Société
Communes rurales au Maroc : des élues sans pouvoir, de simples figurantes…
Après l’Oriental et la province d’Azilal, la Fondation Ytto s’est déplacée à Midelt pour un troisième round de formation des conseillères communales rurales.
Analphabètes ou diplômées chômeurs, ces élues débutent tout d’abord dans l’associatif.

Midelt, 24 novembre 2012. Venues de tous les villages de la province, une trentaine de conseillères communales sont réunies pour deux jours de formation. Les ateliers ont porté sur différents sujets : de la définition d’un parti politique au quota, en passant par la participation de la femme dans la vie politique, la gestion de la commune ou encore les techniques du plaidoyer. Le but de ces ateliers, c’est aussi de faire rencontrer pendant deux jours ces femmes élues afin d’échanger leurs expériences. Cette formation ne pouvait pas mieux tomber pour ces conseillères. Depuis qu’elles ont été élues en 2009 lors des dernières élections communales, elles ont eu le temps de mesurer le fossé entre le principe, c’est-à-dire la participation féminine dans la vie politique, et la réalité. Vite, les langues se sont déliées, rendant compte de la gestion des affaires locales dans les régions enclavées du pays.
Le premier problème des femmes élues du monde rural se résume en un mot : la légitimité. «Les conseillères du monde rural sont aliénées par le reste des membres du conseil parce qu’elles n’ont pas été élues directement et qu’elles faisaient partie de la liste complémentaire. Une élue m’avait confié qu’elle avait l’impression que le président était le patron de la commune et qu’il décidait de tout, y compris de son propre comportement. Elle ne savait même pas si elle avait le droit de prendre la parole au cours d’une réunion. Elle était de fait soumise aux ordres du président», explique Mme Ikhich, présidente de l’Association Ytto, initiatrice des ateliers de formation. Pour la majorité, les femmes, lors des différentes élections, passent par la liste complémentaire.
Le grand désenchantement
Grâce au système de quota qui a prévu 12% des sièges pour les femmes, 3 406 femmes ont été élues conseillères aux élections communales, organisées en juin 2009, alors qu’en 2003 elles occupaient seulement 127 sièges. Exercent-elles pour autant leurs prérogatives d’élues ?
Aziza Bahbah, élue de la commune rurale de Nzala, s’est rendu compte qu’elle ne servait à rien ou presque. «Les hommes font ce qu’ils veulent. Même si je propose un projet, ils refusent systématiquement ou lancent un “inch Allah”, synonyme d’un déni déguisé. Ils n’ont besoin de moi que pour faire passer les différents budgets», explique-t-elle. Aziza souffre de cette marginalisation et les femmes du douar la lui font sentir, elle qui est censée représenter leurs intérêts au conseil. «J’ai honte pour mon village. Nzala est un des rares douars du pays à ne disposer ni d’eau ni d’électricité. Et ce n’est pas faute de moyens», conclut-elle, amère. «Si les conseillères sont conscientes de leur importance dans la gestion des affaires de leur commune, elles souffrent de marginalisation du fait qu’elles sont conseillères en majorité, parce qu’elles sont proches d’un élu homme : soit sa femme, soit sa fille, soit sa cousine, mais jamais ou presque par conviction politique. Plusieurs conseillères sont membres d’un parti politique sans connaître ni son programme ni même son local», explique Mustapha Karmoune, membre d’Ytto.
Hayat Oujeddi, élue de la commune rurale de Rich, est dans ce cas de figure. «On ne m’a jamais fait comprendre l’idéologie de mon parti, ni ses objectifs. Pour moi, le parti, c’est une veste donnée à chacune d’entre nous et qui sert juste en temps d’élections», lance-t-elle. Cette diplômée chômeuse a fait le pari de s’investir dans la politique afin d’apporter quelque chose aux habitants de sa commune. «J’avais une certaine idée de la politique. Je voulais participer au développement, au progrès et au bien-être de ceux qui m’ont élue. En pilotant des projets de développement économique et social, en allégeant la souffrance des habitants…», précise-t-elle. Avant d’ajouter : «Je voulais consacrer mon temps pour me mettre au service de la commune, mais j’ai très vite réalisé que plusieurs membres du conseil ne cherchaient que leur intérêt personnel».
Intérêt personnel : ces deux mots revenaient souvent dans les témoignages des élues. Rkiya Tamer, conseillère de la commune de Zayda, ne compte plus se présenter aux élections communales à cause de cet «intérêt personnel» qui domine au sein du conseil de sa commune. «Après avoir pris ma retraite, je me suis présentée aux élections de 2009 pour apporter un plus au village. Je me suis retrouvée face à des élus qui me demandaient de signer des budgets douteux. En plus, ils s’offusquaient si je refusais d’obtempérer», explique-t-elle.
Et la concordance des réponses se poursuit avec Najat Jebbar, infirmière de profession et élue de la commune de Rich, qui affirme avoir toujours été militante, «du moins dans l’hôpital afin de servir dans les meilleures conditions possibles les malades». Elle a été attirée par la politique en suivant les retransmissions télévisées des activités parlementaires et voulait participer à la gestion locale des affaires de Rich. «J’ai été élue et je faisais partie de la majorité du conseil. On me demandait de ne pas poser trop de questions même quand je voyais qu’on essayait de me convaincre de décisions louches quand il est question de fonds publics. J’ai alors décidé de passer dans l’opposition afin d’avoir les coudées franches», raconte-t-elle, un peu déçue.
Elues par filiation…
S’opposer aux décisions du président du Conseil communal, surtout dans les campagnes, peut avoir des conséquences fâcheuses pour la concernée. «Nous avons recueilli des témoignages de conseillères mariées qui ont été menacées de divorce par leurs époux si elles s’opposaient aux décisions du président. Autre problème propre au monde rural : les conseillers hommes tiennent des réunions en dehors de l’horaire administratif et tardivement la nuit dans un café par exemple ou à l’occasion de la tenue du souk hebdomadaire. Ce qui exclut automatiquement les conseillères dans la participation à la prise de décision», explique Najat Ikhich.
Quand l’élue provient d’une famille qui a déjà dirigé la commune, la donne change sensiblement. Meriem Benaïssa est élue de la commune rurale d’Amerside. Elle a toujours baigné dans la politique. Son père était lui-même président du Conseil rural d’Amerside. «Ce genre de critère joue un rôle important dans les élections, surtout à la campagne. Les gens ne donnent pas leurs voix pour une personne, mais pour une famille», explique Meriem, qui est aussi à la tête d’une association locale. «Les habitants votent de plus en plus pour les femmes parce que les hommes ne font rien ou alors bossent pour leur propre compte. Nous, on est à l’écoute de la communauté, on fait preuve de bonne foi», ajoute-t-elle. Meriem fait partie de ces rares conseillères qui ont imposé leur vision au conseil. Elle a programmé la construction de deux barrages, d’une piste, de fontaines…
Elue de la commune d’Itzert, située à 40 km de Midelt, Halima Kassimi est dans la même situation. Elle représente l’image même d’une femme qui s’est imposée par la force du caractère. Son parcours scolaire ne va pas au-delà de l’école primaire, mais son père lui a ouvert les yeux sur la politique. «J’ai tout d’abord fait mon chemin dans l’artisanat en créant ma propre coopérative du tapis de l’Atlas. J’ai participé à bon nombre de salons. Cela m’a ouvert les yeux», se souvient-elle encore. Elle grandit dans un univers d’hommes où une femme ne trouve même pas le courage d’aller chercher elle-même un document dans une administration. Elle se lance alors dans la politique afin de faire entendre la voix des femmes et choisit de militer dans le même parti que son père. «Mon père est mort quand j’avais 17 ans, mais il m’a légué un précieux trésor, celui de toujours me battre pour mes droits. Dans les années 90, les élus faisaient leurs réunions à huis clos. Je me suis bagarré pour que ces réunions se fassent en public pour que l’on sache où va l’argent de la commune», raconte-t-elle, enthousiaste. En 2009, elle se présente aux élections communales et gagne un maximum de voix. «Ils savaient qu’ils ne pouvaient pas me bluffer. Durant mon mandat, on a réussi à construire un dispensaire et un complexe artisanal. On a ramené l’eau potable aux douars et on a créé des projets générateurs de revenus pour les plus pauvres de la commune», ajoute-t-elle, non sans fierté.
Si la participation politique de la femme dans la gestion des affaires locales est encore timide, surtout dans le milieu rural, tout le monde s’accorde à la voir prendre de l’ampleur dans les années à venir. «Les élues femmes sont moins corrompues que les hommes et plus sensibles aux problèmes des femmes et des enfants. Elles vivent le quotidien et le calvaire des femmes. Une femme élue, quand on lui parle de maternité, de scolarisation de la petite fille ou de l’importance d’une simple fontaine, elle sait ce que cela implique pour la vie de la communauté et elle est plus apte à défendre ces projets», conclut Najat Ikhich.
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