Société
Drogue : coke et héroïne, le nouveau danger au Maroc
Malgré les saisies régulières, les Marocains continuent de s’approvisionner et 4,6% de la population s’adonnent à la drogue.
Le cannabis arrive en tête pour la consommation, avec 500 000 usagers.
Ce produit génère 13 milliards de dollars pour les trafiquants en Europe, seulement 300 millions de dollars pour 800 000 paysans dans le Rif.
Il ne se passe pas un jour sans que les brigades chargées de la lutte contre les stupéfiants ne saisissent des quantités de drogue à travers tout le pays, surtout aux frontières. Parmi les dernières saisies importantes, celle qui a été opérée à la fin du mois d’octobre 2008, quand sept tonnes de résine de cannabis ont été saisies dans un entrepôt à Aït Melloul, commune relevant de la province d’Inezgane-Aït Melloul. La marchandise était destinée à l’exportation vers l’Europe via le port d’Agadir. Une quinzaine de jours plus tard, le 8 novembre, la brigade antidrogue de la Police judiciaire de Casablanca a, quant à elle, mis la main, dans un entrepôt de la région de Mohammédia, sur deux tonnes et demie de chira (résine de cannabis) réparties dans 618 boîtes de confiture. Le receleur de cette quantité de cannabis serait un ressortissant espagnol qui s’apprêtait à l’écouler en Espagne via le port de Casablanca.
88, 44 tonnes de résine de cannabis ont été saisies depuis janvier 2008, selon la division antidrogue de la direction de la migration et de la surveillance des frontières (DMSF), auxquelles il faut ajouter ces 9 tonnes et demie interceptées en l’espace de 15 jours. La même source fait état de saisies d’autres drogues, durant l’année 2008 (jusqu’au mois d’octobre).
Si la résine de cannabis arrive en tête des saisies, avec, comme on l’a vu, 88,44 tonnes, la cocaïne suit, avec 25 kg, puis l’héroïne, avec 5 931 grammes et les psychotropes, avec 35 673 unités.
Ces quantités, si l’on en croit les statistiques de la DMSF, sont moins importantes (en dehors de l’héroïne, dont 1 906 grammes avaient été saisis en 2007) qu’en 2007. La baisse des saisies a donc touché la chira, la cocaïne et les psychotropes, dont on avait saisi respectivement 117,706 tonnes, 250 kg et 55 243 unités en 2007.
Comment expliquer une telle baisse? Pour la cocaïne, les réseaux de l’Amérique latine (Colombie principalement), principale pourvoyeuse de drogues dures, se seraient, selon Khalid Zerouali, gouverneur, directeur de la DMSF, «rabattus sur les côtes africaines au sud du Maroc, délaissant les frontières marocaines, notamment les aéroports, devenus trop risqués. Quant au cannabis, si les quantités interceptées sont plus faibles, c’est parce la production a elle-même baissé en raison de la réduction des superficies cultivées. On est loin en tout cas des 134 000 hectares recensés en 2003.» M. Zerouali fait allusion ici aux résultats de la première enquête menée cette année-là par l’Office des Nations Unies contre la drogue et la criminalité (ONUDC), en partenariat avec les autorités marocaines, et qui avait évalué les superficies consacrées à la culture du kif dans le Rif ainsi que le chiffre d’affaires généré par sa commercialisation. Notons que, selon une déclaration du ministère de l’intérieur en date du 12 novembre 2008, les superficies sont passées de 134 000 ha en 2003 à 60 000 ha cette année, soit une baisse de 55%.
Plus de 80% des jeunes en prison le sont pour des délits ou crimes liés à la drogue
Dans tous les cas, les saisies n’empêchent pas le consommateur marocain de s’approvisionner en stupéfiants, toutes catégories confondues. Il est courant au Maroc de voir des jeunes (et moins jeunes !) «rouler des joints», au vu et au su de tous, tant le phénomène est banalisé. Devant les lycées et autres établissements scolaires, des dealers proposent régulièrement et très naturellement leurs produits, et, dans les quartiers populaires, la consommation de psychotropes fait des ravages. «40% des jeunes de 12 à 35 ans ont déjà consommé des psychotropes (karkoubi)», selon les témoignages recueillis auprès de plusieurs associations luttant contre la consommation de drogue, à Casablanca.
Cocaïne et héroïne transitent par le Maroc où leur usage se propage
Autre chiffre alarmant : «Plus de 80% des jeunes aujourd’hui derrière les barreaux ont été arrêtés soit pour consommation de drogue, soit pour des délits ou crimes commis sous l’emprise de la drogue», selon les rapports établis par l’Observatoire marocain des prisons (OMP). Et le phénomène, loin de baisser, va au contraire en s’aggravant, si l’on croit les différentes enquêtes du ministère de la santé, dont celle, nationale, menée en 2007 sur les ménages, pour connaître le type de toxicomanie prédominant au Maroc.
Celle-ci avait révélé que 4,6% de la population s’adonne à la drogue et que 500 000 Marocains consomment du cannabis. «Et ces chiffres sont en deçà de la réalité. Il est temps que les responsables marocains qualifient la consommation de drogue de problème de santé publique. On a assez parlé du cannabis et de la cocaïne qui circulent, il est temps désormais de prendre des mesures pour arrêter les dégâts», martèle le Pr Jalal Toufiq, psychiatre, médecin-chef de l’hôpital Ar-Razi de Salé et directeur du Centre national de prévention et de recherche en toxicomanie.
Traditionnellement, la drogue la plus consommée au Maroc est le cannabis, et pour cause : le Maroc, serait, selon les Nations Unies, le premier producteur et exportateur de haschich dans le monde, des dizaines de milliers d’hectares continuent d’en être plantés dans le Rif, en dépit de la stratégie nationale antidrogue décrétée par les pouvoirs publics à partir de 2005. Si le cannabis est incriminé, il n’est pas le seul produit largement consommé.
Selon les auteurs de la stratégie antidrogue, qui se réfèrent aux trois enquêtes sur le cannabis effectuées, en partenariat avec l’ONUDC, en 2003, 2004 et 2005, «certaines drogues importées telles que la cocaïne, l’héroïne et certaines amphétamines commencent à se répandre parmi la population marocaine. En effet, si le Maroc continue aujourd’hui d’être un pays de transit pour ces drogues, leur consommation sur place risque de se développer si des mesures fortes et coordonnées de contrôle et de répression ne sont pas immédiatement mises en œuvre.»
Cependant, comparée à celle du cannabis, la consommation de cocaïne et d’héroïne est quantitativement inférieure, ne serait-ce qu’en raison de leur coût prohibitif: entre 600 et 1 300 dirhams le gramme pour la «coke» (cocaïne), et aux environs de 400 DH pour la «blanche» (héroïne), alors qu’une boulette de résine, suffisante pour plusieurs joints, ne coûte pas plus de 30 DH.
On oublie que le tabac est la première drogue licite
En terme de dangerosité et de nombre de consommateurs, l’enquête nationale a classé le tabac comme première drogue «licite». Mais il ne faut pas oublier les drogues «illicites», qui comprennent de nombreux produits : le cannabis, l’alcool, les psychotropes, la cocaïne, les solvants, l’héroïne, puis les autres produits comme l’ecstasy.
Concernant les circuits et la distribution, soulignons que, pour le cannabis, production marocaine par excellence, seule une partie infime est consommée sur place, l’essentiel (80% de la production) étant écoulé vers l’Europe, alors que les autres produits illicites empruntent le chemin inverse : arrivés par Sebta et Mellilia, ils sont dirigés vers les autres régions du pays (Casablanca, Rabat, Tanger, Marrakech…). Quant aux flux financiers générés par le cannabis, ils profitent davantage aux trafiquants en Europe qu’au cultivateur du Rif. Alors que ces flux se chiffrent en Europe, selon l’enquête susmentionnée de l’ONUDC, à 13 milliards de dollars annuellement, les revenus des agriculteurs locaux (quelque 96 600 familles, soit 800 000 personnes) n’ont pas dépassé, pour une production qui se chiffre à 3 000 tonnes, 300 millions de dollars, soit 3 600 dollars par habitant et par an. Ce qui fait dire à un économiste, en guise de boutade : «Si un jour on devait légaliser le commerce du cannabis, le Maroc serait gagnant sur tous les plans : une manne de devises supplémentaires, des touristes qui arriveraient par millions, des paysans qui profiteraient de leur culture au lieu que le bénéfice en revienne à des trafiquants cupides, sans foi ni loi.»
Légaliser le commerce et donc la culture du cannabis? Une vraie question qui a fait couler beaucoup d’encre, et un sujet délicat. Le Maroc n’a jamais été aussi pressé par la communauté internationale de se conformer aux recommandations des Nations Unies et de leurs organes spécialisés en matière de lutte contre la drogue.
La stratégie nationale antidrogue voulait s’inscrire dans cette logique, et le gouvernement marocain s’était engagé à réduire les superficies cultivées en cannabis : 15 160 hectares ont été détruits dans trois provinces (Larache, Taounate et Chefchaouen) en 2005. Mais les 800 000 Rifains qui vivent de la culture du kif ne veulent pas lâcher la proie pour l’ombre, et attendent un soutien. Bien que la rentabilité du cannabis soit plus élevée (12 à 18 fois) celle des céréales et légumineuses, les agriculteurs se sont déclarés favorables à des cultures de substitution, mais à une condition : que des facilités leur soient accordées en terme de subventions, d’assistance et d’encadrement.