Influences
ENSEIGNEMENT : Le secteur cherche encore son chemin…
La loi 01-00 n’est plus adaptée au contexte de l’enseignement au Maroc. Plusieurs obstacles entravent le développement de l’université publique. Et il devient urgent de réguler le secteur privé.
L’enseignement supérieur a toujours été au cœur des préoccupations gouvernementales. Plusieurs réformes ont été lancées, certaines ont porté leurs fruits, d’autres non ou pas encore. Elles se sont traduites notamment par la mise en place du système LMD qui a certes permis d’harmoniser les formations et d’aligner le système sur les standards internationaux. Mais en face, il a abouti à une surcharge des programmes pénalisant ainsi la qualité des enseignements. Elles se sont manifestées également par le développement et la mise en place d’un système d’Assurance Qualité dans l’enseignement supérieur; la professionnalisation de l’offre de formation universitaire en vue de l’adapter aux besoins du monde socioéconomique ; le renforcement de l’ouverture du système à l’international et l’intégration progressive des technologies de l’information dans l’enseignement supérieur. Mais globalement, la situation du secteur est encore préoccupante.
Pour que l’enseignement supérieur serve réellement les intérêts du pays, les réformes nécessitent la mobilisation de toutes les parties et l’ensemble des instances aussi bien politiques qu’académiques (professeurs, universitaires, étudiants…). En fait, la situation assez désolante du secteur de l’enseignement supérieur n’est que la conséquence de de la défaillance de tout le système éducatif depuis le bas âge ; à chaque étape son lot de problèmes qui aboutissent au final à un étudiant diplômé certes mais sans compétences et dont le profil est inadapté aux besoins. D’ailleurs, le dernier mémorandum de la Banque mondiale pointe du doigt les différents dysfonctionnements du système éducatif marocain et élabore un certain nombre de recommandations en vue de redresser la barre à l’horizon 2040.
Le gouvernement, décidé à prendre les choses en main, a enfin créé en 2016 l’Agence nationale de l’évaluation et de l’assurance qualité (ANEAQ), alors qu’elle était prévue dans la loi 01-00 adoptée en 2000 portant organisation de l’enseignement supérieur. En tout cas, l’agence est actuellement en train de mettre en place, en collaboration avec des experts étrangers, un référentiel d’évaluation de tout l’écosystème dans lequel opère un établissement d’enseignement supérieur, public ou privé. Son objectif est d’établir après chaque évaluation un rapport, accompagné de recommandations dans l’objectif de faire évoluer tel ou tel aspect.
Ces évaluations devraient aider les décideurs à améliorer la situation de l’enseignement et des établissements publics, car, il le faut le rappeler, l’université publique pâtit encore de plusieurs problèmes ; certains qui lui sont propres, d’autres qui dépendent de tout l’écosystème dans lequel elle opère. En effet, en plus des problèmes liés à la formation des enseignants, à la qualité des programmes enseignés, à la massification des établissements à accès ouvert, au taux de déperdition des étudiants, au système LMD qui peine à montrer ses preuves…, les universités publiques font les frais de leur fonctionnement intrinsèque. Plusieurs universitaires contactés accusent la loi 01-00 d’être rédhibitoire. En effet, l’université publique ne dispose pas de son autonomie financière et institutionnelle, subit des contrôles de dépenses a priori assez lourds de la part du ministère de l’économie et des finances, dispose d’un mode de gouvernance contraignant et même d’un statut qui ne lui permet pas de se développer… D’où l’urgence d’introduire une réforme de toute la loi 01-00, en vue de donner un vrai statut à l’université publique, de la libérer de tout obstacle qui entrave son développement interne ou même son rayonnement à l’international.
Devant l’impasse que connaît l’enseignement supérieur public, ils sont plusieurs à s’orienter vers le secteur privé. Ce dernier, faut-il le dire, s’est développé d’une manière exponentielle sur les 10 dernières années puisque, d’un côté, le marché était encore vierge et, de l’autre, il a profité de l’alternative que cherchaient les parents d’élèves aux universités publiques.
L’offre de formation s’est ainsi diversifiée, enrichie et adaptée au milieu professionnel. En plus des filières classiques d’économie, de finance, de management…, plusieurs disciplines ont été développées liées aussi bien à la médecine, à l’infirmerie, à la kinésithérapie, qu’aux métiers de l’aéronautique, de l’automobile… A côté, des partenariats sont signés avec des entreprises au profit des étudiants, en vue de leur permettre d’effectuer des stages, des ouvertures d’embauche, ou encore des séjours à l’étranger.
Un contrat-cadre devrait être élaboré entre le secteur de l’enseignement privé et l’Etat
Il va sans dire qu’à côté des écoles et universités sérieuses qui accordent un enseignement de qualité et cherchent même à obtenir la reconnaissance de l’Etat, une panoplie d’autres écoles est simplement attirée par l’appât du gain et c’est cette niche qui contribue à enfoncer le système de l’enseignement marocain dans le marasme. D’autant qu’un autre type de problèmes s’ajoute à la donne, à savoir la différence de prix appliquées entre une école et une autre et sur laquelle le Conseil supérieur de l’éducation, de la formation et de la recherche scientifique (CSEFRS) met l’accent et invite l’Etat à assurer un rôle de régulateur pour pallier l’anarchie qui caractérise ce secteur. De même, un contrat-cadre devrait être élaboré concernant l’enseignement privé et devrait fixer les engagements de l’Etat d’un côté et des opérateurs de l’enseignement supérieur privé de l’autre.
Cependant, quel que soit le niveau de son développement, l’université publique reste plébiscitée par les étudiants du fait de son accès libre, sa formation pluridisciplinaire et de sa capacité historique à former des cadres et à accompagner le développement socioéconomique du pays. Aussi, «tout le conglomérat d’universités privées ne pourra jamais atteindre la masse critique que nous avons, en doctorants, en enseignants chercheurs, en étudiants, en infrastructures, en locaux et en réputation», assure le Pr Saaïd Amzazi, président de l’Université Mohammed V de Rabat. En effet, le secteur privé se partage un gâteau de 70 000 étudiants sur 800 000 globalement à l’échelle nationale. Il ne s’agit donc même pas de parler de concurrence entre les deux types d’établissements mais plutôt de complémentarité. L’objectif ultime commun entre les deux devrait être celui de travailler ensemble pour former l’élite de demain, surtout qu’aujourd’hui on parle de Global éducation, dans le sens où l’étudiant doit avoir une dimension universelle.
Si le secteur de l’enseignement public contribue à inculquer à l’étudiant une bonne formation, conditionnée par l’implication de l’étudiant et de son enseignant, le secteur privé, lui, assure en plus de la formation, un développement de nombre de compétences transversales, comme la maîtrise des langues, la communication, le travail en équipe, la gestion de la pression… formations qui n’existent pas forcément au niveau de l’université publique. En revanche, cette dernière a un grand mérite qui est celui de produire des chercheurs qui pourraient contribuer au développement du pays.
D’ailleurs, à travers le centre national de recherche scientifique et technique (CNRST) qui gère et finance certains travaux de recherche universitaires, plusieurs chercheurs ont participé à des appels à projets d’administrations et entreprises publiques, comme le ministère de l’équipement et de transport, le ministère de l’enseignement supérieur, l’OCP… Ainsi, il n’est aucun doute que la recherche scientifique et technique se développe de plus en plus au Maroc. D’ailleurs, les universitaires disposent des moyens nécessaires pour accompagner les étudiants chercheurs dans leurs travaux, que ce soit en termes de laboratoires, d’ouvrages, d’abonnement à des revues spécialisées ou de financement. Il est même des fois où des chercheurs étrangers viennent soumissionner à des appels à projets lancés au Maroc. Quoi qu’il en soit, le secteur de l’enseignement supérieur dispose d’un grand potentiel de développement qui pourrait lui permettre d’égaler, à long terme, celui des pays les plus avancés. Reste juste à adopter une vision commune et qui touche toutes les étapes de l’enseignement.
[tabs][tab title =”Des consécrations à mettre à l’actif de l’université publique marocaine“]Malgré tous les maux dont elle pâtit, l’université publique, notamment l’Université Mohammed V à Rabat et Cadi Ayyad à Marrakech, restent présentes dans les classements arabes et même mondiaux, comme le US Ranking, ou QS World University Rankings… Récemment, le Maroc, à travers ses professeurs et chercheurs de l’Université Mohammed V de Rabat a remporté 8 distinctions au Salon international des Inventions (INPEX) aux Etats-Unis, qui a eu lieu du 13 au 15 juin à Pittsburgh. Notons au passage que le Maroc était le seul pays arabe à participer à cette manifestation à côté de plusieurs pays étrangers comme la Corée du Sud, la Chine, la Thaïlande, la Grande Bretagne, l’Australie… De même, dans le cadre de l’initative Injaz Al Maghrib, la Faculté des sciences juridiques, économiques et sociales d’Agdal à Rabat a reçu le prix de la meilleure junior entreprise.[/tab][/tabs]