Société
Course de chevaux sur golf : quand le Maroc d’en haut côtoie celui du bas
Au Royal golf d’Anfa, chaque vendredi après-midi, sont organisées des courses de chevaux et les parieurs affluent. Pour quelques heures, parieurs de la classe ouvrière et vendeurs de victuailles envahissent le quartier d’Anfa, les habitants voient cette intrusion d’un mauvais Å“il.
Dans le quartier chic d’Anfa, surplombant la Corniche, le Royal golf d’Anfa est fréquenté par les riches casablancais férus de pars, de birdies et de tees. L’espace est plaisant, avec un restaurant, une belle piscine, un sauna et un club-house avec salle de bridge. La verte colline d’Anfa s’y prête allégrement et une bonne partie de la clientèle vient de ce quartier qualifié à juste titre d’ailleurs de «Beverly Hills casablancais». Caddies, club-house, possibilité de suivre des leçons de golf, de louer des clubs, putting green (zone d’herbe tondue ras), le Royal golf est un havre de paix pour les amoureux de ce sport de «nantis».
Mais, le golf d’Anfa sert également de champ de courses… pour chevaux. Autour de ce magnifique par 35 de 2 710 mètres (la végétation est assez dense sur le parcours), se dresse une piste qui sert d’hippodrome tous les vendredis après-midi. Depuis des années, le Royal golf d’Anfa accueille les courses de chevaux les plus prestigieuses du Royaume.
D’ailleurs, en mai dernier, la Société royale d’encouragement du cheval (Sorec), en collaboration avec l’Association royale marocaine des éleveurs de chevaux pur-sang arabes et la Société des courses hippiques de Casablanca, a organisé une journée de gala avec des prix de grande valeur (6,5 millions de DH au total). Y a participé l’élite du pur-sang arabe. Des chevaux venus des quatre coins du globe. De talentueux jockeys étaient de la fête, comme les Sud-américains Jayro Rondon et Roberto Perez, ainsi que le Français Thierry Thulliez, habitué à monter les chevaux dans les meilleures courses en France, et donc très connu des parieurs marocains. Un mois plus tard, le même terrain a accueilli le must des chevaux pur-sang anglais nés et élevés au Maroc, pour le grand prix Mohammed VI, remporté par «Skylor», un cheval dont le propriétaire est le Dr Azzedine Sedrati.
Leeroy de Chaillac, l’étalon dont la descendance est très prisée
Les ventes aux enchères sont fréquentes. Sedrati, mais aussi Zakaria Hakam, Sharif et Abdelouahed Alami ainsi que le Haras royal proposent régulièrement des chevaux à la vente. «Ce sont bien sûr les chevaux du Haras royal qui ont la cote. Il fait toujours bon ton d’acheter des chevaux de ce domaine. Une fois, une pouliche du Haras a été acquise 240 000 DH alors qu’elle était toujours mal classée», explique Claude, un vieil habitué des courses nationales et lui-même éleveur. La vente d’aujourd’hui est marquée par le sceau de Leeroy de Chaillac, l’étalon de référence au Maroc, et qui a produit des chevaux de classe. Toutes les juments qui sont pleines de lui, ainsi que les poulains dont le père est Leeroy, trouvent acheteurs à des prix respectables pouvant atteindre les 80 000 DH. «Vous allez voir : la litanie de cette vente, c’est lui, Leeroy de Chaillac. Les juments qui sont pleines de lui ne valent que par le poulain qu’elles portent», ajoute Claude. Dans cet univers de connaisseurs, le jargon utilisé n’est pas à la portée de tout le monde. On parle de breeding (reproduction, croisement), d’ancêtres et d’ascendants, de jument de réserve, de bagarre d’étalon… Des ventes, il y en aura tant que le nom de Leeroy de Chaillac est évoqué. A Anfa, les courses de chevaux ramènent une catégorie particulière, celle des parieurs. Elle n’a certainement rien à voir avec celle des golfeurs. Le Royal golf devient, l’espace de l’après-midi du vendredi, l’hippodrome d’Anfa. Huit courses sont au programme. Les parieurs peuvent placer des paris sur toutes les courses en misant sur un cheval, gagnant ou placé (faisant partie des trois premiers), deux chevaux jumelés (deux chevaux faisant partie des trois à l’arrivée). Le clou de la journée, c’est la course qui sert de support au quarté national : une combinaison de quatre chevaux avec des mutuelles pour la bonne combinaison en ordre et en désordre. A quelques mètres du restaurant chic où les propriétaires de chevaux paradent, munis de leurs jumelles, et où les golfeurs et leurs familles préfèrent passer un moment sympathique à la piscine, les accros des courses hippiques, hagards, le programme de la journée à la main, parient sur les chevaux à la gagne et à la place. On retrouve, parmi les parieurs, de la main-d’œuvre casablancaise et des parieurs venus d’El Jadida, Settat ou Rabat, bref, des habitués des courses marocaines.
Le rituel est le même pour toutes les courses : une fois les guichets fermés, les parieurs se précipitent vers les gradins afin de suivre la course en direct. Et comme d’habitude, la fin de la course est synonyme de déception pour la majorité de l’assistance et de joie pour les quelques chanceux qui ont misé sur le bon cheval. Quand on a un petit creux, on peut s’acheter sur place son sandwich à la viande hachée ou au fameux «swassisso»â€ˆ(saucisses) à 10 DH.
Les habitants du quartier déplorent la nuisance occasionnée par les courses de chevaux
Cette «mixité» entre le Maroc d’en haut et ce Maroc d’en «bas» qui envahit les lieux chaque vendredi après-midi n’est pas du goût de tout le monde. En témoignent les plaintes déposées par les riverains du quartier qui déplorent «la nuisance occasionnée par les courses de chevaux du vendredi». On se plaint en premier lieu du flux de camionnettes remplies de chevaux et qui stationnent aux abords de l’hippodrome. «On avait essayé de programmer les courses le dimanche. Ce qui aurait permis d’avoir une plus grande affluence et aurait valorisé un peu plus la filière des courses à Casablanca. Mais, nous avons dû abdiquer devant le refus des administrateurs du Golf», nous a confié un éleveur rencontré sur place. L’avenir des courses marocaines ne semble toutefois pas être en danger. La Sorec a fait un geste en doublant le montant des allocations pour les courses mettant aux prises les chevaux pur-sang anglais. Autre signe qui ne trompe pas : les propriétaires marocains recrutent parmi les fleurons des entraîneurs français. A l’image de Jean de Roualle, ex-collaborateur du légendaire François Boutin, multiple lauréat des groupes I en France et qui travaille depuis mai dernier pour le compte de la famille El Alami. «La famille El Alami, le père et son fils Charif, de plus en plus impliqués et identifiés dans le monde des courses à l’international, ont une vision à long terme. Ils ont anticipé sur la rénovation de Rabat, qui suggère la délocalisation des chevaux qui y étaient entraînés – dont les leurs -, et se sont lancés dans la création de leur centre privé à Jalobey Stud à trente kilomètres de Rabat. Thami Cherkaoui, qui était leur entraîneur, devient racing manager. Tout cela s’inscrit dans le contexte conquérant et volontariste que se fixe la famille El Alami, qui a des vues à l’international», avait-il alors déclaré. En tout et pour tout, le Maroc compte aujourd’hui 326 propriétaires, 194 jockeys professionnels, 32 entraîneurs professionnels, 254 éleveurs de chevaux de course. La filière courses, c’est une multitude de métiers, des éleveurs, des entraîneurs, en passant par les dresseurs, les lads, les jockeys ainsi que les maréchaux-ferrants.
La filière cheval, ce sont 3 000 emplois directs et 5 000 indirects et représente 0,5% du PIB national. Les courses au Maroc, c’est une affaire de la Sorec, une entreprise publique sous tutelle du ministère de l’agriculture et de la pêche maritime. Tout a commencé en 1914 et le premier dahir réglementant l’autorisation des courses publiques de chevaux au Royaume. Six ans plus tard, un autre dahir établit le Comité consultatif des courses au Maroc, l’organe officiel chargé d’assurer la liaison entre les différentes sociétés de courses et l’administration. Ce n’est qu’en mai 2003 que la Société royale d’encouragement du cheval a été instituée. Les activités hippiques lui ont été transférées en 2007. Organisation de courses de chevaux sur des hippodromes modernes et gestion des paris hippiques, telles sont les missions principales de la Sorec. Chaque année, 1 685 courses régionales et codifiées avec une moyenne de 10 partants par course sont organisées au Maroc. «En permettant une sélection génétique basée sur les performances sportives des chevaux, ces courses jouent le rôle de levier indispensable pour hisser l’ensemble de la filière équine vers le haut. Les courses de chevaux avec leur dimension sportive ont en effet un impact direct sur la diversification des races chevalines et l’amélioration de leur patrimoine génétique au Maroc. C’est la seule manière de faire en sorte que l’élevage des chevaux demeure une tradition au Maroc», nous confie une source de la Sorec. C’est le cas de la race barbe et arabe-barbe, fréquemment utilisés dans la fantasia, la plus importante au Maroc avec une population avoisinant les 130 000. Une race qui ne peut survivre que grâce aux subventions, ne pouvant concurrencer le pur-sang anglais, un cheval de course par excellence ou encore le pur-sang arabe, rapide et résistant. Des chevaux arabes ou anglais faisant la joie ou le désespoir des nombreux turfistes qui affluent chaque vendredi après-midi au Golf-hippodrome d’Anfa…