Influences
Détective privé : En quête d’une législation
Le métier est autorisé, mais non réglementé. Les professionnels ont déposé une proposition de statut auprès du gouvernement. En attendant, les agences de détectives privés ne chôment pas…
Si nos Sherlock Holmes locaux sont encore loin d’avoir une série à leur nom, le métier de détective privé se développe progressivement, depuis une dizaine d’années, au Maroc. Sauf que la profession n’est toujours pas réglementée. Enfin, pour le moment. Car depuis quelque temps, l’Organisation marocaine des détectives professionnels, créée par quatre agences d’investigateurs privés en 2019, s’attelle à structurer le secteur. Si on ne compte aujourd’hui qu’une poignée de sociétés sérieuses, on recense également une centaine de détectives privés autoproclamés. Les professionnels, membres de l’OMDP, estiment qu’en l’absence de réglementation, l’activité est ouverte à tout le monde, et donc à n’importe qui. «C’est pourquoi nous avons soumis, il y a une année, un dossier aux ministères de l’Intérieur, de la Justice et à l’Office de la formation professionnelle et de la promotion du travail. Jusqu’à présent, nous n’avons pas encore eu de réponse. Mais on nous a informés que des enquêtes préalables sont nécessaires et qu’elles sont en cours», explique Moulay Tahar, détective enquêteur de droit privé et président de l’Association professionnelle. Et d’ajouter: «Une commission a été formée pour élaborer le projet de réglementation qui porte sur les conditions d’exercice de la profession, la procédure d’obtention de l’autorisation et la formation des détectives». Parmi les conditions souhaitées par la commission, on retiendra que les détectives doivent avoir un diplôme décerné par une école spécialisée et avoir éventuellement un diplôme en droit et justifier d’un casier judiciaire vierge. Ces conditions réunies, la demande d’autorisation d’exercer doit être déposée auprès de la Wilaya de la ville où est domiciliée l’agence. Enfin, le projet prévoit également la création d’une école supérieure de détective qui permettra aux candidats de suivre une formation polyvalente (droit, gestion, langues et technique de photographie et de vidéo) de deux années et d’effectuer un stage auprès d’une agence avant de s’installer à leur propre compte.
Policiers reconvertis
Actuellement, l’autorisation d’exercer est octroyée par la Wilaya. Pour leur statut, les agences optent pour deux formes au choix : soit une SARL, soit le statut d’auto-entrepreneur. Côté formation, les détectives exerçant actuellement sont pour la plupart des anciens policiers et certains d’entre eux sont des diplômés en droit privé.
Répartis entre Casablanca, Mohammédia, El Jadida et Marrakech, les détectives privés ne bénéficient d’aucune reconnaissance légale, ils ne sont pas non plus protégés, tout comme leurs clients, par la loi. Toutefois, en dépit de l’absence d’une législation, les agences ne chôment pas. Les détectives privés sont de plus en plus sollicités pour résoudre des affaires de tous types. «Les particuliers, les entreprises et les avocats font appel à nos services pour rassembler des preuves dans des affaires de divorce, de pension alimentaire, d’adultère, de désaccord commercial, de fraude, de détournement de fonds, de dommages corporels, de recherche de personnes disparues, d’adresses de débiteurs, de vérification de CV, de vol en entreprise, etc.», énumère Moulay Tahar, encore surpris du lancement de son affaire. «Un mois après l’ouverture de l’agence, j’avais déjà mes premiers clients, alors que lorsque j’exerçais en France, il m’a fallu attendre six mois pour décrocher mes premières missions». Le métier de détective privé consiste, selon le directeur de Maroc Investigation, à enquêter sur des personnes, des entreprises ou des organisations pour obtenir des informations confidentielles ou privées. Travaillant exclusivement avec les entreprises, l’agence agit pour le compte de sociétés nationales et multinationales.
Des tarifs selon les missions
Les missions concernent dans 80% des cas des affaires commerciales, mais on trouve également des demandes de vérification de comptes internes ou des affaires d’espionnage industriel. Les détectives privés utilisent des techniques traditionnelles d’enquêtes, comme la surveillance, la filature et les entretiens, ainsi que des outils technologiques, tels que les caméras espions et les logiciels d’analyse de données pour rassembler des informations. Cependant, il est à noter que les détectives ne peuvent prendre de photos ni enregistrer des vidéos dans les lieux privés. Tout comme ils ne peuvent pas publier ces photos ou vidéos qui constituent des preuves soumises, dans le cadre d’affaires judiciaires, uniquement au juge. Par ailleurs, les détectives ne peuvent pas non plus placer des micros dans des endroits privés ni de GPS dans les véhicules.
Pour certaines missions, il arrive que les agences collaborent entre elles ou sous-traitent des affaires à l’étranger. Ce qui permet de travailler plus vite et de réduire les frais.
Les tarifs des détectives sont libres et varient en fonction du type de missions. Ils sont facturés à la journée entre 1.000 et 5.000 dirhams lorsqu’il s’agit par exemple de filature ou de surveillance. Autre cas de figure, fixer un forfait avec le client pour mener une enquête sur plusieurs jours. Le tarif peut alors se situer entre 30.000 et 100.000 dirhams. Pour des enquêtes de longue durée, le coût peut alors atteindre 1million de dirhams. Ça fait cher l’enquête? Elémentaire Watson…
Moulay Tahar, détective en chef des privés
«C’est l’homme de la situation», témoignent ses confrères. Lui, qui a participé dans le cadre d’une commission technique au projet de réglementation française de la profession, est aujourd’hui mobilisé pour en faire de même au Maroc. Sans surprise, ce psychologue et juriste de formation est aussi un féru d’enquêtes de police scientifique et du travail d’investigation. Il s’est retrouvé par défaut dans cette profession. «Ne pouvant pas passer un concours de police en France, j’ai bifurqué vers le métier de détective. J’ai ouvert ma première agence à Montpellier en 1995 et par la suite cinq autres dans d’autres villes avant de rentrer en 2012, pour des raisons familiales, au Maroc», raconte ce détective qui ne révèle jamais son nom complet ni se laisse prendre en photo. De retour au bercail, il décide d’ouvrir en 2014 sa première agence à Rabat. Aujourd’hui, il est aussi sur Casablanca, Marrakech, Tanger et Fès. Il travaille avec les particuliers, les entreprises et aussi avec les avocats. Moulay Tahar ambitionne de mettre son expérience française au service du secteur au Maroc : «Il faut réglementer la profession et contribuer à la professionnalisation du métier en ouvrant, comme en France, une école et mettre en place un code de déontologie». Selon lui, «le Maroc est en retard par rapport à l’Europe et aussi par rapport à l’Afrique où certains pays, comme le Cameroun ou la Centrafrique qui ont mis en place un cadre réglementaire depuis plusieurs années».