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ENSEIGNEMENT : Entretien Saaïd Amzazi, Président de l’Université Mohammed V – Rabat

«Il est grand temps d’accorder à l’université toute son autonomie financière et institutionnelle».

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Universite Mohammed V

Comment jugez-vous la qualité de la formation dispensée au niveau de l’université publique? Ses lauréats disposent-ils de toutes les compétences pour accéder au marché du travail ?

Pour répondre à cette question, il faut partir d’un constat très simple : la grande majorité de l’élite marocaine actuelle est issue de l’université publique, et pour avoir été pendant plus de 18 ans l’unique université du Maroc, l’Université MohammedV, qui fête d’ailleurs cette année son 60e  anniversaire, en a formé une très grande partie, qu’il s’agisse de médecins, d’ingénieurs, de juristes, de sociologues…

Il ne fait donc aucun doute que nous disposons d’un corps enseignant de grande qualité et nos filières de formation sont régulièrement ré-évaluées et soumises à accréditation. Toutefois, dans les établissements à accès ouvert, qui accueillent plus de 80% des bacheliers, il est bien évident que les enseignements pâtissent de la massification des effectifs avec au final des amphithéâtres surpeuplés et des enseignants souvent dépassés par la charge de travail qui leur incombe, sans compter que l’accès ouvert draine inéluctablement vers ce type d’établissements une population d’étudiants souvent démotivés dont le niveau ne leur permet pas d’accéder aux établissements d’élites et qui voient en la Licence fondamentale un choix par défaut. C’est le cas par exemple pour les facultés de droit, à la différence des facultés de médecine ou des écoles d’ingénieurs qui bénéficient d’un accès régulé.

Voilà pourquoi en Licence fondamentale, sur 100 étudiants en 1ère année, seuls 15% arrivent à obtenir leur diplôme en 3 ans, tandis que plus d’un étudiant sur trois quitte l’université sans aucun diplôme. Au final, les étudiants qui obtiennent leur licence le font sur une durée moyenne de 5 ans au lieu des trois ans prévus.

Par ailleurs, je pense qu’une licence en 3 années d’études est loin d’être une sinécure. Aujourd’hui, le constat qui s’impose à nous est qu’un licencié ne dispose pas de la maturité et du bagage suffisants pour répondre aux exigences du marché de l’emploi, voire pour poursuivre ses études en Master puis en Doctorat. Même bien formé dans son champ disciplinaire, il reste trop souvent confronté au problème de ses faibles compétences transversales, telles que la communication, les langues, l’esprit d’analyse et la rédaction.

Pour pallier ces difficultés, ma proposition est d’instaurer une année transitoire, généraliste et transversale entre la fin du lycée et la 1ère année du supérieur, et de permettre ainsi à l’étudiant de s’imprégner de l’esprit de l’université et de ses méthodes pédagogiques et de forger son orientation. Ce n’est d’ailleurs pas une nouveauté puisque beaucoup de pays étrangers disposent de cette année de propédeutique.

Outre le profil des étudiants, peut-on incriminer également la qualité des programmes ou l’engagement des enseignants?

Il ne faut pas perdre de vue que depuis la réforme de l’enseignement supérieur en 2003, nous nous sommes trouvés dans l’obligation de former des licenciés en 3 ans au lieu de 4. Il est bien évident que cela a abouti à une surcharge des programmes qui pénalise la qualité des enseignements.

Par ailleurs, notre système d’enseignement supérieur ne prévoit pas vraiment de moyen d’évaluation pédagogique des enseignants. En outre, l’université recrute des docteurs de plus en plus jeunes, donc forcément moins matures, qui passent directement de la recherche à l’enseignement. Voilà pourquoi il serait judicieux d’instaurer un cycle de formation sur les méthodes pédagogiques universitaires au profit des enseignants nouvellement recrutés avant leur titularisation. Idéalement, il faudrait que cette démarche soit adoptée pour l’ensemble des enseignants recrutés au niveau national.

Pensez-vous que l’université publique marocaine dispose des moyens financiers suffisants pour accomplir sa mission ?

L’université publique marocaine est financée par l’Etat, c’est un fait. Et c’est aussi le cas dans de nombreux pays à travers le monde, sauf qu’à l’instar des universités étrangères, les nôtres doivent impérativement s’atteler à diversifier leurs sources de financement et ne plus se contenter de l’état providence.

C’est une politique que nous avons déjà adoptée à l’Université MohammedV depuis plusieurs années et qui a largement porté ses fruits. A titre d’exemple, notre université génère annuellement des recettes propres d’environ 78 MDH grâce aux prestations de services, à la formation continue, aux expertises et à notre participation à de grands projets internationaux. De même, en répondant à un appel à projets de l’OCP, nous avons pu bénéficier d’un financement de 10 MDH et en 2015, le ministère de l’enseignement supérieur avait lancé plusieurs appels à projets nationaux en vue d’encourager la recherche, avec une enveloppe globale de 300 MDH. Au final, 39 projets sur les 150 sélectionnés et retenus pour financement émanaient de  notre université, ce qui nous a valu une manne de 30 MDH alloués à la recherche.

Toutefois, il reste une lourde entrave dans ce tableau plutôt réjouissant. Je veux parler bien sûr de l’engagement de ces moyens financiers. Je m’explique : l’université est assimilée à un établissement public à  caractère administratif et, du coup, nous subissons  un contrôle des dépenses a priori de la part du ministère de l’économie et des finances et sommes acculés à recourir à une procédure très contraignante pour chaque engagement de dépense. Pire encore, nous pouvons difficilement financer les déplacements des étudiants chercheurs sur le terrain, ou leurs séjours à l’étranger.

Quelles actions faut-il mettre en place  pour changer cette  donne?

En fait, c’est surtout le statut de l’université publique qui pose problème. Je peux vous dire que dans le cadre de ma fonction de président, mon constat au quotidien est que ce statut d’établissement public à caractère administratif est finalement très réducteur. A l’étranger, les établissements universitaires sont à caractère scientifique et technique et non administratif. Ils jouissent d’une souplesse très avantageuse dans leur mode de gestion, ce qui leur permet d’exercer un impact direct sur l’économie, la compétitivité des entreprises et le PIB. Ce qui n’est pas encore le cas au Maroc. Il est donc grand temps d’accorder à l’université toute son autonomie financière et institutionnelle, comme le stipule l’article 4 de la loi 01-00 qui n’est toujours pas complètement appliqué. Savez-vous par exemple que l’université peut être partenaire dans des entreprises à hauteur de 35% ? Ou encore participer à des appels d’offres comme le ferait une entreprise? Malheureusement, notre tutelle financière ne reconnaît toujours pas ces dispositions pourtant légales.

Cette autonomie que nous revendiquons implique également le mode de gouvernance. Avec 18 établissements à gérer au sein de l’université et 85 000 étudiants, la loi ne nous octroie que 2 vice-présidents contre 11 au minimum dans d’autres pays. Par ailleurs, avec 98 membres de conseil d’université, la prise de décisions managériales s’avère difficile,  le président se trouvant plus souvent acculé à endosser le rôle de conciliateur que de celui de véritable manager. En outre, il est vrai que le conseil gère l’université en collaboration avec le président, mais seul ce dernier est responsable devant la justice et demeure seul comptable de la reddition des comptes. Enfin, l’université marocaine publique ne dispose toujours pas d’organigramme. Hormis le président, les doyens et vice-doyens, les 2 vice-présidents et le secrétaire général, le reste du personnel est simplement désigné, sans statut particulier, sans hiérarchie et sans véritables perspectives d’évolution.

Que préconisez-vous, en tant que président de la première université du Maroc, pour permettre à l’université de jouer pleinement son rôle ?

Sur un plan global, je dirais qu’il faut de toute urgence libérer les énergies de l’université publique car elle dispose d’un potentiel extraordinaire en enseignants chercheurs, en équipements, en infrastructures, en étudiants mais aussi en histoire et en rayonnement socioculturel. Comment se fait-il que la loi 01-00, qui remonte tout de même à 17 ans, ne dispose toujours pas de décrets d’application pour une bonne partie de ses textes ? Comment se peut-il que ce cadre réglementaire n’a prévu aucune disposition concernant la recherche scientifique qui reste quand même la principale mission de l’université avec la formation ! C’est donc une véritable réforme de la loi que nous attendons et qui pourra sauver l’université marocaine en intégrant certaines dispositions majeures, comme le renforcement de l’autonomie, la formation de l’enseignant, l’établissement d’une année transitoire entre le lycée et l’université, l’instauration d’un post-doctorat… Comme vous le savez, un effort consistant a été mené par notre ministère de tutelle récemment afin d’accompagner les universités privées, notamment en leur accordant une reconnaissance de leurs diplômes. C’est une action certes louable, mais qui ne concerne pas plus de 10% des étudiants marocains, un chiffre qui d’ailleurs évolue peu, tandis que la majorité écrasante des bacheliers continue de rejoindre l’université publique. Que fait-on donc pour celle-ci ?

Dans nos sociétés actuelles dominées par la connaissance et la compétitivité, l’université est devenue un acteur majeur de développement, dont notre pays ne saurait se passer à l’heure où il ambitionne l’émergence. Il est donc grand temps de réagir et c’est là un appel que je lance à tous nos décideurs politiques.