Société
A bâtons rompus avec des ouvrières du textile
Bien que les conditions de travail diffèrent d’une entreprise à l’autre, les droits sociaux des ouvrières sont souvent bafoués. Elles auraient préféré jouir de meilleures conditions : un salaire horaire qui passe de 13,46 DH à 15DH, une retraite à 50 ans… Il y en a même qui préfèreraient rester à la maison pour, au moins, mieux s’occuper du foyer.

Nous en avons rencontré quelques-unes durant la pause-déjeuner entre 12h et 13h, à la sortie de l’usine entre deux marchands ambulants de sandwichs et de plats préparés à la va-vite. Les jeunes ouvrières du secteur textile à peine embauchées sont très discrètes, les plus anciennes plutôt loquaces. Elles évoquent des conditions de travail très difficiles dans cette usine du sud de Casablanca. «Nous avons certes des horaires fixes de travail de 8h à 17h30. Par contre, les heures supplémentaires, non payées, sont à rallonge particulièrement lorsque les commandes pour l’export se multiplient. Dès lors, on ne compte plus les heures de travail. Le transport du personnel ne nous attend pas», déplore une ouvrière de 53 ans qui a, à son actif, 30 ans de service.
Les salaires versés le 10 de chaque mois varient d’un mois à l’autre. Plusieurs d’entre elles sont payées en cash parce que ne disposant pas de compte bancaire malgré les diverses caravanes dédiées à la bancarisation de cette population. «Le mois dernier, j’ai perçu 2000 DH. Ce mois-ci, j’ai eu droit à 1900 DH. Je ne comprends pas leur mode de calcul. S’ils retranchent une partie de nos salaires pour absentéisme ou retard, pourquoi n’est-on pas rémunéré sur les heures sup? Autre injustice, les jours de congés sont travaillés et non payés», déclare une autre ouvrière mariée, sans enfants. Le droit du travail n’est pas appliqué dans cette entreprise où les ouvrières regrettent un management absent et «je-m’en-foutiste». «Depuis que le directeur de l’usine a repris l’entreprise, nous pâtissons d’énormes problèmes. Dernier en date, le manager a décidé de mettre en place une machine à repasser le linge en plein atelier. Nous suffoquons à cause de la chaleur», se plaint-elle.
Malgré un faible niveau d’instruction, ces femmes sont conscientes de leurs droits. Même si leur objectif premier est d’avoir un toit et de nourrir leur famille, elles pensent à leurs vieux jours et redoutent que leur pension de retraite soit modique, voire inexistante, que leur assurance maladie, dont les remboursements se font longtemps attendre, selon elles, ne leur permettent pas de se soigner si elles tombent malades. Pour elles, la femme ne doit pas travailler, surtout dans ces conditions. «Aujourd’hui, la femme marocaine doit être instruite et diplômée. Mais concilier vie de famille et travail à l’usine est presque impossible», déclare l’une d’entre elles.

Maroc Textile
Les anciennes plus déterminées dans la défense de leurs droits
Heureusement, certains patrons gèrent des usines beaucoup plus structurées où les droits des travailleuses sont respectées. Dans l’une d’entre elles qui emploie 270 personnes dont 70% d’ouvriers et d’ouvrières qui jouissent de salaires d’au moins le Smig, d’une mutuelle de santé privée, du versement de leurs cotisations à la CNSS et de salaires à chaque fin de mois, les ouvrières aspirent à d’autres droits. Qu’elles soient veuves, mères de famille ou jeunes mariées, elles tiennent à leur indépendance financière mais allient difficilement travail à l’usine, tâches ménagères et éducation des enfants. Même si elles ont un niveau d’instruction de niveau primaire ou au mieux collège, ces ouvrières connaissent leurs droits. Elles arrivent même à lire et comprendre leur fiche de paie et détecter les erreurs ou anomalies. D’après la responsable des ressources humaines, la présence d’un délégué syndical au sein de l’entreprise a joué en faveur de la formation du personnel quant à leurs droits. Revers de la médaille, les grèves étaient fréquentes. «A mon arrivée, il y a eu trois semaines d’arrêt de travail. Mais nous n’avons rien lâché et sous-traité la production. Aujourd’hui, il n’y a plus de syndicat. Je défends mieux les intérêts du personnel que le syndicat lui-même», déclare la RH qui joue également le rôle d’assistante sociale pour ces ouvrières.
Un constat que confirment les ouvrières de l’usine que nous avons rencontrées, qui viennent souvent voir la responsable RH pour des avances sur salaires, des autorisations de sortie ou des problèmes personnels.
L’éducation des enfants, un combat de tous les jours
«Aujourd’hui, il est plus facile de gérer les jeunes recrues que les anciennes atteintes pour la plupart de maladies chroniques», renchérit-elle. Plus dociles certes mais plus exigeantes. En tout cas, elles ont pour la plupart abandonné leurs études pour travailler et subvenir aux besoins de la famille. Une jeune ouvrière ne le regrette pas. «Mais l’industrie du textile reste un métier difficile pour la femme. Dès qu’on quitte l’usine à 18h30, on va directement à la cuisine préparer les repas pour les enfants. Mon mari ne m’aide pas. Je me lève la première et m’endors la dernière. J’aurais préféré être mère au foyer. Ma vie aurait été beaucoup plus facile», se désole-t-elle. Pour une veuve qui subvient seule aux besoins de ses trois enfants dont un garçon qu’elle responsabilise énormément, il est impératif d’augmenter le salaire des ouvrières. «Plafonné à 13,46 DH/heure, il devrait au moins atteindre 15 DH/h. Cela nous permettrait de répondre aux innombrables besoins de nos enfants», déclare cette veuve qui a opté pour une éducation de ses enfants dans le public avec des heures supplémentaires.
Une autre a choisi d’inscrire ses enfants dans le système privé au moins pour le primaire. Un choix que son mari n’aurait pas pu réaliser. «Vu mes responsabilités, j’aurai voulu que l’âge de la retraite des ouvrières soit réduit à 50 ans», espérait-elle.
Dans un monde capitaliste qui prône l’émancipation des femmes, elles semblent prendre encore plus de responsabilités lorsqu’elles travaillent. Pour la RRH de l’usine, la plupart des demandes de crédit sont contractées par les ouvrières et non les ouvriers. L’éducation de leurs enfants et l’aide apportée à leurs parents leurs tiennent le plus à cœur.
