Société
Abderrahim Jamai : «Il faudrait une instance habilitée à contrôler les décisions du parquet et du juge d’instruction»
Abderrahim Jamai, Avocat, président de l’Observatoire marocain des prisons et membre de la Haute instance pour la réforme de la justice.

La Vie éco : Beaucoup de membres de la société civile et de la Haute instance sont apparemment contre la détention préventive…
Il faut nuancer, on n’est pas pour l’annulation de la détention préventive (qu’on ne devrait pas confondre par ailleurs avec la garde à vue qui a lieu chez la police judiciaire), mais nous voulons que cette mesure soit exceptionnelle, comme l’indique la loi marocaine. Le principe est la présomption d’innocence, et la décision normale et évidente est de laisser la personne libre tant que cette liberté n’ait pas de conséquences sur la marche normale du procès et ne constitue pas une menace grave sur l’ordre public. La personne reste libre, mais sous contrôle judiciaire, à la disposition de la justice, dans l’attente du procès.
Quelles seraient donc ces mesures alternatives à la détention préventive prévues par la loi ?
Pas moins de 18 mesures alternatives sont prévues par le code de procédure pénale. Ça va de l’interdiction de quitter le territoire, de l’obligation d’informer le juge du changement du lieu de résidence, du retrait du passeport, de l’interdiction d’exercer un certain nombre de métiers…, jusqu’à la caution personnelle et pécuniaire. La première est la garantie d’une tierce personne au profit de l’accusé, la seconde consiste en le versement d’une somme d’argent par la personne concernée tout en restant sous contrôle judiciaire. Ce dernier devra être la règle, subordonnée toutefois à trois conditions : que cette liberté provisoire ne soit pas une menace à l’ordre public, à la sécurité de la personne et au bon déroulement du procès. Au Maroc, c’est l’inverse qui est appliqué : on écroue d’abord l’accusé et on étudie après le dossier, pour savoir si le concerné mérite ou non la liberté provisoire.
Pourquoi, à votre avis, le parquet et le juge n’exploitent pas d’autres alternatives autre que la détention préventive ?
Ces deux autorités disposent d’un pouvoir discrétionnaire, sans aucun contrôle, et leur décision d’envoyer en prison ou de laisser en liberté une personne «accusée» dépend de leur personnalité. Cela dit, de par la loi, ils ne sont même pas censés justifier leur décision, or même pour les infractions graves il y a la présomption d’innocence et la décision de laisser en liberté une personne «accusée» peut être envisagée. Souvent, dans la pratique, le parquet et le juge d’instruction qualifient de graves les accusations contre une personne, tandis que dans la loi le terme «accusations graves» n’existe même pas. Résultat : plus de 70% de personnes en détention préventive sont soit acquittées, soit condamnées avec sursis ou à des peines inférieures à la durée qu’elles ont passée en prison. Le hic est qu’elles n’ont aucun droit de recours pour réclamer un dédommagement pour le préjudice subi. La nouvelle Constitution a ouvert une brèche et permet en principe à la personne lésée de réclamer des indemnités, mais cela reste encore flou. Il faudra peut-être installer une instance chargée de l’évaluation du préjudice. Cela dit, il est en principe du devoir du juge qui a déclaré l’acquittement du prévenu de fixer lui-même, au moment de la prise de cette décision, le montant de l’indemnité. Si ces deux autorités n’exploitent pas suffisamment cet arsenal d’alternatives à la détention préventive, c’est à mon avis par manque de courage, et par manque de formation. Il nous faut des juges compétents qui sachent dépasser les limites conventionnelles pour donner forme à une justice moderne conforme au droit, à la nouvelle Constitution et aux conventions internationales signées par le Maroc.
N’a-t-on pas besoin d’un organe de contrôle de la décision du parquet et du juge d’instruction en cas de détention préventive ?
Absolument, il faudra créer une instance habilitée à contrôler les décisions du parquet et du juge d’instruction, et même d’un juge de liberté qui contrôle ce pouvoir discrétionnaire.
La Haute instance a-t-elle fait des recommandations dans ce sens ?
Jusqu’à présent, on a débattu de la détention préventive dans le cadre de la politique pénale, et c’est le sujet le plus important dans tout ce dialogue, on est en train de recueillir les réflexions des participants à ce dialogue, quitte à faire des recommandations par la suite pour fixer les grandes lignes de la réforme de cette politique pénale.
