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Culture

Vers une économie de la culture 

Du 16 au 19 novembre à  Casablanca, la fondation espagnole Temas de Arte lance la première foire d’art contemporain d’Afrique et de la Méditerranée, ainsi qu’un forum de réflexion sur les industries culturelles.

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L’Occident n’a pas toujours été tendre avec les arts d’Afrique et de la rive sud de la Méditerranée, au mieux ignorés, au pire méprisés. Utilisée à tout-va durant le siècle dernier, l’étiquette d’arts dits «nègres» ou «primitifs» renseigne sur cette mésestime. Pour nombre d’artistes européens d’avant-garde, le berceau de l’Humanité pourvoyait tout au plus en vulgaires gris-gris. «Des masques et des statuettes africaines», résumaient-ils à la hâte, fourrant pêle-mêle, dans le même sac informe, des œuvres maliennes, guinéennes et gabonaises. Ces amalgames s’épanouissent aussi à l’ère des révolutions : des artistes égyptiens, tunisiens et irakiens s’entassent dans ce qu’il est convenu d’appeler désormais «la scène arabe contemporaine». Pas sûr que le Néerlandais Mondrian, le Français Duchamp ou l’Espagnol Barcelò aient apprécié qu’on entrepose ainsi leurs créations dans un grand fourre-tout baptisé art européen.
Une injustice que Victor Del Campo se fait aujourd’hui un devoir de réparer. À la Top Twenty Five Art Fair que lance cet expert madrilène en novembre à Casablanca, vous croiserez peut-être des galeristes du Vieux Continent, mais ils seront là pour défendre le meilleur de leurs artistes d’Afrique et du bassin méditerranéen. Loin des généralités et des idées reçues, ils vous expliqueront les cheminements, le style, les particularités de chacun des plasticiens exposés. «C’est la première foire d’art contemporain exclusivement tournée vers les artistes de ces deux régions», vante Del Campo, qui, pour cette édition inaugurale, accueille vingt-cinq galeries à l’hôtel Hyatt Regency, dont Venise Cadre, Galerie 38, Galerie FJ, la Tunisienne Ammar Farhat, l’Américaine White Boxe ou encore l’Espagnole Punto. «Le stand d’exposition leur coûtera 8 000 euros, soit le tarif le plus bas pratiqué à ce jour. Je suis même prêt à en subventionner une partie, pour que des galeries intéressantes mais moins à l’aise financièrement aient une chance de mettre en avant leurs artistes», promet le président de la fondation espagnole Temas de Arte, qui s’affaire depuis une dizaine d’années à promouvoir l’art contemporain et qui a choisi le Maroc pour sa proximité avec l’Europe, ses marchands d’art, ses collectionneurs et ses critiques. «En 2010, les ministres européens de la culture réunis à Barcelone ont insisté sur la nécessité d’aider à l’émergence d’industries culturelles et créatives en Méditerranée et en Afrique, rappelle Victor Del Campo. Ces industries-là ont prouvé qu’elles étaient capables de contribuer à l’innovation économique, technologique et sociale», poursuit-il.

La culture : 5% du PIB espagnol, 7% du PIB français, 10% du PIB argentin

Industries culturelles, le mot est lâché. À l’origine consacrée aux Beaux-arts et au spectacle vivant, l’économie de la culture s’est, dans l’Occident des années 1980, élargie au cinéma, à la musique et au livre. Aujourd’hui, elle tente de s’y adapter aux bouleversements numériques. Dans nos régions sud-méditerranéennes, ces industries de la culture sont pratiquement inexistantes. L’exemple des arts plastiques au Maroc est frappant : une cote des artistes que l’on peine à établir, des œuvres à la valeur largement surestimée et qui font les beaux jours des spéculateurs, des critiques d’art quasiment absents. En gros, il ne suffit pas d’exposer épisodiquement de l’art pour se targuer de posséder un marché de l’art. Lors de la deuxième édition de la Marrakech Art Fair, le co-directeur de l’Atelier 21 nous expliquait l’intérêt de se doter d’un bon circuit de diffusion. «Les artistes exposent dans des galeries qui sont une sorte de marché de première main. Pour augmenter leurs chances d’être remarqués et vendus, les galeristes représentent par ailleurs leurs exposants à des foires d’art, sorte de marché de deuxième main», schématise Aziz Daki. Mais ce n’est pas tout. En amont, il faut cultiver le goût artistique, sensibiliser à la création, la diffuser auprès de différents publics, donner à voir pour créer l’intérêt, la demande. Un rôle qui revient aux musées, témoins de l’histoire de l’art et de ses moments forts, révélateurs de ses courants, de ses styles. «Pour toutes ces raisons, il nous faut impérativement un musée national de l’art contemporain», martèle Daki.
Et c’est là que va tenter d’intervenir Victor Del Campo. Car le directeur général de la Top Twenty Five Art Fair lance aussi Foro Casablanca, un forum qui se tiendra en parallèle avec la foire d’art contemporain pour exalter les avantages d’industries culturelles fortes en Sud-Méditerranée et en Afrique. «C’est le moment d’amorcer un transfert de savoir-faire», assure-t-il. Flanqué de conservateurs de musées, Del Campo dira, notamment au ministre marocain de la culture, que les industries créatives contribuent pour plus de 5% au PIB espagnol et ont créé quelque 800 000 emplois dans le pays. «En Espagne, 90% des touristes venaient pour la plage et le soleil, raconte le DG de Foro Casablanca. Aujourd’hui, ils s’intéressent de plus en plus à l’architecture, au design, aux musées, au patrimoine, aux traditions et à la gastronomie. Ces critères deviennent impératifs, dès la recherche de la destination sur Internet. Or, si les touristes revendiquent leur part de culture et d’art, c’est parce que les industries créatives les y ont poussés, en leur offrant des prestations professionnelles et des activités de qualité, pour tous types de publics». Une démarche qui, pour l’expert, peut très bien s’appliquer et réussir au Maroc, à la Tunisie et à l’Égypte, pays dotés d’un patrimoine culturel certes négligé mais loin d’être négligeable. «Il faut donc agir rapidement de l’intérieur, s’empresse Victor Del Campo. Dès l’année prochaine, la fondation Temas de Arte va lancer les premières classes de formation aux techniques des industries culturelles». L’homme a maintes fois assisté à des cas désolants de laisser-aller, des pans de la culture et du patrimoine d’un pays partis en fumée et, avec eux, des opportunités de création de richesse. «La culture ne doit pas être rangée parmi les choses économiquement stériles, scande Del Campo. Il faut que les institutionnels admettent qu’une culture dynamique va de pair avec la richesse et l’emploi. Et qu’une industrie culturelle forte dynamise la création et la consommation».