Société
Ils ont envoyé leurs enfants faire des études à l’étranger
Des milliers de Marocains partent chaque année faire leurs études à l’étranger. La France reste la première destination.
La séparation avec le foyer familial et le pays est souvent vécue comme un déchirement, aussi bien pour les jeunes que pour leurs parents.
Vivre seul, compter sur soi-même et ramener un diplôme bien coté… à condition de tenir le coup.
Le rêve de partir à l’étranger pour faire des études supérieures habite beaucoup de jeunes marocains. Désir de fuir le pays à la recherche d’un autre environnement ? Soif de s’affranchir des amarres de la famille ? Ou volonté de faire des études dans de grandes écoles pour assurer une meilleure carrière professionnelle ? Les motivations varient d’un candidat à l’autre, mais le fait est là, des milliers de jeunes marocains quittent chaque année le pays pour étudier sous d’autres cieux. Ils partent en Europe, aux Etats-Unis, au Canada, en Russie, en Tunisie, au Sénégal, voire en Chine… Proximité géographique, linguistique et lien historique obligent, la France est le premier pays où se dirigent les étudiants marocains.
Mehdi A. avait 18 ans quand il a obtenu son bac en 2007. Il a toujours rêvé de partir après le bac en France. Hélas ! l’année de sa terminale, il perd sa mère et dut, à son corps défendant, s’inscrire à la Faculté des sciences de Casablanca. «Je m’y languissais tout le temps, aucun contrôle pour les absences, aucune motivation, sans parler des grèves déclenchées à tout bout de champ. Je décidai alors de déposer ma candidature pour suivre l’année suivante un cycle d’ingénierie en France», se rappelle Mehdi. Déposer sa candidature, cela veut dire suivre toute une procédure exigée des services de l’ambassade de France au Maroc, et s’inscrire d’abord et impérativement sur le site «Espace Campus France Maroc». C’est ce dernier qui oriente le demandeur, pas à pas, dans sa démarche, depuis la préinscription dans un établissement français, l’entretien individuel au CEF (Centre pour les études en France), jusqu’à la demande du visa, en passant obligatoirement par l’étape du TCF (test de connaissance en français). Ayant accompli avec succès toutes ces démarches, Mehdi se retrouve en 2008 à Troyes (à 150 km de Paris) comme étudiant à l’IUT (Institut universitaire de technologie), libre de la tutelle paternelle mais, revers de la médaille, ne pouvant compter que sur lui-même. Il obtient d’abord une chambre dans une résidence relevant du Centre national des œuvres universitaires et scolaires (CNOUS) à 150 euros, avant de louer un studio à 350 euros, qui se réduisent à 150 avec l’APL (aide pour logement). Qui assure toutes les dépenses ? Le père, bien évidemment, cadre moyen dans une entreprise, et qui a en outre la responsabilité de trois autres enfants. «Mehdi a toujours été studieux, je n’ai pas pu freiner son enthousiasme, même avec tous les sacrifices financiers que cela m’impose», se résigne le père. Et tous les parents qui envoient leurs enfants étudier à l’étranger font de même. Première contrainte financière : bloquer la somme de 50 000 DH exigée par le consulat dans une banque pour avoir droit au visa, à partir de laquelle il doit faire un virement de 5 000 DH chaque mois. «Heureusement que j’avais quelques économies. Mais les choses se sont corsées pour moi en 2éme année car il fallait sortir les 5 000 DH de mon salaire». Encore que l’école où son fils s’est inscrit, mis à part les frais d’inscription, n’est pas payante.
L’incapacité des parents à assurer les garanties financières reste la cause principale du refus du visa
A ce rythme, beaucoup de parents, même avec toutes les volontés du monde, sont incapables d’assurer ces dépenses ! Il faut être relativement aisé pour y parvenir, car disposer de 50 000 DH comme caution n’est pas à la portée de tous. Certains, aux revenus plus modestes, recourent au crédit pour financer les études supérieures de leurs enfants à l’étranger. Cela dit, pour le cas de la France, entre 50 et 60% de demandes de visas pour études sont satisfaites mais nombreux sont ceux qui se voient refuser ce visa à cause de l’incapacité des parents à assurer les garanties financières. Une chose est sûre, et cela montre l’attractivité de l’Hexagone pour les étudiants marocains : leur nombre est de 30 300 en 2010, selon les autorités françaises (sur 254 000 toutes nationalités confondues), soit la première communauté d’étudiants étrangers en France, devant les Chinois et les Algériens. Autres chiffres : les étudiants marocains en France optent pour les grandes écoles d’ingénieurs, qu’ils intègrent souvent après les deux ans de classes prépas. Il sont 9,2% de Marocains étrangers en France à avoir suivi cette voie (environ 3 000 étudiants), alors que la moyenne pour les autres étudiants est de 4,4%. (Voir encadré).
Yassine C. est parmi ceux-là, et il est en train de réussir brillamment son parcours dans l’Hexagone. Ce fils de retraité a eu son bac (sciences maths) en 2008 dans un lycée public. Après avoir réussi toutes les démarches classiques d’inscription et de visa, il s’envole vers Strasbourg pour s’inscrire aux prépas dans un lycée. Son père, avec sa pension, et sa mère, ingénieur de son état, ne lésinent pas sur les moyens pour lui assurer le nécessaire. Mais, finalement, ils sont satisfaits et fiers des résultats obtenus par leur fils. «J’avais peur au début qu’il ne puisse pas suivre le rythme des autres étudiants, et il y en a de toutes les nationalités. Les Chinois en particulier sont des cracks en maths, mais Yassine, très studieux, ne s’est pas découragé, il a même pu rafler la première place en première année, je n’en revenais pas», se félicite sa mère, matheuse aussi à son époque. En ce mois de mai, ce garçon de 20 ans est en pleine période d’examens pour accéder à une grande école d’ingénieurs, voire l’une des plus prestigieuses. A-t-il souffert de dépaysement les deux premières années ? «Pas le moins du monde, répond le père. En tout cas, vu le rythme de travail, il n’a pas le temps de s’ennuyer, comme l’internat du lycée ferme pendant le week-end, il prend le train pour aller chez son oncle dans une ville allemande frontalière».
Mehdi, non plus, n’a pas été trop dépaysé, des amis à lui en France l’ont accueilli à bras ouverts une fois à Troyes. «Je me suis senti tout à fait à l’aise, et puis la nature des études, le sérieux des professeurs et la discipline imposée par l’administration de l’institut m’ont fait oublier mon année universitaire au Maroc. Le week-end, on est ensemble pour faire la fête», se réjouit-il.
L’Espagne vient après la France, 3 000 étudiants y vont chaque année
Justement, le dépaysement, la nostalgie du pays, voire la déprime sont l’ennemi numéro un de la majorité des étudiants marocains à l’étranger. Qods, la sœur de Yassine, partie, elle, en Espagne en 2001 pour faire des études d’ingénierie à Valence, a souffert le martyre au début de son séjour. Elle téléphonait chaque jour à ses parents, la gorge nouée, pour se plaindre, leur dire qu’elle n’en pouvait plus. Pourtant, ils avaient fait beaucoup de sacrifices pour l’envoyer, à sa demande d’ailleurs, poursuivre ses études à l’étranger. Les démarches pour postuler à un établissement en Espagne sont un peu différentes de celles demandées pour la France, mais semblables quant au volet des garanties financières. Etape incontournable, la «selectividad» (l’équivalent du TCF pour la France ou du TOFEL pour les Etats-Unis) : une année d’apprentissage de la langue de Cervantès dans une école privée à Casablanca. Les parents de Qods l’ont même accompagné en voiture jusqu’à Valence pour lui trouver un logement en colocation. «C’était très difficile la première année. C’était tellement dur que, sans notre fermeté, elle aurait jeté l’éponge et serait rentrée au bercail», se rappelle sa mère. Deux années plus tard, la fille nostalgique de 19 ans, esseulée et doutant d’elle-même, qui a débarqué en 2001 dans une ville où elle ne connaissait personne, avait tourné la page de la déprime. Non seulement elle a pris goût à la vie en Espagne, mais elle y est toujours aujourd’hui.
La même déprime des débuts est relatée par le père de Fayçal G., parti, lui, à 17 ans, faire les prépas après l’obtention de son bac en 2005. Là aussi, les parents ont tout fait pour soutenir leur fils dans son choix, d’autant qu’il était encore mineur. La séparation avec le foyer familial a été vécue comme un déchirement.
«Nous voulions d’abord le loger à l’internat au lieu d’un face-à-face avec lui-même, à gérer en même temps le quotidien, la solitude et les études, ce qui n’est pas évident. Je crois que nous devions le pousser à faire deux ou trois années d’études après le bac au Maroc, histoire de mûrir un peu plus, au lieu de le lâcher seul, à 17 ans, dans la nature».
Mais il faut laisser le temps au temps. Avec l’aide de ses parents, Fayçal est arrivé à surmonter le découragement du début. Il choisit de changer complètement d’itinéraire. Au lieu de terminer les deux années des classes prépas, il passe un concours pour accéder directement à une école supérieure. Ce sera l’Ecole nationale d’ingénieurs de Brest (ENIB). Cette ville n’est pas bien joyeuse, côté ambiance, et connaît un rude climat, mais le garçon est maintenant au bout de ses peines, quatre ans après avoir intégré cette école. Dans une année il sera ingénieur. Ce qu’il coûte à ses parents ? «Dans les 100 000 DH par an», répond le père, directeur commercial dans une entreprise de négoce à Casablanca. Les coûts sont à peu près les mêmes dans tous les pays d’europe. Ce qui fait la différence ? La politique de sélection académique au sein du pays d’accueil. Depuis le début des années 2000, l’Espagne attire également beaucoup d’étudiants marocains. Plus d’un millier y vont chaque année pour faire des études d’ingénierie, de médecine, d’architecture… Beaucoup s’y installent à la fin de leurs études, et ceux qui reviennent au pays sont bien cotés sur le marché du travail. Souvent, ils sont recrutés par des entreprises espagnoles établies au Maroc.
D’autres tentent l’aventure aux Etats-Unis. Adil a 17 ans quand il débarque en 2001 à Marquette, une petite ville de 20 000 habitants située dans l’Etat du Michigan. Son père, commerçant de son état, s’est saigné à blanc pour l’y envoyer faire ses études. Les trois premiers mois étaient consacrés à la maîtrise de la langue, mais également à affronter un environnement et un climat inhospitaliers. L’éloignement est encore plus terrible pour un garçon qui sort à peine de l’adolescence. Kawtar, sa sœur aînée, qui, elle, a fait l’Université Al Akhawayn, se rappelle des coups de fils répétés de son cadet qui étaient autant d’appels au secours. «Si seulement j’étais resté auprès de vous, pourquoi me suis-je fourré dans cette galère… ?», ne cessait-il de se plaindre. Neuf ans après, tout n’est plus qu’un mauvais souvenir. Le temps passe, Adil B. s’inscrit à l’école supérieure Michigan Technology, dans la ville de Houghton, pour des études d’ingénierie en informatique à 400 000 DH le semestre. Heureusement pour lui, 75% de la somme étaient couverts par l’équipe scolaire de tennis qu’il avait intégrée, car il excellait dans ce sport. Le reste, il le payait lui-même en travaillant à mi-temps dans un supermarché. Le pays lui manque tellement, mais il n’a pas le temps d’y revenir. Outre que le billet est très cher, son nouveau job et les cours du soir pour préparer un master accaparent tout son temps.
Demain peut-être trouvera-t-on des étudiants marocains en Chine (quelques-uns s’y trouvent déjà) ou en Thaïlande…mais les contraintes seront les mêmes. Avoir les moyens d’étudier à l’étranger et tenir le coup, arriver à oublier cette fameuse «ghorba» qui pousse parfois des étudiants au potentiel brillant à tout laisser tomber…