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Société

Education : l’autorité parentale à l’épreuve de l’évolution sociétale

Le but de toute éducation est d’amener l’enfant à être autonome et épanoui et de l’accompagner vers la réussite. Les jeunes sont contraints, d’une part, de répondre, au mieux aux exigences d’excellence des parents, et, d’autre part, de se développer dans un système éducatif et d’enseignement qui permet de moins en moins leur épanouissement. Ils se rebiffent contre ces pressions et donnent du fil à retordre aux parents et aux enseignants…

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Les parents ont de plus en plus de mal à éduquer leurs enfants. Un constat vieux comme le monde puisque Socrate disait déjà, cinq siècles av. J.C, «les jeunes d’aujourd’hui aiment le luxe, ils sont mal élevés, méprisent l’autorité, n’ont aucun respect pour leurs aînés et bavardent au lieu de travailler». Et aujourd’hui, l’assertion de la difficulté d’éduquer est, de l’avis de plusieurs sociologues, récurrente car elle relève de la représentation spontanée et normative de l’éducation. Pour traiter cette problématique, il faut relativiser ces affirmations et se poser les questions suivantes : savoir si la difficulté de l’éducation est une réalité ou alors une simple différence de perception. Et savoir si les enfants d’aujourd’hui sont réellement différents de ceux d’hier.

Selon Waffa Hajjani, «chaque époque crée la génération dont elle a besoin, donc une génération précise. Ce qui donne l’impression que les enfants sont différents au fil des générations et du temps». Une impression qui explique, avance Ahmed Al Motamassik, sociologue, que «notre génération était, parfois, taxée par nos aînés d’être mal éduquée et dévoyée par l’école. Chaque génération donc taxe la nouvelle de ne pas avoir une bonne éducation». Comment expliquer donc «cette impression» ?

Pour les sociologues, deux facteurs explicatifs peuvent être retenus pour démêler cette problématique : d’une part, la conception que se font les parents de l’éducation, et, d’autre part, l’influence de l’environnement de l’enfant.

Concernant le premier point, il importe de souligner que la conception de l’éducation porte quasi automatiquement le sceau des parents et de leur histoire. En effet, affirme Mme Hajjani, «l’histoire des parents porte des blessures, des frustrations qu’ils refusent de reproduire dans leur modèle d’éducation». De ce fait, ils imposent des règles, des valeurs et des référentiels d’éducation différents de ceux qu’ils ont reçus. Globalement, cette éducation est plus souple et plus laxiste que celle qu’ils ont eue. Toutefois, malgré l’ouverture d’esprit et l’écoute dont les parents font preuve, ils n’arrivent pas à asseoir, et on le constate quotidiennement, leur autorité parentale. Une incapacité dont témoigne un directeur de collège public à Casablanca qui souhaite garder l’anonymat: «Très souvent dans notre établissement, durant chaque année scolaire, lorsque les enseignants ou les agents de l’administration ont un problème ou un incident avec les élèves, nous convoquons les parents qui, dans la majorité des cas, avouent ne pas arriver à maîtriser leurs enfants et que c’est à l’école de régler le problème et de faire son travail». Khadija Bounaala, directrice d’une école primaire à El Bernoussi, abonde dans le même sens pour affirmer qu’«entre les familles et l’établissement scolaire, les relations ne sont pas toujours faciles. Souvent, les parents viennent contester certaines décisions disciplinaires, bien que motivées, prises à l’encontre de leurs enfants. Et souvent, ils le font en présence de leurs enfants ; ce qui ôte toute crédibilité à la direction de l’établissement scolaire, aux enseignants ainsi qu’à l’encadrant. Comment alors l’école peut-elle encore assurer sa mission éducative ?».

La difficulté des parents à asseoir leur autorité parentale est due, selon Mme Hajjani, au fait qu’«aujourd’hui les enfants s’imposent davantage car la peur n’étant plus un levier de l’éducation, les enfants discutent les consignes et les règles émanant aussi bien des parents que des enseignants. D’où les confrontations et les conflits avec les éducateurs et dans le milieu familial».

«On peut parler d’une rupture du contrat de confiance entre l’école et les parents…»

Ce qui fait dire à Ahmed Al Motamassik qu’«il est temps de promouvoir une éducation innovante qui s’adapte aux exigences de notre temps et vise l’épanouissement et le bien-être de l’enfant en lui épargnant les souffrances qui ont un impact négatif sur son développement». On peut dire également avance Mme Hajjani, que «l’école d’aujourd’hui n’est plus adaptée aussi bien au niveau pédagogique, organisation des horaires, exigences et besoins de l’enfant. De nos jours, l’école et la scolarisation de l’enfant commencent très tôt, en moyenne vers deux ans, alors qu’il y a cinquante ans, l’enfant était scolarisé à 7 ans. Donc, il avait plus de temps pour jouer, pour s’épanouir en dehors de toutes contraintes dans un cadre fermé…». Cette coach et professeure en leadership, soft skills et développement personnel affirme, sur la base de son activité, que la scolarisation à un jeune âge ainsi que les contraintes et les exigences aussi bien des parents et des enseignants constituent une forte pression sur les enfants et sont à l’origine de leurs comportements violents, inciviques et violents en milieu scolaire et dans la rue.

L’interaction entre les parents et l’établissement scolaire semble de plus en plus difficile. Pour Zghari Nabila, mère de deux enfants scolarisés dans une école privée, «je suis de près le travail de mes filles et je me rends régulièrement, soit une fois par mois, chez les professeurs dont certains me reprochent le suivi et ils m’ont même demandé une fois de ne venir que si l’établissement me le demande ! Sachant que l’une de mes filles avait des problèmes et des résultats irréguliers ! Comment peut-on demander à des parents de ne pas assurer le suivi des résultats?! De plus, le directeur de l’école était du même avis !». Un témoignage qui atteste, selon Mme Hajjani, que «l’on peut parler de la rupture du contrat de confiance liant les parents et l’école !».

Les enfants sont donc ballottés entre les établissements scolaires vivant au rythme de scènes de violence et les familles exigeant d’excellents résultats. D’où leurs réactions violentes et irrespectueuses envers les parents et les enseignants dénonçant, à leur manière, les pressions émanant des deux parties. Poussant plus loin la réflexion, Waffa Hajjani estime que «les jeunes actuellement n’accordent plus de crédit à l’école pour leur assurer un avenir». Par ailleurs, ils s’insurgent également contre les exigences et les pressions des parents qui souhaitent les voir intégrer des écoles prestigieuses et avoir des carrières dans des domaines choisis par les parents. On peut donc s’interroger sur le respect de l’enfant, du jeune et de ses aspirations.

Inconsciemment, les parents mettent la pression sur les enfants en vue d’accomplir ce qu’ils désirent et selon leur perception de la bonne réussite. Souvent, ils transfèrent sur leur descendance leurs échecs et leur désir de réussite. Les enfants s’imposant de plus en plus, il est de plus en plus difficile pour les parents d’asseoir leur autorité…

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