Culture
Une journée avec vos futurs éditeurs, bibliothécaires et libraires
Trois facultés forment une trentaine de professionnels du livre par an. Rencontre avec ces profils dynamiques, des talents qui ne chôment pas mais que, très souvent, on ne paie pas à leur juste valeur.

Ils sont venus, ils sont tous là, attroupés près d’une cantine improvisée dans un coin de la salle : quatre garçons plutôt réservés et dix-huit filles plutôt vivaces, des questionnaires plein les bras. Plus d’un millier de feuilles noircies, à vue de nez. «La moisson a été très honorable cette année. Les questions étaient plus pertinentes aussi», assure Kacem Basfao à ses équipes. «Les exposants n’ont pas arrêté de se plaindre et les visiteurs de se réjouir !», observe une enquêtrice aux allures de major de promotion. Car oui, nous sommes à la fac des lettres de Aïn Chock, et les jeunes gens ici présents préparent une licence «pluridisciplinaire professionnalisante» en métiers du livre. «Ils reviennent du Salon du livre où ils ont fait un sondage. Aujourd’hui, on débriefe», explique le Pr Basfao, qui dirige cette prometteuse filière depuis sa création en 2007. Prometteuse parce que les plus exigeantes bibliothèques, comme celle de la fondation Al Saoud ou la médiathèque Hassan II, s’arrachent ses lauréats. «La FNAC m’en a aussi pris sept», s’enorgueillit l’universitaire.
Le ministère de la culture leur commande études et sondages
Mais revenons à notre sondage sur le Salon du livre. Les deux promotions aujourd’hui réunies devront éplucher les monticules d’avis recueillis et les déverser sur Excel. Elles y passeront la soirée mais il n’est que 15 h et il faut débattre des grandes lignes : «Le gros des complaintes concerne les prix des stands, 415 à 615 dirhams le mètre carré. Beaucoup d’exposants trouvaient que c’était cher», reprend Boutaïna El Ouedrhiri, la fonctionnaire-étudiante, «locomotive»â€ˆdes deuxièmes années. Autres reproches récurrents : des stands sous-équipés ou encore une signalétique discutable. «Il fallait ramer pour trouver un stand dans ce labyrinthe ! Même pour nous, qui étions mobilisés là-bas pendant dix jours, c’était dur», s’écrient les apprentis enquêteurs, qui ont consigné tous les griefs, des cartons de bouquins perdus aux toilettes à la propreté douteuse en passant par les prix pratiqués par le limonadier. Commanditaire de l’étude : le ministère de la culture qui cherche à améliorer les prestations du Siel. Une sorte de consécration pour Kacem Basfao ; un tel partenariat prouve qu’en cinq ans, la formation est devenue incontournable. «Édition, librairie, bibliothèque… C’est une culture générale sur toute la chaîne du livre que les étudiants acquièrent. Je pense qu’à leur sortie d’ici, ils sont armés pour se débrouiller sur le marché du travail», soutient le directeur de la filière, fier d’avoir ouvert le concours d’admission à un florilège de profils : «Droit, sciences, infographie, imprimerie, fonctionnariat, ils viennent de toutes parts ! Il y a même des mères de famille qui ont eu envie de reprendre leurs études et, croyez-moi, elles sont loin d’être les moins motivées !». Une diversité que le Pr Basfao conçoit comme un atout. Et il a raison, ici, des expériences radicalement différentes se croisent, les opinions s’entrechoquent. Mais toutes font front contre les clichés. «L’idée qu’on puisse m’assimiler à une fonctionnaire amorphe m’est intolérable, explique Khadija Aït Bahaddou, une première année qui se rêve bibliothécaire. Mon futur métier ne consiste pas à faire du tricot planquée derrière un bureau !» Même indignation du côté de Nabil Choukry. «Certains pensent qu’un libraire n’a été formé que pour s’occuper du tiroir-caisse !», fulmine cet infographiste qui voudrait apprendre à concevoir de belles couvertures de livres. Plus question de laisser ces métiers au «tout-venant» : «Ce ne sont pas des occupations subalternes, mais des professions à part entière», tonne Nabil. Des professions qui gagneraient à se développer, et donc à être plus enseignées : au Maroc, trois facultés forment à tout casser une trentaine de professionnels du livre par an. Un fétu de paille à côté des quelque 7 000 ingénieurs formés annuellement.
