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Latifa Yaakoubi : «L’arganier pour faire face aux changements climatiques»

Réalisations, perspectives, sécheresse… La directrice de l’Andzoa se livre à l’exercice du bilan d’une agence censée libérer le potentiel de l’arganiculture.

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Argane ! Un trésor national que le monde nous envie au point de le cloner. Mais ces plantations naturelles, concentrées dans des zones spécifiques du Royaume, sont restées longtemps marginalisées, laissées dans un état sauvage, sans suivi de l’écosystème, ni recherche en matière de valorisation des produits. Une faille que l’Agence nationale de développement des zones oasiennes et de l’arganier (Andzoa) est venue combler il y a un peu plus d’une décennie en menant des actions sur tous les fronts et avec une efficacité visible sur le terrain.
Aujourd’hui que cette institution prépare une nouvelle stratégie, sa directrice de développement défend le bilan de ses réalisations. Entretien.

Comment se porte l’arganier en ces temps de sécheresse ?
La sécheresse n’est pas un contexte exceptionnel pour l’arganier qui est naturellement résilient. Sa région biogéographique est caractérisée par des successions d’années pluvieuses et d’autres sèches. Ceci lui a permis de développer des mécanismes lui permettant de s’adapter au fil du temps, avec une longévité dépassant des centaines d’années.
Néanmoins, la réserve de biosphère de l’arganeraie, RBA comme on l’appelle, est confrontée plus que jamais à de fortes dégradations de ses sols, de ses bassins versants, de sa biodiversité et de son potentiel hydrographique. Les effets de changements climatiques y sont particulièrement stressants.

La production et les exportations de la filière restent-elles sur un bon trend ?
Malgré la pandémie et la sécheresse, les exportations sont restées sur leur dynamique et ont connu une bonne évolution tout au long de la décennie, avec en prime une augmentation du prix moyen à l’export. Les quantités expédiées en 2012 se limitaient à 871 tonnes pour une valeur de 132 MDH. En 2021, les exportations de l’huile d’argane sont de 1.200 tonnes, mais valorisées à 314 MDH. Et ce n’est qu’un début : dans la stratégie Génération Green, l’objectif est d’en exporter 5.000 tonnes à horizon 2030.

Où en est le projet du centre national de l’arganier ? 
L’état d’avancement du chantier de construction de ce projet (prévu à Agadir pour 15 MDH) est de 30%. Ce projet vient concrétiser les engagements de l’État pris avec l’interprofession dans le cadre du contrat-programme qui prévoit la mise en place d’un pôle de compétences dédié à l’arganeraie. Cette structure permettra de canaliser les efforts des scientifiques et professionnels pour préserver et valoriser ce trésor. Ce futur centre est appelé à se positionner comme un pôle de promotion du patrimoine culturel de l’arganier et d’appui à une recherche d’excellence.

En attendant, l’arganier fait-il l’objet de travaux de Recherche & Développement, sachant que des pays ont déjà cloné cet arbre et s’attellent à développer cette culture ?
L’Andzoa organise, chaque année, avec le ministère de tutelle et l’Institut national de recherche agronomique (INRA), un congrès international qui constitue un rendez-vous de rencontre et d’échange entre les membres de la communauté scientifique. D’autre part, plusieurs institutions nationales de R&D ont fait aboutir des projets concrets pour améliorer la valorisation des produits et, de facto, le revenu des agriculteurs. L’INRA a par exemple développé un programme de recherche variétale pour la sélection de plants performants. C’est tout le projet d’arganiculture qui s’étale sur 10.000 ha qui est encadré scientifiquement par une équipe multidisciplinaire qui mène bien évidemment des travaux de R&D. De toutes les manières, la recherche scientifique sur l’arganier est un élément crucial pour une gestion durable de l’écosystème et pour la valorisation des produits. Elle nous permet d’innover et de développer des options techniques, biotechnologiques et génétiques.

L’Andzoa a tenu dernièrement son conseil d’orientation stratégique. Quel est alors le plan d’action pour les années à venir ?
Nous avons évidemment discuté le plan de travail triennal de l’agence pour la période 2023-2025, ainsi que le budget y afférent. Mais ce conseil a été aussi l’occasion de dresser le bilan du déploiement de la stratégie de développement des zones oasiennes et de l’arganier depuis son lancement en 2012. L’évolution des indicateurs de développement au niveau de nos zones d’action affiche une amélioration significative, que ce soit sur le plan socioéconomique ou encore en matière d’accompagnement du développement des écosystèmes oasiens et de l’arganeraie. A titre d’exemple, le taux de pauvreté a été réduit de moitié, passant de 13,4% en 2007 à 6,8% en 2019. Idem pour le taux de désenclavement du milieu rural qui s’est apprécié de 70 à 83,45%.

Mais quelles seront les priorités de votre agence pour les années à venir ?
Une nouvelle stratégie est en cours d’élaboration pour tracer de nouveaux objectifs prioritaires. Mais nous sommes tous conscients que l’eau est l’enjeu primordial à prendre en considération et à intégrer localement pour la mise en place de tout projet de développement. Le renforcement de la résilience de la RBA face aux changements climatiques constitue, également, une priorité sur laquelle il faut agir à travers la mise en place de projets d’adaptation et d’atténuation. Enfin, l’employabilité des jeunes et l’autonomisation économique des femmes du milieu rural s’inscrivent parmi nos préoccupations afin de renforcer la dynamique territoriale de ces zones et leur assurer un développement durable et équitable. Le défi est que la population devienne le porteur actif du développement d’une agriculture résiliente permettant la valorisation adaptée de terres marginalisées et dégradées. Aujourd’hui, la phase de sensibilisation et de renforcement des capacités des organisations d’agriculteurs, bénéficiaires de ce projet, a été lancée. Les organisations professionnelles des premiers périmètres livrés sont dotées du matériel d’irrigation et d’entretien nécessaires pour garantir la pérennisation de cette culture.