Société
4% des femmes qui accouchent sont des mères célibataires
Elles sont de plus en plus nombreuses : en 2009, 27 199 femmes ayant accouché sont des mères célibataires. Les régions de Marrakech, Agadir et Casablanca sont les plus affectées par le phénomène. Le soutien du secteur associatif leur permet d’éviter les abandons d’enfants et d’avoir une vie plus équilibrée.
Les enquêtes et études sur les mères célibataires, ces femmes qui donnent naissance à des enfants en dehors du cadre du mariage, se multiplient et convergent toutes vers un même constat : le phénomène prend une ampleur inégalée. Toutes les régions du Maroc sont certes concernées, mais les grandes villes sont plus affectées que les petites localités et le monde rural. Autre différence, on trouve plus de mères célibataires parmi les catégories pauvres, exclues et vulnérables de la population que parmi celle des Marocains aisés. Des associations comme Insaf, Darna, ou encore la plus ancienne parmi elles, Solidarité féminine d’Aïcha Ech-Chenna, ont ouvert leurs portes à ces femmes, et à leurs enfants, et leur offrent toutes sortes de service. Ecoute, accompagnement social et juridique, soutien psychologique, insertion familiale, réconciliation avec le partenaire, accompagnement en matière de recherche d’emploi, de formation…
Combien sont-elles, ces mères célibataires ? Dans quelles régions et dans quelles couches de la population les trouve-t-on ? Pourquoi et dans quelles circonstances tombent-elles dans ce «piège», et avec quels partenaires ? Quel sort réserve-t-on aux enfants nés «illégalement» ? Enfin, que faire pour que ces mères et leurs enfants ne soient plus considérés comme un fardeau pour la société, mais une réalité qu’il faut traiter avec plus de raison que de sentiments ? C’est à ces questions et à d’autres qu’une enquête, la dernière en date, a été rendue publique en ce début du mois de mai. Intitulée «Le Maroc des mères célibataires, étude diagnostique de la situation», l’enquête est l’œuvre de l’Association Insaf avec le soutien du Fonds des Nations Unies pour la femme et la fondation suisse Drosos. Menée sur le terrain en 2010 pendant une durée de six mois, elle donne un état des lieux et un diagnostic fort exhaustifs de la situation actuelle des mères célibataires au Maroc.
De 2003 à 2009, au moins 340 903 enfants sont nés de mères célibataires
Ces chiffres d’abord qui rendent compte de l’ampleur du phénomène : l’étude comptabilise un total effectif de 27 199 mères célibataires, en 2009, soit 4,11% des femmes ayant accouché la même année en milieu hospitalier et non hospitalier.
Pendant la même année, les 27 199 mères célibataires (MC) ont donné naissance à 45 424 enfants. 21% avaient déjà entre 3 et 6 enfants. Autrement dit, la récidive est importante. L’étude ne se contente pas de la seule année 2009, puisqu’elle remarque que dans l’intervalle 2003-2009, 210 343 femmes célibataires ont donné naissance à au moins 340 903 enfants (voir encadré).
L’étude a couvert 6 régions et des dizaines de villes, petites et grandes. Trois régions sont particulièrement touchées par le phénomène des MC : c’est la région de Marrakech-Tensift-El Haouz qui vient en tête de liste avec 3 066 MC, suivie de la région Souss-Massa-Draâ avec 3 062 MC. Le Grand Casablanca vient en troisième position avec 2 798 MC.
Cela dit, au-delà de l’aspect quantitatif, c’est l’analyse qualitative en même temps sociologique et juridique qui importe. Parler des MC c’est parler aussi et surtout des enfants nés en dehors du cadre légal et qui n’ont aucune considération de la part de la société. C’est parler aussi de la négation du droit à un rapport sexuel sans sentiment de culpabilité ni de mépris de soi. Par rapport aux enfants d’abord, il y a deux types de MC, note l’étude. Celles qui abandonnent l’enfant pour «se débarrasser»â€ˆd’un fardeau lourd à supporter et qui sont la cible d’intermédiaires sans scrupules. Cette intermédiation appelée «traditionnelle» «vise le don illégal de l’enfant à des tiers inconnus susceptibles d’endosser une parentalité spoliée, effectuée dans le secret, avec de nombreux dangers pour l’équilibre futur de l’enfant». Et il y a celles qui décident de garder l’enfant tout en bravant le regard inquisiteur de la société : soit au sein de leurs familles qui les protègent, qu’elles soient jeunes adolescentes ou ouvrières pourvoyeuses de ressources, soit à travers le milieu associatif. Dans ce cadre-là, elles sont alors plus protégées «et échappent dans leur grande majorité à toutes les tracasseries édifiées en amont et aux dérives qui leur sont conséquentes : une existence est alors possible pour le couple mère/enfant». Le secteur associatif permet de dévier 1/3 des projets d’abandon d’enfants, soit par la prévention à la naissance (Insaf Casablanca), soit par la prise en charge directe, soit par l’accompagnement et le soutien de la mère, en vue de la garde. Quelques chiffres : 17% des mères célibataires qui gardent leur enfant sont accompagnées par le secteur associatif à travers un ou plusieurs services, à travers des programmes de renforcement. En 2009, les acteurs de la prise en charge ont permis à plus de 3 000 enfants d’être épargnés de l’abandon. Une moyenne sur l’intervalle 2003-2009 : près de 33 000 enfants déviés du projet d’abandon.
Même si le sujet des mères célibataires n’est plus tabou depuis déjà plusieurs années, sur le terrain le regard de la société et les tracasseries administratives continuent à peser lourd. Au-delà du discours moralisateur et des lamentations que faut-il faire pour changer les mentalités et le regard réprobateur de la société à leur égard et refonder, si besoin, les lois qui les incriminent et les pénalisent ? Nadia Cherkaoui, psychologue et consultante au cabinet Amers, qui a participé à cette enquête, trouve qu’au-delà de l’ampleur du phénomène et des chiffres, il faudra cesser de s’apitoyer sur le sort de ces femmes. «Seule une démarche rationnelle et non émotionnelle, un débat franc auquel participeront tous les acteurs de notre société, parents, pouvoirs publics, société civile, politiques…, sont à même de baliser la voie pour une solution consensuelle à un problème réel», estime la psychologue. Et si on dépénalisait la relation sexuelle hors mariage ? «La dépénalisation des relations sexuelles hors mariage améliorerait sans aucun doute la situation. Mais cela ne suffirait pas à régler le problème», estime Michèle Zirari Devif, juriste.
