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Société

Casa : un enfant sur deux atteint d’allergie respiratoire !

Les médecins sont alarmés, de plus en plus d’enfants développent des allergies dont certaines sont alimentaires.
60% d’enfants à  rhinite allergique finissent par devenir asthmatiques.
2 millions de personnes asthmatiques au Maroc.
Principales causes des allergies respiratoires : les acariens, la pollution
de l’air, la forte urbanisation.

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Les parents sont désemparés, les médecins dubitatifs : jamais la ville de Casablanca n’a été un foyer aussi propice pour la prolifération des allergies que ces dernières années. Les cabinets des pédiatres, des spécialistes ORL (otho-rhino-laryngologistes) et les carnets de consultation des allergologues ne désemplissent pas. Un pédiatre de la place décrit à  sa manière la multiplication du nombre de malades qui se présentent chaque jour à  son cabinet. «50% des enfants qu’on amène pour consultation dans mon cabinet sont atteints d’allergies respiratoires, toutes chroniques, se manifestant par des symptômes bien connus : pharyngite, rhinite allergique, sinusite, bronchite, conjonctivite…, sans parler de l’asthme. Il y a des enfants qui développent tous ces maux à  la fois. C’est fou ce que l’on prescrit comme corticoà¯des, antiallergiques, gouttes nasales et autre Ventoline, dans la ville de Casablanca», explique-t-il. Observation partagée par le Dr Abdelkarim Chraà¯bi, spécialiste en ORL, dont le cabinet, situé au centre-ville de Casa, est ouvert depuis une vingtaine d’années. «J’exerce dans ce cabinet depuis les années 1980, confie-t-il. Au début, je ne recevais pas plus de 4 à  5 patients allergiques par mois, des allergies bénignes. Actuellement, et c’est très inquiétant, il m’arrive de recevoir 4 à  5 allergiques par jour, qui présentent des signes de chronicité évidents».

Les enfants sont les plus exposés à  l’allergie
A interroger les parents, c’est effectivement l’allergie qui revient comme un leitmotiv dans toutes les bouches, comme la maladie la plus fréquente dont souffrent leurs enfants. «Depuis dix ans, depuis qu’il avait six ans, mon fils souffre d’une rhinite allergique», se plaint une maman. «Le matin, ses éternuements n’en finissent pas. Ses écoulements nasaux et ses maux de tête perturbent énormément son travail scolaire», ajoute-t-elle, préoccupée. M. A., père d’un enfant de huit mois, victime à  tout bout de champ de bronchites, n’est pas moins préoccupé que cette maman. Il a été abasourdi lorsqu’un pédiatre a diagnostiqué chez son enfant une allergie aux protéines du lait de vache ! «Oui, c’est possible, confirme un pédiatre, certains aliments peuvent entraà®ner des allergies respiratoires, une allergie alimentaire ne se manifeste pas que par des diarrhées ou des vomissements. Depuis une dizaine d’années, on constate en effet de plus en plus d’allergies aux protéines de lait de vache, certainement dues aux conditions de fabrication et d’emballage de ce produit alimentaire.»

L’allergie, comme la décrivent les médecins, est une réaction de rejet de l’organisme à  une substance étrangère appelée allergène. Elle peut se manifester par plusieurs symptômes : rhinite, asthme, eczéma, urticaire… Les spécialistes parlent de trois principaux types d’allergies : les allergies respiratoires, qui touchent la sphère ORL et les poumons ; cutanées, qui affectent la peau, et les allergies alimentaires. Pour cette dernière catégorie, il faut faire attention, prévient le Dr Najib Lahlou, allergologue, membre titulaire de la Société française d’allergologie et immunologie cliniques. «Il y a des fausses allergies, qui s’avèrent être de simples intolérances alimentaires ou des colopathies. Les allergies alimentaires sont quelque chose de nouveau dans notre pays, à  cause du changement des habitudes alimentaires des Marocains. Mais il y a souvent une prédisposition de l’individu à  faire une allergie alimentaire.»

Les plus répandues des allergies respiratoires au Maroc, et dans le monde, sont la rhinite allergique et l’asthme. Il y a 100 millions d’asthmatiques à  travers le monde. 2,5 millions d’enfants en France, et environ 2 millions au Maroc. 40% des rhinites allergiques dans le monde évoluent en asthme, selon l’OMS, et 70% des asthmatiques ont une rhinite allergique. Un tiers des enfants souffrent ou ont souffert d’asthme. Deux fois plus d’asthmatiques en dix ans en France, en particulier chez les enfants. Trois asthmatiques sur dix sont des enfants. Un enfant sur deux à  Casablanca est atteint d’une allergie respiratoire.

Les causes d’une allergie respiratoire ? Pour la rhinite et, surtout, pour l’asthme, outre une prédisposition familiale (hérédité), la cause la plus fréquente chez les enfants et les jeunes de moins de 18 ans, ce sont les acariens. Ils sont responsables à  70% dans la survenue de cette maladie. Viennent ensuite les pollens et les poils d’animaux, avec 20 à  25%. D’autres facteurs sont aussi incriminés : en tête, la pollution, le manque d’espaces verts et l’urbanisation effrénée. La plupart des quartiers de Casablanca, naguère zones villas (Gauthier, Zerktouni, 2 Mars, Aà¯n Sebaâ, Racine, Bourgogne…) ont en effet cédé la place à  des immeubles hauts de plusieurs étages, et à  des rues de plus en plus étroites o๠l’air ne circule plus comme auparavant. Les appartements, se plaignent les médecins, sont mal conçus, mal aérés et mal ensoleillés. L’hiver, on y tremble de froid, alors qu’à  l’extérieur, la température est plus clémente. Résultat : des maisons très humides o๠les acariens, cause directe de la rhinite et de l’asthme, trouvent un terrain de prédilection dans les matelas, les tapis, les moquettes et les peluches… Le Dr Lahlou explique qu’«une allergie cutanée, comme l’eczéma atopique, est un signe précurseur de l’asthme chez un enfant. Et tout cas, et, souvent, elle entraà®ne aussi une allergie respiratoire».

L’éviction est le meilleur remède contre l’allergie
Autre fait incontestable à  l’origine du développement des allergies à  Casablanca : l’air très pollué que respirent les Casablancais. Facile à  comprendre : le Grand Casablanca abrite de grandes unités industrielles, avec leur lot d’émanations de poussières, de gaz polluants et de gaz à  effets de serre. Si on ajoute à  cela le fait que cette région compte, à  elle seule, 36% du parc national d’automobiles, soit quelque 600 000 unités, un millier d’autobus et quelque 15 000 taxis (petits et grands), on imagine les conséquences dévastatrices sur la santé des populations casablancaises (voir encadré ci-dessous).

Que faire ? Comment combattre ces allergies ? Il existe trois types de traitement, explique le Dr Chraibi : la prévention par l’éviction de l’allergène. Il s’agit d’éviter la substance qui provoque cette réaction de rejet chez un individu. Il y a le traitement médical proprement dit, par voie générale ou par voie locale, et il y a la désensibilisation ou la vaccination contre le facteur allergisant. Ces moyens sont-ils efficaces ? Tout dépend des malades. «Il y en a, explique ce spécialiste, dont l’état s’améliore, il y en a qui guérissent, ils sont très peu nombreux, et il y a la grande majorité qui, après une période de rémission, récidive après l’arrêt du traitement.» Et d’ajouter que l’allergie, tout compte fait, ne présente pas un danger pour le malade, mais reste quand même «une pathologie gênante, qui se répercute sur le rendement scolaire de l’enfant et professionnel de l’adulte. Elle devient encore plus incommodante quand elle se transforme en asthme : 60% des enfants souffrant de rhinite allergique développent un asthme, 10% des adultes». Cela dit, tous les allergiques ne consultent pas directement un allergologue, mais les «vrais allergiques» finissent par consulter un spécialiste, explique le Dr Lahlou. Le problème est que le nombre d’allergologues ne dépasse pas la trentaine dans tout le Maroc, dont les 2/3 exercent à  Casablanca

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La pollution, une cause importante d’allergie

L’industrie et le transport sont les deux facteurs les plus polluants de l’air à  Casablanca.
La moitié des industries modernes nationales est concentrée dans la région du Grand Casablanca. Certaines de ces industries sont à  fort potentiel de pollution à  cause de l’émanation de poussières, de gaz polluants et de gaz à  effets de serre. Quant au transport, cette région compte à  elle seule plus de 36% du parc national d’automobiles, soit plus de 600 000 unités, un millier d’autobus et quelque 15 000 taxis, petits et grands. Le transport est responsable d’une forte pollution, en raison des émanations des NO (monoxydes d’azote), SO2 (dioxyde de soufre), COV (composants organiques volatils) et PES (particules en suspension).
La dernière étude portant sur la relation entre la pollution atmosphérique et la santé des populations à  Casablanca (dont les résultats ont été présentés à  la wilaya du Grand Casablanca), remonte à  2000. Cette étude avait mis en évidence, données statistiques à  l’appui, l’étroite corrélation entre le niveau de la pollution atmosphérique et certaines maladies respiratoires. Mesurée par les teneurs en particules fines de type «fumées noires», cette pollution atmosphérique est une cause, entre autres, de mortalité, de crises d’asthme, et d’infections respiratoires chez les enfants.
Ainsi, selon les résultats de cette étude, lorsque l’on passe du niveau de base de pollution (soit 9 µg/m3 de fumées noires) à  un niveau élevé de pollution (soit 87 µg/m3 de fumées noires), il y a inévitablement des conséquences néfastes sur la santé pouvant aller jusqu’à  :

– 9 % de la mortalité brute
– 6 % des consultations pour asthme
– 8,7 % des consultations pour bronchites
– 42,5 % des consultations pour conjonctivites
– 14,6 % des consultations pour infections respiratoires hautes chez les enfants de moins de 5 ans
– 37,8 % des consultations pour infections respiratoires basses chez les enfants de moins de 5 ans.

Mécanisme
Qu’est-ce qu’une allergie ?
L’allergie est une réaction anormale, inadaptée et excessive de l’organisme à  un contact avec une substance étrangère à  l’organisme (allergène), explique le Dr Najib Lahlou, allergologue. Les substances étrangères sont habituellement bien tolérées, mais pour une raison inexpliquée notre système immunitaire les considère à  tort comme des ennemis. L’allergie passe par deux phases : une phase de reconnaissance de l’allergène par l’organisme (prise de sensibilisation), et une phase de réaction contre cet allergène (réaction allergique).

La réaction allergique se manifeste par différents symptômes : rhinite, asthme, eczéma, urticaire, allergie alimentaire. Ces symptômes peuvent être présents de façon isolée, comme ils peuvent être simultanés ou se succéder. Encore faut-il distinguer entre deux allergies qui touchent la sphère ORL, explique le Dr Chraà¯bi : la vraie, o๠il y a un facteur externe qui pénètre dans les voies respiratoires, comme la poussière, les acariens, les moisissures… et qui entraà®nent des inflammations naso-pharyngées, (ou le syndrome inflammatoire de l’allergie…). C’est la voie allergique pure. Et il y a l’autre allergie, celle de la voie de vaso-motricité ou de sensibilité au changement climatique. Les deux entraà®nent les mêmes phénomènes cliniques au niveau de la sphère ORL et pulmonaire.