend de la confiance et de l’image positive qu’on a de l’institution en question. Or le système d’éducation au Maroc, en l’occurrence l’école, a perdu toute sa crédibilité aux yeux de tout le monde, y compris les responsables. A ce propos, il suffit de consulter le nombre d’études qui ont montré la faillite du système.
Le paradoxe est que les parents continuent à exhorter leurs enfants en vue de réussir scolairement – par la performance des notes – en mobilisant tous les moyens pour cela. Par ailleurs, une grande partie de la classe moyenne inscrit ses enfants dans des écoles privées qui offrent un ersatz d’éducation en augmentant le nombre de langues et le volume des contenus enseignés.
Les écoles privée et publique mettent l’accent sur la mémorisation, la performance par les notes, et oublient l’objectif principal qui est de former à l’acquisition de compétences. N’oublions pas qu’une compétence est définie comme la capacité de résoudre les problèmes.
Nous sommes, donc, devant une situation que les psychosociologues qualifient de «double bind» ou double contrainte. D’un côté, l’enfant sait que l’école ne peut être le chemin de la réussite, et, de l’autre côté, on l’oblige à réussir dans un système discrédité. Cette situation génère pour l’enfant une souffrance psychologique insupportable qui rejaillit négativement sur sa relation avec ses parents et qui peut occasionner des comportements violents ou des pathologies psychologiques invalidantes.

On parle de plus en plus de démission des parents en raison des responsabilités professionnelles et du burn-out. Qu’en pensez-vous ?
Je ne parlerai pas de démission mais plutôt de délégation. Nous savons tous que l’éducation des enfants est le souci majeur de toutes les familles marocaines et surtout celles de la classe moyenne. La contrainte majeure, dans cette situation, est le travail des deux parents, surtout dans le secteur privé. Mais, c’est surtout la femme qui supporte tout l’effort pour accompagner, soigner et suivre l’éducation des enfants. Dans ce cas, le burn-out provient de la surcharge de travail à laquelle la femme ne peut plus faire face.
Donc, le seul moyen de s’en sortir, pour les parents, est de déléguer l’accompagnement à des personnes ou à des institutions dédiées. Cela ne diminue aucunement le rôle et la place des parents dans l’éducation des enfants. Rappelons que la socialisation primaire se fait par les parents, la famille étendue, le groupe des pairs, les éducatrices et les enseignants.

Quelles sont, selon vous, les pistes pour une éducation efficiente ?
D’abord, qu’est-ce que nous voulons comme profil de sortie pour nos enfants? Tout le monde veut leur réussite. Chacun est convaincu de sa recette éducative qui provient en général de son histoire personnelle ou de l’imitation d’une personne ou d’un proche dont le comportement est considéré comme exemple à suivre. Il y a même des personnes qui éduquent leurs enfants selon la conduite, qu’on considère idéale, de leur hiérarchie. Tout cela reste subjectif, partiel et partial. Nous estimons qu’il est impératif de se démarquer de cette culture éducative traditionnelle en optant pour la démarche suivante :
– Redéfinir son rapport avec ses enfants, c’est-à-dire opter pour une relation horizontale qui promeut un rapport de concertation et de participation dans la prise de décision concernant leur avenir et leur ambition.
– Privilégier une démarche de guidance éducative. Celle-ci se traduit par l’établissement d’un processus qui se construit au fur et à mesure que le temps passe: «C’est la marche qui fait le chemin». Dans ce sens, l’adulte aura pour fonction l’encadrement et le renforcement. Ainsi, il devient une personne ressource pour éveiller, avec bienveillance, le potentiel des jeunes.
– Renforcer la résilience de la jeune génération. Face à l’échec, nous avons tendance à baisser les bras et à se décourager. Dans ce cas, le plus important dans la formation de la personnalité est d’apprendre à rebondir dans les situations critiques et de transformer un échec en réussite.
– Adopter une démarche de responsabilisation dans le sens d’apprendre à faire des choix et de les assumer : la réussite sociale et professionnelle dépend de cette compétence du savoir-être de l’intelligence émotionnelle.
– Encourager les prises d’initiative chez l’enfant et faire un feed-back de renforcement en le félicitant et en mettant l’accent sur les réussites.
– Initier les enfants à une démarche de négociation et d’argumentation. Cela leur permet de développer leur sens de raisonnement en vue de convaincre l’autre au lieu d’imposer ses idées.
– Insister sur la valeur de l’effort personnel et le goût de la persévérance.
– Apprendre à l’enfant la valeur de l’égalité entre fille et garçon en distribuant équitablement les taches entre les deux genres et en ayant une attitude de considération pour les deux.

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