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Société

Le business juteux de la minceur

Tailles épaisses, cuisses capitonnées et chevilles rembourrées
sont de moins en moins appréciées.
Tout régime présente des dangers sérieux. Les patients comme
les praticiens le savent, mais n’en font pas cas.
Carabins, apothicaires et faiseurs de potions magiques s’engraissent sur
le dos rond des personnes soumises au diktat de la minceur.

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Si la comédie de situation Lalla Fatéma est de plus en plus boudée par les téléspectateurs, son interprète, Khadija Assad, elle, ne laisse pas indifférent. Non en raison de sa forme artistique mais plutôt de ses formes. Celles-ci se sont sensiblement affinées depuis Ramadan dernier. Chose qui suscite une controverse : un camp trouve que cela lui sied à merveille, pendant que l’autre juge que la nouvelle Khadija Assad est un tantinet disgracieuse. La question n’est toujours pas tranchée. Cette parenthèse, pour anecdotique qu’elle soit, capte une mutation de la société marocaine: le corps est devenu une valeur. Certes, la fascination pour la beauté des corps n’est pas une invention récente. Les poètes, les chanteurs, les troubadours taillaient dans le marbre des mots des figures idéales pour donner une forme verbale à leurs rêves de perfection physique. Mais notre société, très réceptive à l’air du temps, tend à ne plus tolérer les capitulations du corps. Au point qu’avoir le ventre triste, exhiber des bourrelets malencontreux ou traîner des kilos superflus risquent de devenir, plus qu’une simple disgrâce, une impolitesse. Nous ne sommes pas encore atteints de «lipophobie» aiguë, rassurons-nous, mais au vu de la frénésie avec laquelle certaines femmes traquent leur gras, nous en développons les prémisses. Et dire que la langue marocaine associe toujours corpulence à beauté !

En cas de régime express, les muscles fondent plus vite que la graisse
Une personne empâtée, bedonnante ou ronde se laisse aller, manque de volonté, fait preuve de mollesse. Voilà le discours qui a désormais cours. Non sans dommages collatéraux. Il est même arrivé que des entreprises regardent à deux fois la taille d’une postulante avant de l’embaucher pour un poste de front office, et certains candidats, bardés de diplômes, ne comprennent pas qu’on ne leur fasse pas un pont en or. Question de physique. Effet fatal du discours hygiéniste : les Marocains prenent garde de ne pas prendre de kilos pénalisants et désobligeants. Il y a de plus en plus cette volonté-là, notent les diététiciens, qu’on ne peut malheureusement pas étayer par des chiffres et des statistiques, faute d’étude du phénomène.
Au Maroc, les femmes pèsent en moyenne 65 kg, les hommes 75 kg : il n’y aurait pas de quoi fouetter un chat si ce poids moyen n’augmentait avec l’âge. Entre 20 et 50 ans, les hommes prennent 8 kg et les femmes 6 kg. Résultat, des millions de Marocains en surpoids. De quoi mettre du beurre dans les épinards des professionnels des régimes.

6% de Marocains auraient tenté de maigrir cette année

Aux Etats-Unis, le fat business brasse la bagatelle de 30 milliards de dollars par an. Au Maroc, le marché de la minceur n’est pas quantifié en raison de son jeune âge. Gageons toutefois qu’il va prospérer, comme l’indique la demande qui ne cesse d’enfler. Près de 6% de Marocains auraient tenté de maigrir cette année avance, non sans réserves, un diététicien qui veut taire son nom. Or, les régimes sont non seulement nuisibles mais aussi inefficients. De ce jugement, la communauté scientifique ne démord pas. Elle établit que sur un an les kilos fondent comme neige au soleil, sur cinq ans, ils reviennent avec un bonus. Khalid Dembri, spécialiste en endocrinologie, diabétologie et nutrition, explique cet effet yo-yo. «Lorsque vous suivez un régime déséquilibré, un régime basses calories draconien ou un régime amincissant express, la perte rapide des kilos n’est qu’illusoire. En effet, la fonte des graisses est largement dépassée par la fonte des muscles. Ce qui engendre une fatigue indéniable et une reprise des kilos à l’arrêt du régime. Malheureusement, la reprise de poids se fait essentiellement sous forme de graisse. En effet, après avoir été privées de nourriture, les cellules graisseuses augmentent aussi bien en volume qu’en nombre. Dès que vous retrouvez vos mauvaises habitudes alimentaires, la reconstitution de la masse graisseuse se produit immédiatement. La masse musculaire, elle, est beaucoup plus longue à reconstituer. Au régime suivant, les muscles diminués brûlent moins de calories et les kilos sont plus difficiles à perdre. C’est un véritable cercle vicieux.»
Ces propos marqués au coin du bon sens médical ne dissuadent pas ceux qui ont la phobie des kilos en trop. Chacun, selon ses moyens, se précipite sur la potion magique, souvent sans en connaître la composition. Ainsi ces sachets contenant des aliments en poudre, baptisés Erbalife, que les femmes des quartiers modestes de Casablanca s’arrachent au prix de 1 000 DH le paquet, faisant la fortune de leurs contrebandières de vendeuses. De fait, cette poudre jaune qui nous vient d’Espagne aurait de hautes vertus amaigrissantes. Pour l’heure, les consommatrices semblent satisfaites. Elles auraient perdu de 2 à 5 kg après un mois de traitement. Il faudrait attendre pour mesurer les effets de cette recette «miraculeuse», car certaines femmes avouent ressentir d’étranges faiblesses.

Les vertus amincissantes du thé ne sont pas prouvées
Dans les beaux-quartiers, ce sont les manuels de régime qui font fureur. On guette les parutions sur le sujet, qu’on se procure pour 250 DH environ, pour en tester l’efficacité. Des titres alléchants : Le secret des régimes, Comment j’ai perdu 42 kg en treize mois; Mincir vrai; Régime brûle-graisse; Maigrir vite et bien… Propres à appâter le chaland pressé de se délester de ses bourrelets. Mais souvent la méthode est peu efficace. Il en est ainsi de celle préconisée par Barry Sears, dans Le Régime des stars (Ed. Le Cherche-midi), qui prend à contrepied la certitude selon laquelle le poids serait une affaire de calories. Que nenni ! clame Sears, il serait plutôt celle d’une hormone produite par l’alimentation : l’insuline. La parade est toute trouvée, elle consiste à manger seulement en dehors des heures de repas et à éviter scrupuleusement le sucre qui incite le corps à produire de l’insuline. Si la première proposition est fondée, la seconde ne tient pas debout, en ce sens que l’organisme a besoin de ce glucide, pourvu qu’il soit consommé en raisonnable quantité.
Mus par l’avidité, les professionnels des régimes attribuent abusivement des qualités amincissantes à des aliments qui n’en possèdent guère. Les herboristes pratiquent allègrement ce sport. Ainsi, ils n’hésitent pas, par exemple, à vanter le thé vert pour ses bienfaits amincissants. Or, si la charmante coutume anglaise est pourvue d’étonnantes propriétés médicinales, particulièrement celle de renfermer des substances antioxydantes, il n’est pas prouvé qu’elle aide à maigrir. Mais les faiseurs de potions magiques, habiles à concocter infusions aux herbes bizarres, coupe-faim qui auraient raison de vos graisses et autres salades, mettent leur conscience en veilleuse. Ah, le doux bruit du tiroir-caisse !
Soumis au diktat de la minceur imposé par une époque hygiéniste qui ne tolère aucun excès pondéral, les gens sont prêts à tout pour perdre quelques grammes. Même à donner leur âme au diable. Et de diables, l’enfer des régimes en regorge. Mme Hassina, la quarantaine avenante, est tombée, il y a huit ans, entre les pattes de l’un d’entre eux. En guise de coupe-faim, il lui faisait avaler des pilules à base de plantes douteuses. Elle eut une alerte cardiaque, échappa de justesse à la mort. Rétablie, elle voulait intenter un procès au prétendu diététicien. Il avait mis les voiles.

Des anorexigènes aux effets pernicieux
Partout en Europe, des règles strictes sont fixées à l’usage des coupe-faim depuis l’apparition d’une grave maladie appelée hypertension pulmonaire primitive (HPP).
Au Maroc, on continue à s’en gaver sous forme d’anorexigènes, tels le Fenproporex, l’Isoméride ou le Pondéral. Parfois sur les conseils d’un nutritionniste peu scrupuleux, souvent après consultation d’un pharmacien pressé de liquider son stock. Une personne hantée par son poids est considérée comme une vache à lait susceptible de faire le beurre des nutritionnistes , carabins, apothicaires et faiseurs de potion magique. Abusant de son désarroi, on lui fait miroiter des mirages : des anorexigènes à foison dont on connaît les effets pernicieux; des crèmes dites amincissantes mais qui possèdent une seule vertu, celle d’hydrater la peau; une gamme de régimes (protéiné, dissocié,…) propres uniquement à alléger le portefeuille ; des aliments auxquels on prête des vertus curatives, tels ces «alicaments» qui ont récemment fait surface…
Sur cette question, les magazines féminins ne sont pas exempts de reproches. Ne poussent-ils pas à la roue en imposant la valeur minceur, en exhibant des mannequins étiques et en plaidant en faveur de tous ces régimes qui promettent mais ne marchent pas à long terme. En décembre, il importe de perdre les kilos emmagasinés pendant Ramadan. Trois mois plus tard, les kilos perdus sont repris et même majorés sous l’effet de l’Aïd El Kébir. Rebelote, d’autant que l’été pointe à l’horizon et que madame aimerait tant essayer le bikini acheté à Paris pendant les soldes hivernales. L’été passe, les kilos en trop font de la résistance. Ramadan approche; il est grand temps de fondre… Cercle vicieux. Les kilos ne fondent pas mais madame passe sans cesse à la caisse. Quand elle rate son régime, elle s’en prend à elle-même, bascule dans la boulimie, puis se jette sur un nouveau régime pour éliminer le surpoids provoqué par celle-ci. Mincir n’est pas une mince affaire.