Influences
Ophtalmologues et opticiens divisés sur leur champ d’intervention
L’article 6 du projet de loi, comme le dahir de 1954, autorise les opticiens à procéder à l’examen de la réfraction. Les ophtalmologues considèrent cet acte comme de l’exercice illégal de la médecine. Les opticiens mettent en avant le déséquilibre de la carte sanitaire et estiment qu’il leur permet de travailler dans la complémentarité, surtout dans les régions où il n’y a pas de spécialistes.

C’est le 18 mars que devaient être déposés les amendements au projet de loi 45-13 portant sur l’exercice des professions de rééducation, de réadaptation et de réhabilitation fonctionnelle. Une nouvelle qui avait pris de cours le Syndicat national des ophtalmologues privés. «Nous n’avons pas été associés à la discussion de ce projet de loi et nous estimons que les choses vont trop vite en vue de l’adoption de ce texte qui doit mettre de l’ordre dans la profession d’opticien et dans tout le secteur de l’ophtalmologie», dit Dr Mohammed Chahbi, vice-président du syndicat. La corporation a rencontré, lundi 11 mars, le ministre de la santé pour exprimer ses inquiétudes quant à l’éventuelle adoption de ce projet de loi qui «met en danger la santé des Marocains». Le projet de loi 45-13 a été déposé, en 2016, par El Houssaine El Ouardi, alors ministre de la santé. Ce qui explique la position actuelle du ministère de la santé qui estime que «le syndicat doit aujourd’hui intervenir auprès des groupes parlementaires afin de faire entendre sa voix».
Les opticiens autorisés à prescrire dans quatre cas
Concrètement, que reprochent les ophtalmologues au projet de loi ? C’est le champ d’intervention des opticiens tel qu’il est déterminé dans l’article 6 qui a provoqué leur ire. Cet article dispose que «l’opticien lunetier délivre au public des articles d’optiques destinés à corriger ou à protéger la vue». Il prévoit également que l’opticien «réalise l’adaptation et l’ajustage desdits articles au moyen d’instruments de contrôle nécessaire». Cependant, selon ce projet de loi, l’opticien lunetier n’est pas autorisé à délivrer un dispositif médical d’optique sans prescription médicale dans quatre cas: pour les sujets de moins de 16 ans, lorsque l’acuité visuelle est inférieure ou égale à 6/10 après correction ou encore en cas d’amétropies fortes et de presbyties en discordance avec l’âge.
Selon le syndicat des ophtalmologues, l’article 6 du projet ne fait que reconduire une irrégularité dans l’exercice de la profession. Il reprend en effet les dispositions de l’article 5 du dahir du 4 octobre 1954 réglementant encore l’exercice de la profession d’opticien-lunetier au Maroc. Soit 63 ans après l’indépendance du pays ! Pour Mohammed Chahbi, l’opticien lunetier n’est qu’un technicien devant travailler, comme cela se fait sous d’autres cieux, sous la responsabilité d’un ophtalmologiste qui est habilité à faire des diagnostics et à prescrire des lunettes. Les opticiens, poursuit le vice-président du syndicat des ophtalmologues, «n’ont pas de formation médicale et ne peuvent en aucun cas faire des mesures et de la réfraction». Le maintien de cette disposition constitue, de l’avis du Dr. Chahbi, «une sérieuse menace pour la santé des citoyens». Quelques-uns de ses confrères considèrent même qu’il s’agit d’exercice illégal de la médecine.
Un millier d’ophtalmologues pour 3 500 opticiens
Le Syndicat national des opticiens du Maroc estime que «c’est une accusation non fondée dans la mesure où la profession se tient aux dispositions de l’article 5 du dahir de 1954 qui n’interdit de mesurer l’acuité visuelle que dans certains cas qui sont bien précisés dans le texte». Un de ses représentants précise que «si une pathologie est diagnostiquée, le patient est adressé à un ophtalmologue». Cette organisation ne manque pas de contester certaines dispositions du projet de loi 45-13. Premièrement, ils ne sont pas d’accord sur l’obligation faite aux opticiens de se constituer en association nationale, alors qu’ils sont déjà organisés en syndicat. Deuxièmement, ce projet de loi exige que tout professionnel autorisé sous forme libérale exerce son métier à titre personnel et n’aura plus la possibilité de déléguer, «ce qui pourrait entraîner la perte d’environ 5000 emplois», est-il souligné. En troisième lieu, les opticiens dénoncent la possibilité d’exercer la profession dans le secteur privé à but lucratif ou non lucratif. Selon eux, c’est cette disposition que donne la possibilité aux associations de proposer aussi des lunettes avec mesures approximatives et sans consultation. «C’est là que l’on peut parler d’exercice illégal de la profession!», soulignent-ils.
Le conflit d’intérêts est donc notoire entre les deux professions et le bras de fer ne fait que commencer. Les ophtalmologues réclament la suppression pure et simple de l’article 6 du projet de loi 45-13, alors que le syndicat des opticiens estime qu’il faut travailler dans la complémentarité. Au Maroc, l’on compte seulement 1 000 ophtalmologues pour 3 500 opticiens. D’où la volonté de ces derniers de vouloir intervenir là où le besoin se fait sentir. Les zones en manque de spécialistes précisément.
A l’heure qu’il est, le consensus semble difficile entre les deux professions. La décision de la commission de la deuxième Chambre est très attendue. Peut-être faudrait-il procéder à une relecture du texte de projet de loi afin de trouver une solution qui permettrait de déterminer les prérogatives des uns et des autres afin de réorganiser un secteur qui est déjà fortement perturbé par l’informel.
