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Société

A Derb Ghallef, l’activité n’est pas près de reprendre, les commerçants s’inquiètent

• Des boutiques fermées et des commerçants inquiets.
• Les affaires ne sont pas au beau fixe.
• Les commerces de l’électronique, de l’habillement et des produits alimentaires sont sérieusement touchés. Pas de visibilité pour les marchands dont certains risquent de baisser les rideaux…

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Derb Ghalef

Samedi, 26 septembre. Si, d’habitude, il était difficile de se frayer un passage dans les venelles de la Jouteya de Derb Ghallef, aujourd’hui, elles sont quasi désertes. Peu de clients et beaucoup de rideaux baissés. Souk très peu animé, si ce n’est des salutations et des taquineries échangées, à haute voix, par les vendeurs d’une boutique à l’autre. Il règne une ambiance de tristesse et d’attentisme sur ce célèbre souk casablancais de l’informel. En fait, Derb Ghallef, regroupant quelque 1 500 boutiques, n’arrive toujours pas à reprendre, après plusieurs mois d’arrêt d’activité imposé par la crise sanitaire Covid-19, son rythme habituel des affaires. Cet amer constat est établi par plusieurs commerçants de la Jouteya qui déplorent la lenteur de la reprise de l’activité et l’indisponibilité des produits, essentiellement ceux alimentaires et électroniques, en raison de l’arrêt des importations et de la fermeture de Sebta et Melilia, principaux marchés de sourcing des vendeurs de produits alimentaires, d’habillement et de linge de maison.
Après trois mois de fermeture, les commerçants ont pu rouvrir leurs échoppes la mi-juin. Une reprise d’activité en douce et sous haute sécurité sanitaire. En effet, ils ont adopté les mesures de sécurité imposées par les autorités publiques : le port des bavettes, le nettoyage du sol, la désinfection des boutiques et la mise en place d’affiches rappelant les gestes barrières et le réaménagement des boutiques en vue de respecter la distanciation de sécurité. Tout cela a été supervisé par le comité de suivi, regroupant des commerçants de la Jouteya, mis en place au début du confinement. Optimistes en juin dernier, les commerçants déchantent aujourd’hui : la reprise, du moins comme ils l’attendaient, n’a pas eu lieu. «Nous recevons quelque 50% des clients en week-end, ce qui est très peu par rapport à la période d’avant le confinement. Certes, à la réouverture du souk, en juin, il y a eu une grande affluence et une importante demande pour les produits électroniques. Les clients, qui, pendant le confinement, ont eu des besoins urgents en téléphones, tablettes, PC, télévisions, récepteurs, etc., sont rapidement venus pour acheter ou réparer leurs gadgets, mais par la suite il y a eu un tassement», indique Hicham, vendeur de téléphones et PC. Cependant, il ne manque pas de signaler «un petit frémissement, depuis la rentrée scolaire, au niveau de la demande des tablettes et des PC, en particulier d’occasion. Les parents viennent en acheter pour permettre aux enfants de suivre les cours à distance».

Les commerçants de l’alimentaire s’approvisionnent désormais auprès de sociétés locales…
La rentrée scolaire a été l’occasion d’une petite reprise d’activité pour la filière électronique certes mais les temps restent difficiles pour les boutiques dédiées. Et pour cause, l’indisponibilité des articles. «En effet, aujourd’hui, nous ne pouvons pas répondre à la demande de certains clients, parce que nous ne disposons pas, en raison des fermetures des frontières, de produits nouveaux. Personnellement, je n’ouvre plus la boutique quotidiennement. Je viens deux fois par semaine, et le reste du temps je fais du télétravail, je suis joignable par téléphone pour mes clients», commente Hicham, qui estime la baisse de son chiffre d’affaires à plus de 80% depuis le confinement. Une année «noire» pour ce jeune qui subvient aux besoins de ses parents et qui comptait se marier en été. Un projet qu’il a dû reporter à décembre prochain si la situation s’améliore.
Cet état de fait est tout aussi difficile pour les deux jeunes qui travaillent avec lui. «Ils sont tous les deux étudiants à l’Institut spécialisé de technologie appliquée et viennent travailler à la boutique pour subvenir à leurs besoins. En plus du petit salaire que je leur donne, ils encaissent également des pourboires des clients. Maintenant, ils ne viennent plus régulièrement, je les sollicite de façon ponctuelle lorsque j’ai besoin de leurs services…», indique Hicham.
Autre commerce en difficulté à Derb Ghallef : celui des produits alimentaires. «Lors du confinement, nous avions des stocks importants, en prévision de Ramadan, que nous n’avons pas pu écouler, puisque nous étions à l’arrêt. A la réouverture en juin, nous nous sommes retrouvés face à un double problème : des produits qui étaient périmés et d’autres à quelques jours de leur date de péremption, d’une part, et, d’autre part, une baisse significative de la demande. Les clients, qui venaient régulièrement faire leurs achats mensuels à Derb Ghallef, craignant une contamination au virus Covid-19, se sont faits rares. On pâtit de la peur de la clientèle, les produits alimentaires non emballés comme les fruits secs, les dattes, les épices, etc.», explique Mohamed, vendeur de produits alimentaires, qui ne manque pas de souligner que «plusieurs produits, notamment les fromages, le riz et les pâtes en provenance des villes du Nord ne sont plus disponibles. Et nous nous approvisionnons aujourd’hui auprès de sociétés organisées et nous achetons avec factures».
De nouvelles pratiques pour les commerçants qui n’ont pas eu d’autres choix que d’augmenter les prix de certains articles achetés localement un peu plus chers que ceux importés ou achetés en contrebande. Mais la hausse des prix s’explique aussi par la volonté de rattraper les pertes occasionnées par l’arrêt d’activité qui a paralysé la Jouteya. Par ailleurs, les commerçants tentent de convaincre les clients à acheter les produits en vrac, leur expliquant que toutes les protections et les gestes barrières sont observés en vue de vendre des produits de qualité et aux normes de la sécurité sanitaire. Des actions de sensibilisation qui, selon les vendeurs, n’ont pas eu l’effet escompté, puisqu’«il y a encore beaucoup de réticents qui n’osent plus acheter, craignant d’être contaminés. Et cela est valable aussi pour les produits de l’habillement».

L’absence des MRE a également impacté le business de Derb Ghallef
Dans les boutiques de vêtements, on remarque au premier coup d’œil que les affaires ne sont pas au beau fixe. Peu de clients pour un samedi, en général très animé, et les rayons ne sont pas fournis en vêtements. Pour Said, connu pour «ses pièces importées d’Italie», le business est au point mort : «Je n’ai pas de marchandise en stock et je ne peux pas importer. Et les MRE, dont certains sont mes fournisseurs, ne sont pas non plus rentrés cet été. Si j’ouvre la boutique, c’est juste pour marquer le coup et être solidaire avec les autres commerçants qui sont aussi en diffiUne chaîne de solidarité entre les professionnels…culté». Son inquiétude est telle qu’un changement d’activité est sérieusement envisagé. Mais il n’a pas encore trouvé de piste de reconversion. Dans les friperies, l’inquiétude est tout aussi grande. Les affaires n’ont pas du tout redémarré.
Les professionnels se plaignent de la difficulté à s’approvisionner en raison de la fermeture des frontières et des villes du Nord, d’une part, et, d’autre part, de la prudence des clients qui ne sont plus nombreux à venir. Mais, outre la crainte du virus, il y a aussi le manque de moyens. «Nos clients sont souvent issus de la classe modeste et populaire et ce sont ceux-là qui ont été le plus touchés par la crise. Ils sont au chômage ou alors ont subi des ponctions sur les salaires. Même si nos articles sont vendus à bas prix, aujourd’hui cette clientèle n’a quand même pas les moyens de les acheter. Sans compter qu’en cette période de rentrée scolaire, ils doivent acheter les fournitures et ils sont nombreux à être à la recherche d’une tablette ou d’un PC bon marché», se lamente Abdelillah, vendeur d’habillement.
Son constat est largement partagé par ses confrères qui soulignent aussi que «la filière du linge de maison et de sous-vêtements est également très impactée par la crise sanitaire. Une offre réduite et une timide demande depuis la réouverture des boutiques qui a coincidé avec Aid Al Adha, période où les ménages se concentrent sur l’achat du mouton, les épices, les fruits secs, etc.».
Autre facteur expliquant la crise de Derb Ghallef : le non-retour des RME qui venaient nombreux pendant l’été à la Jouteya. «Avec les Marocains de l’étranger, il y a toujours des affaires intéressantes : ils achètent beaucoup de choses et ils nous amènent également des produits à vendre et en particulier du petit électroménager ou encore des appareils électroniques. Parfois, quelques pièces d’habillement, par exemple des jean’s ou des blousons», dit Abdelillah qui souligne que s’il n’arrive pas à limiter les pertes d’ici la fin de l’année, il pourrait probablement fermer boutique. Un risque que n’écarte pas non plus le propriétaire d’une mahlaba. Celui-ci aussi, comme le reste des commerçants, se plaint de la baisse de la demande. «Les clients ne consomment plus les jus et les sandwiches ici. Ils craignent la contamination, alors que nous observons toutes les précautions nécessaires de sécurité sanitaire des aliments et ceci bien avant cette crise. Aujourd’hui, l’essentiel est réalisé avec les commerçants du souk qui prennent sur place leur petit-déjeuner, ainsi que leur déjeuner. Moi, je ne m’en sors pas et les autres non plus. Et si la situation ne s’améliore pas, je risque de fermer la mahlaba…».
Les vendeurs d’escargots et autres pépites, pois chiches et fèves exerçant aux abords de la Joutea ont arrêté leurs activités. Certains sont partis, selon les commerçants, dans leurs bleds pour l’Aid Al Adha et ne sont pas revenus depuis. Tout comme plusieurs gardiens de voitures. Les parkings situés en face de la Jouteya employaient plus d’une vingtaine de gardiens dont la majorité a quitté les lieux. Pour les commerçants, l’impact de la crise sanitaire est largement ressenti par tous les commerçants qui n’ont aucune visibilité, pour l’heure, quant aux mois à venir…