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Société

CNDH : On assiste à  l’émergence de l’individu comme entité autonome

Questions à  : Driss El Yazami, Président du CNDH.

Publié le

Driss Yazami 2011 12 22

La Vie éco : Sur papier, le CNDH semble plus autonome, avec plus de prérogatives. Qu’en est-il de la réalité ?

Driss El Yazami : C’est le travail que nous sommes en train de faire qui va montrer le degré de cette autonomie et de l’exercice des prérogatives dont dispose le conseil. Nos prérogatives sont, certes, maintenant plus larges, mais il faudra attendre le rapport annuel que nous allons présenter au Parlement pour savoir si nous avons fait usage de ces prérogatives ou pas. Je vous signale que la quasi-totalité des institutions des droits de l’homme à travers le monde n’a pas autant de prérogatives que nous. La Commission nationale consultative des droits de l’Homme de France, l’une des plus anciennes, n’a pas de pouvoirs aussi importants que ceux que nous avons. Allons-nous mettre en œuvre toutes ces prérogatives ou pas ? C’est la question que l’on doit se poser.

Le CNDH ne s’inscrit-il pas dans le sillage du printemps arabe ?

Ce qui est sûr c’est que le Maroc partage avec nombre de ces pays arabes de la région, sujet à des mouvements sociaux, les mêmes mutations. La première est d’ordre sociodémographique : 51% de Marocains ont moins de 25 ans ; des femmes bénéficiant de la relative démocratisation du système éducatif revendiquent leur part de responsabilité et plus d’égalité. Et puis, comme ces pays arabes, le Maroc connaît un décollage culturel et éducatif certain, par-delà la crise de son système d’éducation et de formation. Résultat: on assiste à l’émergence de l’individu comme entité autonome et indépendante, qui prend ses décisions sans se référer aux allégeances traditionnelles. On a trop insisté sur le rôle des réseaux sociaux, mais c’est l’individu en fait qui est derrière ces derniers. Cette autonomie et cette indépendance de l’individu sont la base de toute modernité.

Il n’empêche que le printemps arabe et le mouvement du 20 Février ont été pour quelque chose dans la création d’un CNDH aux réels pouvoirs…

A l’évidence, il y a une accélération du processus des réformes que connaît le Maroc,  mais ces dernières étaient déjà entamées bien avant le printemps arabe. Rappelons les faits : le 21 février il y a eu l’installation du Conseil économique et social, sauf que la préparation de cette instance ne date pas de ce jour, mais bien avant. Le statut du CNDH n’a pas été préparé en un clin d’œil juste avec le mouvement du 20 Février, mais un an auparavant par le président du CCDH et son secrétaire général. De toute façon, le mandat des membres du CCDH était échu en décembre 2010. La réforme du statut du Conseil de la concurrence et celui de l’ICPC ne datent pas non plus du mouvement du 20 Février. Leurs présidents avaient demandé en 2010 déjà, l’extension de leurs prérogatives. On ne peut donc comparer la situation du Maroc à celle de ces pays arabes. La réforme du code de la famille au Maroc date de 2004, c’est la plus grande réforme dans le monde arabe depuis celle de Bourguiba. En Tunisie, s’est tenu le 10 décembre dernier le premier séminaire sur la justice transitionnelle, le Maroc a connu ce processus depuis 2003. Nos réformes se font tout en respectant le droit à la vie.

Vous parlez justement du droit à la vie, quid de la peine de mort ? Quelle est la position du conseil ?

Notre position est claire : nous sommes abolitionnistes. Nous avons soutenu d’ailleurs la tenue au Maroc de l’assemblée générale de la Coalition internationale contre la peine de mort, où j’ai clairement exposé cette position. Et le CNDH soutient, même financièrement, la Coalition marocaine pour l’abolition de la peine de mort. Mais, hier comme aujourd’hui, il y a un gouvernement et il y a un Parlement, c’est à eux que revient la dernière décision. Il y a un mois, comme geste de notre part, nous avons rendu visite aux prisonniers de la prison centrale de Kénitra où quelque 132 condamnés à mort croupissent encore, dans l’attente de l’exécution de leur châtiment, ce qui heureusement ne s’est pas fait. Cela dit, le Maroc est un pays abolitionniste de fait, mais il faut encore aller de l’avant pour qu’il devienne abolitionniste de jure. C’est normal et c’est compréhensible qu’il y ait des résistances et une polémique sur cette question, c’est le cas dans toutes les sociétés humaines, islam ou pas. C’est une question sur laquelle il faut se pencher et discuter sereinement. Une chose est sûre : abolir ou maintenir la peine de mort n’a aucun effet sur le taux de criminalité. Une seule erreur judiciaire est suffisante pour l’abolir. Un autre argument : la société n’a pas à se rabaisser pour ôter la vie aux gens qui ont commis des actes, aussi abjects soient-ils.

N’avez-vous pas peur que les libertés individuelles acquises par les Marocains soient menacées par un gouvernement dirigé actuellement par le PJD ?

Sérieusement, ce n’est pas mon sentiment. Les résultats des urnes doivent être respectés, j’ai défendu cela dans tous les pays du Maghreb, et ce, depuis les années 80. Un parti à référence islamique a le droit aussi de participer au jeu démocratique et à gouverner s’il remporte les élections. Et, aujourd’hui, au Maroc, personne ne conteste que ces élections aient reflété la volonté populaire. Cela dit, je n’ai aucun indicateur qui me fait penser que le prochain gouvernement menacera une quelconque liberté. Néanmoins, quelques questions demandent un débat serein dans notre société : la peine de mort ; la liberté de conscience, qui était dans le draft de la Constitution mais qui a été enlevée. Et l’égalité homme/femme : je parle de la levée des réserves du Maroc sur toutes les discriminations à l’égard de la femme stipulée par la convention internationale. Je signale que ce sont les trois questions qui ont créé le plus de polémique dans toutes les sociétés. Elles ont divisé la France en deux durant plusieurs siècles. Car ce sont des questions qui engagent l’avenir d’une nation et d’un peuple, et il faut simplement trouver les moyens d’en parler sereinement, sans faux arguments.

Justement, comment le CNDH va-t-il y contribuer ?

Il contribuera avec les autres acteurs pour qu’il y ait, sur ces questions, un débat serein, dans le respect de tous les points de vue, avec une capacité d’écoute mutuelle. On ne tranche pas ces questions par une simple décision, de quelque organe de l’Etat qu’elle émane.
Cela dit, il y a un texte constitutionnel que les Marocains ont voté et qui a apporté des avancées réelles en matière des droits de l’homme : Un tiers des articles leur sont consacrés, et le CNDH a à participer à leur mise en œuvre, par le biais des lois organiques que le Parlement votera. Sincèrement, je n’ai pas peur que les Marocains perdent leurs droits avec ce gouvernement, au contraire. Seulement il faut associer le maximum d’acteurs (société civile, CNDH, experts nationaux, acteurs politiques, expérience internationale) à l’élaboration de ces lois organiques avant leur vote par le Parlement.