Société
La Moudawana en 2004 ? Oui, mais le Code pénal est resté machiste
Après le combat pour le Code de la famille, les associations féminines se lancent dans la bataille de l’égalité homme/femme.
Quatre volets sont jugés discriminatoires dans le code : le viol, l’avortement, les relations sexuelles hors mariage et le viol conjugal.
Certaines revendications risquent de se heurter aux préceptes de la Charia.
De la coalition «Printemps de l’égalité», qui avait combattu pour la refonte du code de la famille et avait eu gain de cause en 2003, le mouvement féministe marocain ne baisse pas les bras, avec sa coalition «Printemps de la dignité». Sa bataille concerne, cette fois-ci, la refonte du code pénal. Forte d’un réseau national de 22 associations, la nouvelle coalition créée en mars dernier juge ce code patriarcal et foncièrement discriminatoire à l’égard des femmes. On n’a pas meilleur symbole à cet égard que le 25 novembre prochain commémorant la Journée internationale de lutte contre la violence à l’égard des femmes pour passer à la vitesse supérieure. Ce jour-là, la coalition dévoilera les grandes lignes d’un mémorandum dédié à cette refonte, le programme du plaidoyer en préparation depuis plusieurs mois, et lancera en même temps la 8e campagne nationale de lutte contre cette violence contre les femmes qui durera jusqu’au 10 décembre, coïncidant avec la Journée internationale des droits de l’homme. L’objectif est clair et annoncé avec détermination : le code pénal actuel, un texte vieux d’un demi-siècle (entré en vigueur en 1962), est machiste. «Il n’a pas besoin d’une simple réforme, mais d’une refonte radicale. Au sein de la coalition, nous l’avons étudié, analysé et décortiqué avec l’aide de juristes, nous avons trouvé sa philosophie conservatrice. Il n’y a pas place pour les libertés individuelles, aucune référence à la protection contre la violence basée sur le genre. C’est plutôt le souci sécuritaire qui y prime de bout en bout, et les reformes qu’il a subies jusqu’à maintenant n’ont jamais mis en cause cette philosophie patriarcale», tempête Najat Razi, présidente de l’Association marocaine pour les droits de la femme (AMDF). Les amendements du code pénal, effectués en 2003 sont, juge-t-on restés timides. Le hic, proteste-t-on au sein de la coalition, est que la société civile, encore moins les associations des droits de la femme, n’a jamais été consultée sur l’avant-projet de réforme du code pénal préparé par le gouvernement.
Les associations féministes n’ont pas été consultées à propos de la réforme en cours
Ainsi, par exemple, le Conseil consultatif des droits de l’Homme (CCDH) a reçu une copie, mais pas les associations féministes. «Nous nous sommes débrouillées au sein de notre association et avec l’aide de notre partenaire, l’ADFM, pour nous procurer une copie de cet avant-projet. Après lecture, nous avons constaté que ses rédacteurs n’ont pas dérogé à l’approche patriarcale du texte original. Nous avons décidé donc de monter cette coalition pour faire un plaidoyer et proposer notre point de vue», enchaîne Mme Razi.
Que reproche-t-on, au fait, à ce code ? Quelles sont les clauses incriminées ? Que propose-t-on en échange ?
En un mot, on réclame plus d’égalité entre les hommes et les femmes. Rappelons que l’avant-projet de réforme du code pénal, étudié par le CCDH et à propos duquel des propositions ont été faites par cet organe, apporte quand même du nouveau, conformément aux recommandations de l’IER. La plus importante parmi ces dernières est l’harmonisation du code avec les conventions internationales en matière de défense des droits de l’homme. Mais pas uniquement, car le volet de la protection des femmes a aussi eu son lot d’amendements : on y introduit des mesures de protection des femmes victimes de violence. Plus que cela, on va jusqu’à y introduire des dispositions qui incriminent le harcèlement sexuel dans les lieux publics et d’autres qui pénalisent la violence conjugale en aggravant les sanctions. «C’est de la poudre aux yeux !», lancent les militantes des droits de la femme au sein de la coalition. «La philosophie de ce nouveau code reste la même : le principe de la non discrimination à l’égard des femmes n’y a pas été respecté, celui de la protection des femmes contre la violence basée sur le genre n’a pas été introduit. Et, surtout, on ne garantit pas dans ce code le respect des libertés individuelles des femmes, la priorité est toujours donnée au sécuritaire et au maintien de l’ordre social et de la morale», accuse Najat Razi.
En gros, la coalition «Printemps de la dignité» pointe du doigt quatre dispositions jugées discriminatoires à l’égard des femmes et sur lesquelles il faudra, insiste-t-on, que le gouvernement se penche avant de rendre sa copie finale : il s’agit du viol, de l’avortement, des relations sexuelles hors mariage et du viol conjugal. D’autres articles non moins discriminatoires sont incriminés et contre lesquels les ONG des droits de la femme se sont toujours élevés.
Ces articles 494 et 496 du code pénal qui assimilent la femme à un mineur
C’est le cas des fameux articles 494 et 496 du code pénal qui assimilent la femme à un mineur, dépourvue de toute personnalité. «Est puni de l’emprisonnement de deux à cinq ans et d’une amende… Quiconque par fraude, violence ou menaces, enlève une femme mariée, la détourne, déplace ou la fait détourner ou déplacer des lieux où elle était placée par ceux de l’autorité ou à la direction desquels elle était soumise ou confiée», stipulent ces deux articles. Déjà en 2003, à l’occasion de la dernière réforme du code pénal, l’ADFM a appelé à la suppression pure et simple de ces articles en raison de leur caractère ouvertement discriminatoire et offensant. Ils n’auraient pas lieu d’être, s’insurge-t-on, car le même code sanctionne de peines criminelles «tout enlèvement de personne», quel que soit sont statut, à travers l’article 436 et suivants. C’est donc ce dernier, indique l’AMDH, qui doit s’appliquer, puisqu’en vertu d’une règle très claire prévue par le code pénal, expliquent les juristes, «si un même fait coïncide avec deux incriminations prévues par la loi, on doit choisir de poursuivre d’après l’incrimination la plus grave».
Qu’en est-il maintenant des quatre chapitres du code dénoncés par la coalition ? Commençons par le viol. Mme Razi, mais aussi Khadija Rouggany et Mustapha Naoui, les avocats qui ont travaillé sur l’avant-projet, relèvent que ce délit (le viol) est considérée par le code plutôt comme une atteinte à la morale publique, à la famille et à la société, alors que c’est l’aspect atteinte à l’intégrité physique et morale et à la dignité de la femme violée, «qui devrait être mis en exergue, or il y est escamoté». Sur ce point et sur d’autres, «structurellement ce code est à refondre», poursuit Mme Razi. Que dit maintenant, sur le fond, le Code actuel sur le viol et que lui reproche la coalition ? Le viol, définit l’article 486 du CP, est «l’acte par lequel un homme a des relations sexuelles avec une femme contre le gré de celle-ci». Comprenez des relations sexuelles sans le consentement de la femme. En cas de violence physique, si la preuve est administrée, le tribunal n’aura aucun mal à admettre le crime. Tel n’est pas le cas s’il n’y a pas de traces physiques de la violence ; le juge n’admettra pas le viol et c’est la dignité de la femme qui sera bafouée. Les ONG demandent alors qu’en l’absence de violence physique, le tribunal accepte la violence morale qui n’en est pas moins pernicieuse. «Un homme peut obtenir des relations sexuelles avec une femme sans son consentement et sans violence physique, en exerçant uniquement une pression morale : menace de violence, chantage, pression psychologique», explique cette militante en charge d’un centre d’écoute affilié à l’observatoire «Ouyoune Nissa’iya» affilié à l’AMDF. Et d’ajouter, à titre d’exemple, que parmi les 26 077 actes de violence exercés sur les femmes en 2009, recensés dans les différents centres d’écoute, «une proportion non négligeable de cette violence est psychologique».
La coalition demande également la criminalisation du viol conjugal. Est-ce à dire que l’acte d’un mari qui force sa femme à avoir sans son consentement des relations sexuelles avec lui est considéré comme un viol ? De par la lettre de la loi, et dans l’absolu, c’en est un, expliquent les avocats, puisque toute relation sexuelle forcée avec une femme est un viol. Mais, à la connaissance de Me Mustapha Naoui, l’un des avocats qui ont décortiqué le code avec l’ADFM et l’AMDF, «la jurisprudence marocaine ne s’est jamais prononcée sur une affaire qui traite directement du viol conjugal. Peut-être y a eu t-il des plaintes dans ce sens, mais il n’y a pas dans la justice des précédents qui le confirment».
Viol conjugual : comment le criminaliser ?
L’absence d’une jurisprudence dans le domaine du viol conjugual serait compréhensible : tout les Marocains, et les juges ne font pas exception, considèrent que les rapports sexuels sont un devoir conjugal. Est-il temps de criminaliser le viol commis par le mari contre sa femme ? «Oui, dans la mesure où il y a des époux violents avec des comportement maladifs qui nuisent à la dignité de leurs épouses. D’autres pays l’ont fait, pourquoi pas nous», tranche Me Naoui.
Le troisième grief à l’égard du code pénal actuel est relatif à l’avortement. C’est une question épineuse sur laquelle le droit marocain reste encore très timide, et les avis restent partagés. La moindre des choses est de permettre à la femme «de jouir de sa liberté de disposer de son corps comme elle veut, et de l’avenir de sa grossesse comme elle l’entend. Ça rentre dans l’exercice des libertés individuelles», martèle Mme Razi. Le code pénal marocain n’autorise en effet l’avortement que dans des cas précis, et seulement quand la grossesse constitue un danger sur la santé de la femme. Dans une enquête menée par l’association marocaine de lutte contre l’interruption volontaire de la grossesse, présidé par le gynécologue Chakib Chraibi, il s’avère que 600 avortements sont pratiqués quotidiennement au Maroc, avec les risques que cela engendre puisqu’ils sont fait dans l’illégalité. «Jusqu’à quand cette tartufferie ?», s’interroge Me Naoui. Sur l’avortement, le débat est toujours en cours dans la coalition pour savoir quelle position adopter : le libéraliser purement et simplement comme un droit individuel de la femme, ou le libéraliser seulement dans certaines conditions ?
Enfin, le quatrième point évoqué par la coalition du printemps de la dignité est celui des relations sexuelles hors mariage. Le code pénal est sans concession : l’article 490 sanctionne d’un mois à un an ce genre de relation, or «tout le monde sait qu’elles sont quotidiennement pratiquées, interdiction ou pas par la loi», tranche le même avocat. Seule différence : quand les hommes pratiquent alfassad (dixit le code pénal), ils sont quasiment intouchables et leur acte n’est pas répréhensible, ni par la société ni par la justice, tandis que les femmes, elles, tombent sous le coup de la loi si ce fassad entraine une grossesse, et subissent automatiquement des poursuites judiciaires. Décriminaliser dans le code les relations sexuelles hors mariage ne serait pas chose aisée, commente ce sociologue. «Les Marocains s’affichent au plan religieux des conservateurs, libéraliser les relations sexuelles hors mariage, quand bien même elles existent, scandaliserait les islamistes. Toute la question est de savoir si l’Etat oserait franchir ce pas, comme il l’a déjà fait, et brisé ainsi des tabous, dans plusieurs domaines, pourquoi pas dans celui-là ?» (voir encadré).