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Société

La foi marocaine ébranlera-t-elle la montagne FIFA ?

Du 7 au 14 octobre, le Maroc sera le premier pays candidat à la Coupe du
monde à recevoir la visite des inspecteurs de la FIFA.
A ce jour, près des trois quarts des futurs votants ont été
approchés pour une opération de séduction inédite.
L’optimisme de l’équipe en charge du dossier n’a pas
encore déteint sur l’opinion publique échaudée par
trois tentatives infructueuses.

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Avant dernière ligne droite pour le rêve de la Coupe du monde de football. Du 7 au 14 octobre, les inspecteurs de la FIFA, en visite au Maroc, jugeront de visu du bien fondé de l’argumentaire développé mardi 30 septembre, au siège de la FIFA, à Zurich, par Saâd Kettani, président de l’Association Morocco 2010, Karim Ghallab, ministre de l’Equipement et du Transport, Adil Diouiri, ministre du Tourisme, Nouzha Chekrouni, ministre délégué des MRE et le général Housni Benslimane, président de la Fédération royale marocaine de football.
Les inspecteurs de la FIFA ? Ils sont en général surcompétents, pointilleux, méticuleux et très méfiants, rien ne sert d’essayer de travestir la réalité ou de les amadouer par des agapes, ils flairent vite l’anguille sous roche, prévient un vieux routier des candidatures marocaines. Saâd Kettani, « Monsieur 2010» comme on a pris l’habitude de l’appeler depuis quelque temps, lui, lit dans la «préséance» accordée au Maroc – il sera le premier pays candidat à recevoir les inspecteurs de la FIFA – un signe favorable. Les visiteurs seraient agréablement surpris par les progrès accomplis, et nous marquerions un bon point. Ne vous avisez pas de rétorquer à Saâd Kettani qu’il prend ses désirs pour des réalités, il s’en offusquerait et vous taxerait de défaitisme.
Entré dans la galaxie du football comme on entre en religion, ce néophyte a une foi inébranlable dans le dossier mitonné par son équipe de quadras bardés de diplômes. Depuis sa désignation par le Souverain comme président de l’Association Morocco 2010, en mai dernier, Saâd Kettani ne cesse de tisser des discours teintés d’un optimisme démesuré. «On veut, on peut !», tel est le slogan final brandi. Il ponctue les spots publicitaires où sont mis à contribution trois de nos héros nationaux : Salaheddine Bassir, auteur mémorable d’un doublé contre l’Ecosse lors du Mondial 98; Younès Al Aynaoui, ténor du tennis marocain et Hicham El Guerrouj, le preux chevalier de notre athlétisme. Lors d’une conférence de presse tenue à Casablanca, mercredi 24 septembre, le président de l’Association Morocco 2010 ne s’est laissé démonter par aucune manifestation de scepticisme, fût-elle légitime, convaincu qu’il était de la substantialité du dossier de candidature et, partant, des fortes chances que possède le Maroc de rafler la mise. Entonnant son intervention par : «Nous voulions confectionner un dossier technique qui puisse surprendre la FIFA. Je pense que nous avons réussi»; il la conclut par cette note radieuse : «Il est vrai que nous sommes actuellement dans la position de «challenger» et l’Afrique du Sud dans celle de “vainqueur”. Mais, c’est bien pour nous».

L’Association Morocco 2010 afficherait-elle un optimisme excessif ?
L’optimisme arboré par Saâd Kettani semble déteindre sur son staff. Même le circonspect Alan Rothenberg, judicieusement choisi comme conseiller, s’y laisse abandonner. «Je suis très optimiste quant à la candidature marocaine et cela, pour des raisons très objectives. Fruit d’un travail colossal, il s’agit, pour moi, du meilleur dossier que le Maroc ait jamais présenté. Il ne sera pas sans démontrer au monde entier que le Maroc est capable d’abriter la Coupe du monde en 2010 et qu’il dispose, pour ce faire, des infrastructures nécessaires». Il serait malvenu d’entrevoir dans ces propos ne serait-ce qu’une once de complaisance intéressée. L’homme jouit d’une excellente réputation et y tient comme à la prunelle de ses yeux. Il ne lésinerait ni sur son temps ni sur sa santé pour réussir son pari. Un exploit qui s’ajouterait à une kyrielle d’autres : organisation de la Coupe du monde aux Etats-Unis (1994), des Jeux d’Atlanta (1996), de Sydney (2000) et de Pékin (2008).
Il ne faut pas croire que Saâd Kettani et son équipe se contentent de rabâcher leurs arguments optimistes. Ils travaillent aussi. Preuve en est leur zèle prosélyte. C’est ainsi que le président de l’Association Morocco 2010 a, depuis sa nomination, écumé monts et vaux, à seule fin de prêcher pour la paroisse marocaine. Près des trois quarts des votants ont été dûment approchés, soumis à une séduction, celui des paysages variés, des cités gorgées de mémoire, des cultures infinies s’embrassant et des coutumes se chevauchant, en dépit de leur diversité ; une proximité avec l’Europe, distante d’à peine 14 kilomètres; la modestie des trajets entre les villes où se déroulerait la compétition (45 mn par réseau aérien et 3 heures par réseau autoroutier) ; l’importance du réseau routier (500 km d’autoroutes déjà, et connexion de toutes les villes avant 2010); la qualité des centres hospitaliers (385 hôpitaux avec une capacité de 33 000 lits, 180 centres de cardiologie, 16 centres de transfusion sanguine et 36 banques de sang, 1 250 ambulances); la capacité hôtelière (4,5 millions de touristes, 100 000 lits, 250 000 lits en 2010). Beaucoup de pays ont succombé à ses charmes savamment déployés : l’Arabie Saoudite, les Emirats Arabes Unis, l’Espagne, sans doute l’Allemagne, probablement la France.

Deux ou trois ans pour construire les stades restants
En dépit des multiples alliances nouées, le dossier du Maroc ne pourrait aboutir sans le sentiment de la FIFA que le peuple marocain désire ardemment l’accueil du Mondial 2010. «La mobilisation nationale est à l’ordre du jour : elle est facteur essentiel de réussite de la candidature marocaine au plus grand événement de la planète», répète Saâd Kettani à qui veut l’entendre. Pour l’heure, cela n’en prend pas le chemin. Loin s’en faut. Aux étendarts déployés, aux spots publicitaires diffusés et aux exercices persuasifs de mise, le Marocain Lambda ne prête qu’un regard ou une ouïe distraits.
«Ça fait exactement 20 ans qu’on nous rebat les oreilles avec cette histoire. Nous n’avons rien vu venir, en raison de l’incompétence des personnes successives qui ont eu la charge du dossier de candidature du Maroc. Alors, il y a lieu de se montrer pessimiste, malgré la bonne volonté montrée par les nouveaux responsables», déclare Saâd, une ancienne gloire du Wydad. Le reste des impressions est à l’avenant, sinon pas piqué des hannetons. «Cela me rappelle l’histoire du mec qui, à force de pauvreté, est nu comme un ver. Un bienfaiteur lui demande ce qui lui ferait plaisir. Il répond alors : une bague, monseigneur. C’est exactement l’image de notre pays ; nos jeunes sont à la rue, et au lieu de leur trouver des emplois, nous dépensons des millions de dirhams vainement. Jamais le Maroc n’obtiendra le droit d’accueillir une Coupe du Monde. Trêve de chimères !», condamne péremptoirement A.D., restaurateur.
D’autres blâment les responsables pour leur excès d’indignité : «On s’est déjà présenté par trois fois. Notre dossier était aussi solide que celui des autres. Mais ces gens-là n’ont pas voulu de nous. Ils ont préféré les Usa, la France, et l’Allemagne, ils ont craché sur nous. Pourquoi s’obstiner, au risque de brader sa dignité, sachant que la FIFA et ses sbires ne choisiront que le pays qui leur sied ?», s’écrie un entraîneur qui a pignon sur stade. Mais au-delà des emportements peu ou prou fondés, se glisse, avec insistance, une explication, sous forme de grief, à nos trois revers essuyés. Elle est résumée ainsi par Hamid Lahbabi, expert juridique de la FIFA : «Lors de ses trois candidatures, le Maroc n’a jamais présenté des choses concrètes, mais seulement des maquettes. A chaque fois, le dossier marocain était plus étoffé. Mais le problème, c’est que le Maroc n’a jamais tenu ses engagements et, à ce niveau, cela ne pardonne pas. Le fait, aujourd’hui, est que la FIFA ne peut plus croire le Maroc sur la base de ses maquettes» (cf. La Vie éco du 15 juin 2001)
Retour en arrière. Nous sommes en 1983. Abderrazzak Mekouar, alors président du conquérant WAC, a l’idée d’organiser le Mondial du football. On en fait des gorges chaudes. Mais Haj Mediouri prête attention à ce vœu et le glisse dans la royale oreille de Hassan II, qui donne son assentiment. Contre toute attente, c’est le président du Raja de Casablanca qui prend en charge le dossier de candidature. Cap sur le Mondial 94. L’adversaire – les Etats-Unis – est de taille. Le Maroc ne se laisse pas impressionner. Il ferraille dur et faillit coiffer son rival au poteau : huit voix. Pour le Mondial 98, le Maroc croise le fer avec la France. Le duel semble inégal. Divine surprise : nous obtenons sept voix, soit un score très honorable. Abdellatif Semlali se retire, Driss Benhima reprend le flambeau. Avec quatre pays en lice (Maroc, Allemagne, Angleterre, Afrique du Sud) pour la conquête du Mondial 2006, cela tourne à la bataille rangée. Le Maroc en fait les frais. Trois voix seulement. Il est littéralement laminé. On crie au complot, de se défausser sur les autres de sa propre déroute. A quoi imputer ces échecs successifs ? «Le Maroc possède d’énormes atouts, explique Hamid Lahhabi. Il a accompli des progrès dans tous les domaines, il dispose d’une tradition footballistique et il est à deux pas de l’Europe. Là où ça coïnce, c’est au niveau de l’infrastructure sportive. Sur ce plan, rien ou presque rien n’a été fait depuis l’annonce de notre première candidature.»

Un dossier plus solide que les précédents
Et ce n’est pas Saâd Kettani qui nierait cette évidence. La seule ombre au paysage dessiné du Maroc demeure obstinément l’insuffisance en stades dignes de ce nom. A ce jour, sur les neuf enceintes, nous ne pouvons faire valoir que trois, qui seraient opérationnelles moyennant de légères retouches (Stade Mohammed V, à Casablanca ; Complexe sportif de Fès ; Complexe sportif Moulay Abdallah de Rabat). Trois stades sont en construction (à Agadir, Marrakech et Tanger). Trois autres ne seraient réalisés qu’en cas du choix du Maroc pour l’organisation de la Coupe du Monde (à Casablanca, El Jadida, Meknès). Autrement dit, les inspecteurs de la FIFA se mettront sous la dent trois réalisations réelles, trois en cours de réalisation et trois fictives. Avec un tel handicap, n’allons-nous pas foncer tête baissée vers une nouvelle déconvenue ? Saâd Kettani ne partage pas cet avis : «Par le passé, il est vrai que le Maroc ne présentait que de simples maquettes. Cette fois-ci, celles-ci sont assorties de contrats signés, d’engagements financiers du gouvernement. Ce qui va rassurer la FIFA, d’autant que la construction d’un stade n’excède guère 2 ou 3 ans. Et nous ne sommes qu’en l’an 2003».
Le Nigéria s’étant retiré, reste sur le champ de bataille l’Afrique du Sud, la Tunisie, la Libye, l’Egypte et le Maroc. Qui de ces cinq concurrents l’emportera ? Les supputations vont dans le sens d’un âpre duel entre l’Afrique du Sud et le Maroc. Ce serait mésestimer la force de frappe des Pharaons, qui ont fourbi un dossier de 1 500 pages et 30 kg. Ecrasant. Mais, que l’on se rassure, les Marocains ont présenté un dossier très complet et surtout très bien fait. En tous cas, le meilleur que l’on ait présenté jusqu’à présent.
Cela étant, vous dirait Saâd Kettani, plus que tout autre argument, seules comptent les relations établies, les solidarités scellées et les alliances nouées. D’où la vertu du «lobbying». Le président de l’Association Morocco 2010 la cultive avec foi et ferveur