Culture
Xe édition de Caftan : encore une fois, du cousu main
Après dix mois de préparatifs, Caftan, a fêté son dixième anniversaire samedi 6 mai,
au Palais des Congrès de Marrakech. L’événement s’est
déroulé comme d’habitude à guichets fermés.
Dix stylistes haute couture (dont neuf révélés par Caftan),
cinq jeunes talents, une prestation éblouissante et beaucoup de cÅ“ur.
Samedi 6 mai, 22 h 45. La parade de Caftan a pris fin. Les spectateurs sont encore sous le charme de cette dixième prestation. Force est de reconnaà®tre que cette édition a tenu la promesse des fleurs humées lors de la Semaine de la mode qui s’est déroulée trois mois auparavant.
Des tenues offertes au Comité de soutien à la scolarisation de la fille rurale
Le bonheur se lit dans les yeux des membres du Comité de soutien à la scolarisation de la fille rurale (CSSF). Pendant la conférence de presse tenue vendredi 5 mai au Bô et Zin, on apprend que la styliste Ihssane Ghailane offre quatre tenues et un chèque de 12 000 DH au CSSF. On applaudit à ce geste. Fadila Berrada en prend de la graine et se fend à son tour de quatre de ses créations. Profitant d’une pause, le joailler Kallista annonce qu’il met une luxueuse montre Mauboussin au profit du comité. La jeune Siham El Habti le fait alors bénéficier de deux de ses caftans et Fouzia Berriah lui fait don de dix vêtements prêts-à -porter. Ce qui montre que Caftan n’est pas seulement pétri de talent mais possède aussi un cÅ“ur gros comme ça.
Et c’est le cÅ“ur gros que beaucoup, faute d’avoir obtenu leur ticket d’entrée, suivront le show de Caftan sur la petite lucarne. Avec sa notoriété sans cesse croissante, l’exhibition ne pouvait que drainer une foule innombrable que la salle du Palais des Congrès, pourtant spacieuse, ne saurait abriter. Les billets, au prix de 1 200 DH, ont été écoulés deux mois auparavant. Caftan se jouera à guichets fermés. Une partition tissée patiemment pendant dix mois et que se proposent d’exécuter dix stylistes haute couture (dont neuf révélés par Caftan) et cinq jeunes talents. Tous marocains.
Samedi 6 mai. L’horloge indique
21 h 15. Avec un léger retard sur le programme, Caftan, dans sa dixième vêture, entre en scène. Sakina Bouâchrine (TVM), arborant un caftan scintillant, apparaà®t. Elle a le bon goût de ne pas prendre racine. En trois formules fleuries et autant de jeux de manches, elle s’acquitte de sa présentation. Ensuite, défile sur un écran géant un kaléiodoscope d’images extraites des éditions précédentes. Après ce préambule, place au spectacle. Il démarre en trombe. Zineb Lyoubi Idrissi, hissée au rang de haute couturière après son passage convaincant en tant que jeune talent, tient à prouver que sa consécration n’est pas imméritée. Sa collection, inspirée de la fantasia féminine, capture par sa grâce et sa richesse de couleurs. Les ovations crépitent.
Albert Oiknine donne le «la» de sa prestation par la présentation d’une tenue virginale saisissante de sobre beauté. Le créateur, cinq fois sur la brèche, étonne à chaque fois. Là il nous la joue commémorative, et en couleurs. Vert et rouge pour le cinquantenaire de l’Indépendance, bleus célébrant les trente ans de la récupération du Sahara, et le blanc pour les dix ans de Caftan. La collection est élégante. Oiknine sort sous les applaudissements. Siham El Habti, élue parmi les jeunes talents, ravit d’emblée par la singularité de ses tenues représentant les éléments du salon marocain, depuis les tissus jusqu’au plafond, en passant par le tapis et le lustre. Elle a l’étoffe des grands.
Lahoucine Aà¯t El Mahdi en est un, et le montre encore une fois en interprétant le gisement oriental. Le public chavire, il n’est pas au bout de ses émerveillements. Noureddine Amir, fidèle à son excentricité, en impose par son agréable manie de défaire une coupe pour n’en garder que l’essence. Il y a de quoi tomber à la renverse. Pour aussitôt se ressaisir car Zahra Yaagoubi décide de nous mener de l’Inde vers Marrakech. Le chemin est semé de saris finement ciselés et de bijoux indiens chatoyants. De voyages, la Xe édition de Caftan n’est pas chiche.
A travers le cinéma égyptien, en noir et blanc, sur les traces de Nabil Dahani. Parmi l’époque gothique, avec un mentor nommé Simohamed Lakhdar. Dans les venelles de Marrakech, en compagnie de Nadia Lakhdar. Pour nous permettre de prendre un répit, Fadila Berrada nous convie à une promenade dans la nature. En substance, une édition très aboutie, au travers de laquelle les stylistes ont déployé un talent époustouflant, tout en verve créatrice, en fantaisie et en audace. A l’image du final en gris blanc rehaussé par la participation de la sublime et combien sensuelle Adriana Karembeu portant une magnifique tenue signée Simohamed Lakhdar, et qui signe cette note glamour sur laquelle se termine Caftan.
Simohamed Lakhdar se met au noir
Au baisser de rideau de la Xe édition de Caftan, Simohamed Lakhdar, est aux anges. On le serait à moins. Le Prix Haute Couture vient de lui être décerné par le public. Consécration amplement méritée d’une Å“uvre méritoire à plus d’un titre. Mais le créateur redescend quelque temps après de son nuage pour s’absorber dans ses pensées. Sans doute celles-ci remontent-elles le chemin parcouru jusque-là . Que de temps perdu avant qu’il ne trouve sa voie. Des études peu convaincues en biologie et géologie, un séjour ennuyeux dans une école de hautes études commerciales et informatiques, puis la galère des petits boulots. Rien de reluisant jusqu’à la soudaine révélation : le stylisme est sa vocation. Esmod l’accueille, il y brille. Au terme de son cursus, il se fourvoie dans une usine de prêt-à -porter. Dans un accès de lucidité, il rend son tablier pour endosser l’habit de styliste. Il lui sied à merveille, au point que Caftan le remarque et l’invite à faire ses preuves dans la catégorie «Jeunes talents», en 2002. Il passe la rampe avec une aisance ahurissante. Le voilà promu haut couturier, l’année suivante. Il remporte le morceau grâce à son utilisation du brocart, un tissu délaissé par les stylistes marocains. Depuis, il ne quitte plus le podium, faisant, à chaque édition, sensation par sa maà®trise des couleurs vives, son jeu sur les matières et ses coupes près du corps. En 2006, il change son fusil d’épaule. Inspirée du style gothique, sa collection sacrifie les couleurs vives au profit du noir.
Lahoucine Aà¯t El Mahdi assagit ses coupes
Lahoucine Aà¯t El Mahdi est un personnage constamment en représentation. Par son look savamment débraillé, ses gesticulations frénétiques et son souci de plaire. Il se dégage de lui une certitude de soi frappante. N’hésitant pas à employer la 3e personne pour parler de lui, il se considère comme le meilleur, le souvent imité mais inimitable, l’incomparable. On s’en incommoderait si ces «travers» étaient exhibés par un être autre que Lahoucine Aà¯t El Mahdi. Car quand il lui arrive de tomber le masque, ce dernier révèle sa profonde nature : vulnérable, inquiète et perfectionniste. Il a une sainte horreur de l’échec, et pour se prémunir contre cette situation, il passe le plus clair de son temps à peaufiner son Å“uvre, dont il fait plusieurs moutures avant de l’étaler au grand jour. Rien d’étonnant alors à ce qu’il convainque à chacune de ses prestations. D’o๠un parcours flamboyant dans le stylisme, sa pente naturelle. Trois ans passés au Collège Lassalle, puis ses premières gammes dans la haute couture.
Caftan le distingue, l’introduit dans l’arène des «Jeunes talents» en 2001 ; l’année suivante, il accède à la catégorie «Créateurs artisans» ; en 2004, il est invité à boxer dans celle de la haute couture. Il y dévoile un savoir-faire aussi déroutant que prenant.
Ses compositions chromatiques sont pour le moins audacieuses, son style, fortement imprégné du fonds amazigh, conquiert, ses coupes ludiques impressionnent.
Pour changer, à la Xe édition de Caftan, il présente une palette de couleurs plus dépouillée, introduit le brocart d’ameublement, propose des boucles d’oreilles en bronze et assagit ses coupes devenues classiques
Ihssane Ghailane met l’accent sur les accessoires
Difficile de ne pas repérer Ihssane Ghailane, puisqu’elle est aisément reconnaissable grâce à sa mise nordiste, son accent à couper au couteau et son abord chaleureux. Vive, pimpante et battante, elle se découvre attachante pour qui l’approche. A ces qualités, il convient d’ajouter un talent singulier. Exprimé non sans modestie à l’occasion du défilé de jellabas organisé par Nissaâ, en 2001, et mis en exergue. Mais Ihssane ne s’arrête pas en si bon chemin. C’est sur le caftan qu’elle fixe son cap, naviguant avec sûreté tant et si bien qu’elle tape dans l’Å“il de Caftan qui l’enrôle sous la bannière des «Jeunes talents» en 2004. Elle aurait souhaité être engagée parmi la catégorie «Haute couture».
Ce n’est que partie remise. Il faut, auparavant, qu’elle s’illustre dans la section «Créateurs artisans». Avec sa «Liberté des fleurs», elle compose un bouquet riche en senteurs.
Le public s’en enivra sans modération. Ihssane Ghailane se retrouve légitimement sur le podium de la haute couture, en 2006. Fidèle au principe de la luxuriance chromatique, elle compose une symphonie de couleurs, d’o๠se dégagent le rouge et le vert alliés aux tons dorés.
Tout en osant des contrastes saisissants, en mêlant bleu et rouge, vert et violet. Reste que ce qui distingue le travail de la styliste, c’est sa mise en valeur des accessoires : bijoux en or, colliers et pierres précieuses (saphir, rubis, émeraude, turquoise) sertissent les tenues d’Ihssane Ghailane. L’effet en est délicieusement troublant.