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Société

Jood, une association qui se bat pour la dignité des sans-abri

A Casablanca, El Jadida et Marrakech, les 2 200 bénévoles de l’association distribuent des repas chauds, des vêtements et des couvertures. L’association aide à l’insertion de familles ayant toujours vécu dans la rue. Sa fondatrice raconte son engagement contre la précarité et la cruauté de la rue…

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JOOD sans abri

C’est en 2009 qu’elle a distribué, pour la première fois, et à la demande de sa mère, des repas aux sans domicile fixe. Du couscous en barquettes fait maison. Et c’est, six ans plus tard, que Hind Laidi décida de créer l’association «Jood pour la dignité des sans-abri». Une façon pour elle de poursuivre son aide aux SDF sur laquelle a porté son programme durant son mandat de présidente du Ladies Circle Casablanca.

Le choix de Jood – générosité en arabe- comme nom de l’association reflète l’objectif de la fondatrice de l’association : «Donner dans un esprit d’aider, de tendre la main en respectant la dignité de l’autre et de lui assurer le minimum vital». Une précision qu’elle tient à faire parce que, dit-elle, «souvent les gens donnent pour faire une sadaqa et c’est toujours avec une connotation religieuse. C’est culturel chez nous. Alors qu’en réalité, et au vu de la situation des sans-abri, il faut aider sans attendre une contrepartie et il faut le faire de façon permanente sur toute l’année».

C’est pour cela que la présidente fondatrice de Jood prévoit le lancement d’une campagne de sensibilisation. Objectif : mettre fin à l’indifférence vis-à-vis des sans-abri. «Il faut certes donner des repas et des vêtements, mais il faut agir en vue de les intégrer dans la société et non pas agir de façon ponctuelle». En effet, chaque année, c’est durant l’hiver que les associations et le Samu procèdent à l’organisation de la distribution des repas et des couvertures. Et c’est autour d’une action continue que l’association construit sa campagne de sensibilisation. Il faut d’abord connaître cette population afin d’en préparer l’insertion. Hind Laidi refuse de parler de réinsertion des SDF parce qu’ils n’ont jamais été intégrés. «Aujourd’hui nous sommes à la quatrième génération de sans-abri. Nous avons des personnes dont les parents et les grands-parents étaient SDF. Ils n’ont jamais connu autre chose que la rue !». Combien le Maroc compte-t-il de sans-abri ? Qui sont-ils ?

La présidente de l’association conteste l’estimation des sans-abri donnée par le Haut Commissariat au Plan, soit 5 326 personnes à vivre dans la rue. Selon Mme Laidi, «Casablanca, à elle seule, compte plus de 5000 !». Dressant le profil des SDF rencontrés dans les divers quartiers où ses équipes interviennent, elle précise qu’ «il y a des femmes, des jeunes mères célibataires, des hommes, des jeunes garçons et des jeunes filles ayant abandonné ou n’ayant jamais été à l’école, des enfants et des bébés. Ils n’ont, pour la majorité d’entre eux, aucune identité, aucun papier. Ils sont parfois atteints de maladies graves, notamment la tuberculose, des maladies de la peau ou sexuellement transmissibles. Ils sont accros à la drogue, à l’alcool, à la colle et à d’autres substances». S’ils ne sont pas nés dans la rue, ils y sont arrivés suite à des drames familiaux, entre autres un décès, un divorce, une grossesse non désirée ou encore des problèmes économiques résultant d’une perte d’emploi et un rejet de la famille. Bref, ils sont tous cassés et ont besoin d’un projet de vie pour se reconstruire. Et c’est à cela que l’association Jood tente, avec les moyens du bord, de les aider.

Les sans-abri sont essentiellement marocains et africains. Les équipes de Jood disent ne pas rencontrer de Syriens parmi les sans-abri, car ceux-là ont des revenus réguliers grâce à la mendicité.

Une quarantaine de chambres louées pour loger les SDF

Au-delà des repas et des vêtements, l’association aide à l’insertion sociale de ces populations, notamment en assurant pour certains d’entre eux un logement et un revenu mensuel pour une durée déterminée et en les aidant à trouver un emploi. L’association a, depuis sa création, procédé à la location de 40 chambres dans les quartiers de Hay Hassani, Ain-Chock, Errahma, Derb Lkabir et à Mohammédia. Le loyer est entre 600 et 800 DH, en plus d’une aide mensuelle de 600 DH pour permettre aux bénéficaire de subvenir à leurs besoins. «Mais cela juste pour une durée de six mois, en attendant de leur trouver un emploi. Nous avons réussi à placer plusieurs d’entre eux dans des pâtisseries, chez des familles comme chauffeur ou femme de ménage», indique Hind Laidi qui précise que «contrairement à ce que l’on pourrait croire, ils sont nombreux à vouloir travailler et pouvoir s’en sortir …». Mais cela n’est pas toujours facile, car dans la société marocaine, explique Hind Laidi, «on a peur du sans-abri. Parce qu’il représente l’inconnu. Et pour preuve, les propriétaires de maisons sont souvent réticents à la location des chambres et les employeurs veulent souvent des garanties…». Des obstacles que les pouvoirs publics pourraient lever en facilitant les procédures d’établissement d’un acte d’état civil, ce qui permettrait aux sans-abri, d’avoir une carte d’identité pour faciliter l’obtention d’un logement, d’une formation et d’un travail… Pour l’heure, la procédure de délivrance de l’acte de naissance s’étale sur une période de deux à trois ans. Elle requiert, de plus, la présence d’un avocat. Donc des frais que les sans-abri ne peuvent couvrir.

Outre le logement et l’insertion professionnelle, l’association intervient dans la rue pour distribuer repas et vêtements, et assurer des soins médicaux en faisant appel à des médecins, des cabinets de radiologie ou encore des laboratoires d’analyses médicales. «Nous lançons un appel via notre page Facebook et les professionnels intéressés se manifestent et, parfois, ce sont aussi des bienfaiteurs qui se proposent pour prendre en charge les frais médicaux», explique la présidente qui indique que l’association distribue aujourd’hui 6 000 repas par mois, dont 4 000 à Casablanca, 500 à El Jadida et 1 500 à Marrakech, par les bénévoles des antennes de Jood qui ont respectivement vu le jour en janvier et juin 2017. Les repas sont essentiellement constitués de plats marocains à base de viande, de poulet, de féculents, de légumes, de fruits, de pain, de fromage et même de chocolat. Le coût d’un repas s’élève à 15 DH, sans compter l’eau, le pain et les fruits qui sont donnés par des entreprises de la place.

La distribution des vêtements se fait aussi durant toute l’année, sans compter des packs d’hiver d’une valeur unitaire de 250 DH comprenant un jogging, des espadrilles, un bonnet, des chaussettes et une couverture. Enfin, l’association organise, une fois par mois, un jour hammam. Celui-ci est loué pour quelques heures pour recevoir les SDF qui sont avertis un jour ou deux à l’avance.

Mais souvent, dans les quartiers, les habitués des hammams refusent les sans-abri craignant la contagion car ils estiment que tous les SDF sont porteurs de maladies. Ce qui explique que de moins en moins de hammams acceptent de coopérer. D’où l’idée du projet de camion-douche (voir encadré).

Aucune compagnie n’a pour le moment accepté d’assurer les bénévoles

A Casablanca, l’association assure la distribution de repas via trois circuits. Le premier comprend Benjdia, bd. d’Anfa, Bourgogne et Belvédère. Le deuxième circuit recouvre Route de Médiouna, la gare routière Oulad Ziane et Derb el Kabir. Le troisième est constitué d’Ain-Chock, Lissasfa et Sidi Maarouf.

«Les distributions se faisaient les mardi et jeudi. Mais nous avions noté que les mendiants et même les habitants du quartier attendaient nos bénévoles pour avoir des repas. Les attroupements étaient importants et parfois il y avait des mouvements de violence. Nous avions été contraints de maintenir le rythme, mais en changeant les jours car nous ciblons uniquement les SDF qui sont dans une situation de précarité extrême», explique Hind Laidi. Et d’ajouter que «dans ces quartiers, et en particulier aux alentours de la gare routière, il y a une grande insécurité dont sont victimes les SDF qui vivent en clans et selon la loi du plus fort mais aussi les membres de l’association qui se font parfois attaquer. Nous avons approché des compagnies d’assurance pour assurer nos bénévoles mais le projet n’a pas abouti parce qu’ils ne sont pas salariés. C’est aussi une autre limite à notre activité, mais heureusement que les bénévoles sont engagés et passionnés, ce qui leur permet de s’impliquer dans ces actions, bravant les risques et les dangers». L’association compte 2 200 bénévoles dont 1700 à Casablanca, 200 à Marrakech et 300 à El Jadida. Enfin, la fondatrice de Jood estime que, pour donner plus de consistance au travail des associations agissant pour les sans domicile fixe et surtout permettre une action pérenne et durable sur toute l’année au lieu des programmes ponctuels (Ramadan, hiver etc.), il faut un cadre et une stratégie dans laquelle pourrait s’insérer l’action des diverses associations…

Com’ese

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